Du coup

Du nouveau maccarthysme en milieu “radical”

Un texte publié par Tomjo sur le site de sa revue, Hors-Sol, en octobre 2019

Insultes, rumeurs et calomnies consécutives aux débats sur la PMA

Post-scriptum à mon passage en milieu ridicule

« Le Parti n’a jamais tort, dit Roubachov. Toi et moi, nous pouvons nous tromper. Mais pas le Parti. Le Parti, camarade, est quelque chose de plus grand que toi et moi, et que mille autres comme toi et moi. Le Parti, c’est l’incarnation de l’idée révolutionnaire dans l’Histoire. L’Histoire ne connaît ni scrupules ni hésitations. Inerte et infaillible, elle coule vers son but. A chaque courbe de son cours, elle dépose la boue qu’elle charrie et les cadavres des noyés. L’Histoire connaît son chemin. Elle ne commet pas d’erreurs. Quiconque n’a pas une foi absolue dans l’Histoire n’a pas sa place dans les rangs du Parti. »

Arthur Koestler, Le zéro et l’infini, 1940.

*** **

Mises bout à bout, les petitesses des individus révèlent un milieu, ses fins et ses moyens. Voici quelques épisodes de mon passage dans ce qui s’auto-désigne noblement comme le « milieu radical ». S’il s’agit bien d’un « milieu », par sa structure lâche et ses juges officieux, il fonctionne néanmoins comme un parti – supposément « libertaire », mais un parti quand même. S’il se prétend « radical », c’est pour son verbe haut, son esthétique et ses postures détèr, son goût du coup de poing. Rarement pour ses idées. Le terme qui convient est donc « extrémiste ». Quant aux idées, disons « libérales-libertaires ». Les insultes et menaces que l’on m’a adressées depuis le débat sur l’ouverture de la PMA aux lesbiennes et aux femmes seules à partir de 2014 en constituent une illustration.

Si je publie ce témoignage aujourd’hui, c’est en raison du calendrier. Il me plaît de rappeler aux « radicaux » que la PMA est sur le point d’être votée par une assemblée « République En Marche », sur proposition d’Emmanuel Macron, le même qui a éborgné gilets jaunes et K-ways noirs tous les samedis de l’année écoulée. Ce retour de la PMA dans l’espace public me valant une nouvelle salve d’insultes et de calomnies depuis cet été, des tags « Tomjo gros mascu », une BD sur le net, une interdiction de participer à une conférence.

Ce témoignage, chacun l’entendra à sa guise, mais les pires sourds, désormais, ne pourront faire comme si je n’avais rien dit, ni porté les faits à la connaissance de tout un chacun.

Le texte complet est ici :

https://www.partage-le.com/2019/10/du-nouveau-maccarthysme-en-milieu-radical-par-tomjo/

*************          ********

Extraits

Quand on arrive en ville…

J’entre en milieu radical lillois en 2006, au moment du CPE. J’arrive d’Amiens, un peu seul dans cette grande ville et mes questions. Je souffre, confusément, de cirer les bancs de l’Université. Ils m’envoient droit vers un bon diplôme, un bon travail, une bonne voiture, un bon ménage, une bonne réussite sociale attestée par l’achat de breloques ; bref, vers un ennui profond – qui de surcroît précipite la date de péremption de l’Humanité par les marchandises qui le compensent. Les années 90 m’avaient emporté de leur ambiance punk fin-de-siècle, plus énervées par l’absence de perspectives et le refus de parvenir que par la gagne. Nirvana, Pixies, Thiéfaine, Mano Solo en furent la bande sonore, Fight Club, Trainspoting, The Big Lebowski, American Beauty la mise en images. Au milieu des assemblées et des blocages de cette année 2006, je rencontre une bande de cyclistes qui s’amusent, de nuit, à détourner ou détruire des panneaux publicitaires. Leur truc m’enthousiasme tout de suite : il existe sur cette Terre des gens qui sortent des rails du bonheur que me traçaient jusque-là famille, école, publicités et politiciens. Je trouve des gens et des mots avec lesquels formuler mes questions, à défaut de toujours y répondre. J’adhère à une association de jeunes écolos, libertaires sur les bords, qui refusent et critiquent plus généralement le nihilisme de la société industrielle. C’est le moment de mes premières manifs antinucléaires en Allemagne, des manifs anti-OGM en Lozère, et des camps d’été entre écolos chevelus. On est entre 2006 et 2010.

