La Bourse ou la vie ?

Il est question d’eau

L’appropriation du vivant par les puissances financières signe le triomphe d’un capitalisme prédateur, pourtant de plus en plus contesté dans le monde entier. L’eau, tellement vitale pour tous, peut à présent être volée en toute impunité.

Voici, texto, ce qu’annonce Boursorama, le 8 décembre 2020 :

Il est désormais possible pour les investisseurs d’acheter de l’eau sur les marchés financiers. En effet, depuis hier, les contrats futurs adossés à l’indice Nasdaq Veles California Water s’échangent au Chicago Mercantile Exchange sous le ticker NQH2O. Après une première clôture lundi au prix de 496$ par pied d’acre (environ 1.233,5m³), les contrats à terme pour une livraison en janvier 2021 ont progressé aujourd’hui de 2,42% pour s’établir à 508$.

 Ainsi est décrite cette nouvelle « valeur ».

S’ils doivent permettre aux agriculteurs de se protéger contre les fluctuations des prix de l’eau, ils pourront également servir d’indicateur de rareté pour cette ressource de plus en plus précieuse dans de nombreuses régions du monde. A n’en pas douter aussi que ces contrats susciteront l’intérêt des spéculateurs. (1)

Pourtant, l’eau est reconnue par les Nations Unies comme un droit humain universel et l’on sait que la catastrophe climatique est d’abord un désastre agricole, une exploitation démesurée des ressources en eau potable et donc sa raréfaction qui entraîne des conflits, des migrations de populations, des guerres même.

Il s’agit bien de spéculation : « Destinés au départ aux marchés agricoles, les contrats à terme correspondent à des engagements fermes conclus à une date antérieure à la livraison des produits. C’est une sorte de pari sur l’avenir : on s’engage à acheter ou vendre un actif dans le futur, selon des conditions définies à l’avance. Dans le cas de l’eau, si le cours augmente dans les mois qui suivent, le pari est gagnant; si le cours baisse, il est perdant. Il existe des contrats à terme sur presque toutes les matières premières du monde, pétrole, blé, maïs, soja, bétail, et jusqu’au jus d’orange. », explique Augustin Langlade sur le site de La relève et la Peste.(2)

C’est aux États-Unis et particulièrement en Californie que la consommation d’eau douce est gigantesque, notamment à cause de la culture des amandes et de pistaches exportées ensuite dans le monde entier. Les périodes de sécheresse augmentent, le déséquilibre des écosystèmes est aggravé par cette culture intensive et donc, l’eau devient très rare… Et de plus en plus chère. D’où l’idée d’incorporer l’eau dans le système financier capitaliste, ce qui vise à détourner les agriculteurs des pouvoirs publics devenus incapables de gérer ce bien commun ainsi privatisé. Le risque est majeur puisqu’un spéculateur pourra acheter une grande quantité d’eau et ne la vendre au plus haut prix qu’en période de sécheresse, donc de pénurie.

Cette menace vitale a été défiée par des agriculteurs et des municipalités un peu partout dans le monde, notamment lorsqu’il s’agit de contrer la privatisation de l’eau par d’importantes multinationales comme Nestlé, Coca-Cola, Pepsi-Cola. En Inde notamment, des mouvements de femmes agricultrices tels que ceux menés par Vandana Shiva ont réussi à contrer des accaparements de nappes phréatiques grâce à des jugements définissant l’eau comme appartenant aux populations pour servir le bien commun et donc non privatisable.(3)

Bien sûr, il existe un Conseil Mondial de l’Eau, créé en 1996 et qui regroupe des ONG, des gouvernements, des institutions internationales comme la Banque Mondiale, le FMI et surtout, des entreprises privées comme Veolia, Suez…(4) On comprend sa totale inefficacité lorsqu’il s’agit de répondre aux Objectifs du développement durable des Nations Unies. Tous les 3 ans, se tient un Forum Mondial de l’Eau. La 9ème session de ce Forum devrait se réunir à Dakar (Sénégal) du 21 au 26 mars 2022 (il a été reporté d’un an à cause de la pandémie de Covid-19) et donc, pour la première fois, en Afrique subsaharienne où le problème d’accès à l’eau est crucial. Quatre priorités sont annoncées : « Sécurité de l’Eau et de l’Assainissement », « Coopération », « Eau pour le développement rural » et « Outils et moyens ».   Ce sera le moment pour les chefs d’État, de gouvernement et des grandes institutions internationales, pour lancer un message et une initiative politique historique, en vue de catalyser les actions notamment, pour la réalisation rapide de l’accès universel à l’eau et à l’assainissement » annonce-t-on sur le site du