Cette effervescence me libère la parole. Je soigne ma dépression par l’expression, du moins par écrit. Je propose des articles à La Brique, un jeune journal de critique sociale, puis à d’autres comme CQFD, la revue Z, etc. Je découvre mes premiers squats, où s’invente une vie la plus éloignée possible de l’usine ou du bureau, « section squat-tout nik-tout » puisqu’il n’y a rien à garder de ce monde. Je navigue quelques années entre écolos rigolos et anarchistes en rupture. J’avale le catalogue des éditions de l’Encyclopédie des nuisances, des situationnistes devenus anti-industriels ; c’est avec leurs écrits que je me trouve le mieux accompagné. Des anars, je regrette parfois l’inconséquence sur cette nouvelle donne qu’est le désastre écologique (nouvelle par rapport à la guerre d’Espagne). Des écolos, je regrette le « citoyennisme », l’aliénation au Parti de l’État et à ses solutions (énergies renouvelables, transports « doux », rationalisation informatique de la société). Je rencontre les Grenoblois de Pièces et main d’œuvre qui publient mon enquête, L’Enfer vert, un projet pavé de bonnes intentions, sur leur site et dans leur collection Négatif, à L’Échappée (2013). Une critique de cet écologisme qui m’exaspère à Lille.

Chemin faisant, et pour entrer dans le vif du sujet, j’accompagne le signataire d’un livre critique de la technologie PMA dans une tournée de librairies. Il s’agit de La Reproduction artificielle de l’humain d’Alexis Escudero, co-écrite avec Pièces et main d’œuvre, également publiée sur le site de PMO, puis aux éditions du Monde à l’envers. J’organise une présentation du livre dans une librairie que je squatte et habite. Il ne m’a pas échappé que la France est secouée depuis deux ans par le mariage et la Manif pour tous. J’enrage qu’aucun débat n’existe autour des technologies de reproduction. S’il y a des méchants, les gentils doivent faire front. Quand le bouquin débarque sur les étals, il rappelle aux militants contre la marchandisation du monde, à ceux qui manifestaient contre les OGM dix ans plus tôt, que la PMA est une technique de sélection, de marchandisation et d’augmentation génétique de l’espèce humaine. Les industriels de la génétique sont en passe de faire avec les humains ce qu’ils ont fait avec le soja et les vaches Holstein. Aucune considération sur qui peut baiser avec qui, ni qui peut se marier avec qui. Et pour cause : on s’en fout, tant que les gens prennent du plaisir…

Page 1 du livre : « Même si tous les marcheurs [de la Manif pour tous] ne sont pas homophobes, nombre de ceux qui protestent contre le mariage, l’adoption homosexuelle, la PMA ou la GPA défilent en fait contre l’homosexualité. » Nous n’en sommes pas. Le procès en « homophobie », en « réaction » et en « fascisme » qui m’est fait, ainsi qu’à l’auteur et aux éditeurs, pourrait s’arrêter là : page 1.

S’il fallait insister, et apparemment il le faut, lisons la page 2 : « L’insémination pratiquée à domicile avec le sperme d’un proche n’est pas la PMA. La première n’exige qu’un pot de yaourt et une seringue. Elle soulève essentiellement la question de l’accès aux origines pour l’enfant : lui dire qui est son père ? La PMA en revanche, pratiquée en laboratoire, soumet les couples à l’expertise médicale, transforme la procréation en marchandise, place les embryons sous la coupe du biologiste et entraîne leur sélection : l’eugénisme. C’est la PMA que réclame la gauche et la mouvance LGBT. » Le livre est une attaque de la PMA, non du pot de yaourt utilisé par certaines lesbiennes. Le procès en « homophobie » pourrait se conclure ici : page 2.

Page 3, ce slogan en guise de revendication, enfonce le clou : « Ni pour les homos, ni pour les hétéros : la PMA pour personne ! »

Ce n’est pas compliqué à comprendre. Encore faut-il lire trois pages.

Le livre ne s’en prend jamais au féminisme. Pas une fois. Comme chacun le sait et le rappelle, les mouvements féministes et homosexuels sont divers. Certains sont de droite, d’autres libéraux, de gauche, d’extrême gauche, écolos ou libertaires. C’est comme dans la vie. Or, le livre s’en prend exclusivement aux défenseurs de la PMA qui viennent majoritairement des féminismes dits de la « troisième vague », queer, cyborg et ultra-libéraux. Le problème est qu’ils noyautent, probablement sur un malentendu, le dit « milieu radical » où j’évolue nez au vent.

Le mauvais procès en « antiféminisme » aurait pu s’arrêter là. Il s’est pourtant acharné contre moi et mes proches. Parfois violemment, souvent comme une rumeur, presque toujours sous couvert de l’anonymat. En voici un compte rendu approximatif.

***

15 octobre 2014 – Course au point Godwin

Au début de l’affaire, j’habite depuis un an dans un squat-librairie, L’Insoumise. Dans cette vieille bâtisse de briques du quartier Moulins, nous nous proposons d’animer un squat ouvert à la diversité des gens et des opinions, le plus populaire et mixte possible. On avait déjà organisé des dizaines de discussions et de projections, un bal du 1er mai, et accueilli des dizaines de collectifs, des fraudeurs, des intermittents, des Kurdes, des cantines, etc. Un espace de vie, quoi, malgré le risque d’être réveillés un matin par les dingues du GIGN.

Quelques jours avant le débat sur la PMA, la librairie est qualifiée d’« Insoumisogyne » (c’est un jeu de mots) dans un communiqué anonyme publié, et accepté, par les administrateurs du site de publication coopératif Indymedia Lille, le repaire numérique des anars à l’époque. C’est un site anonyme qui permet toute discrétion vis-à-vis des flics, je ne connais pas l’identité de ses administrateurs, et ne pourrai jamais discuter in real life de ce qui s’y déverse contre mes amis et moi. Cette librairie dans laquelle j’organise la rencontre avec Escudero serait complice de la « lesbophobie, l’homophobie et la transphobie » de l’auteur. Sur quoi nous serions toutes et tous des « anarchopresseurs » (nouveau jeu de mots) ne valant pas mieux que des « fascistes ». Je vous ai annoncé du verbe haut… Cette première interpellation a la délicatesse d’une bouse explosive sur le crâne d’un nouveau-né.

Le fascisme est, comme on sait, un mouvement politique italien totalitaire, nationaliste, partisan d’un État fort et d’une économie planifiée. À mesure qu’il conquiert l’Éthiopie (1935) et se rapproche du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), il autorise les publications racistes et antisémites, et finit par adopter en 1938 plusieurs lois raciales dont un Manifeste de la race. Parmi les scientifiques signataires et les principales influences intellectuelles de ce Manifeste antisémite, l’endocrinologue eugéniste Nicola Pende défend une politique nataliste et « l’amélioration raisonnée de l’homme », après celle des semences agricoles.

Note aux « antifascistes » d’Indymedia : nos arguments contre le transhumanisme et la PMA sont donc eux aussi, par définition et en tous points, antifascistes. Mais je vous laisse la jouissance du Point Godwin, aussi appelé « Reductio ad hitlerum ».

***

Début octobre 2014 – L’exclusion comme mode de régulation des conflits

Quelques jours avant le débat, et malgré les premières douceurs proférées par voie numérique, je me rends à une soirée karaoké organisée par le centre LGBT dans le cadre d’un festival féministe, avec ateliers sur les « conforts affectifs » et séances de taïchi. C’est l’occasion d’inviter quelques amis, pardon quelques ami-e-s, et de discuter de la PMA. Je n’en aurai pas le temps. Je me fais virer au seuil du lieu par Marie-Cécile, la commissaire politique[1]. D’après cette sociologue du genre diplômée de sciences-po, ce n’est pas le moment de critiquer la PMA alors qu’il y a tant d’agressions homophobes. Le « contexte » ne se prête pas à la critique. Au pire cela fait de moi un piètre stratège, mais pas un homophobe. Je suis tout de même exclu pour Défaut d’appréciation des conditions historiques – c’est ainsi que je l’entends. Je me souviens d’avoir rétorqué à ladite commissaire qu’un jour ou l’autre la PMA serait légalisée ; que ce n’est pas la Manif pour tous qui fait l’histoire mais la Silicon Valley. C’est un raccourci, hein, mais j’avais raison. Après que François Hollande a lancé l’idée (celui de la loi Travail), le plus technocrate et libéral des présidents de la Ve République est en passe de légaliser la PMA. J’en parlerai à la contextologue au prochain atelier « conforts affectifs », après ses heures de chercheuse en « épistémologie féministe du point de vue sur les théories politiques ».

***

27 octobre 2014 – La bêtise militante fait obstruction

***

8 novembre 2014 – Insultes en quelques cases

***

9 novembre 2014 – Complotiste comme un antisémite

***

19 novembre 2014 – Parole aux opposantes

***

7 février 2015 – Insulte par la bande

***

11 mai 2015 – Diffamation

***

Juin 2015 – Puisque « le privé est politique »

***

Printemps 2018 – Les mauvais jours n’en finissent pas (#1)

***

4 février 2019 – Les mauvais jours n’en finissent pas (#2)

***

Aparté

***

8 mars 2019 – Sur la friche

***

26 juin 2019 – Le Retour de Mawy

***

7 Août 2019 – Exclusion officielleuse (genre d’exclusion officielle mais non assumée)

***

Août 2019 – Dégradation du Beffroi de Saint-Sauveur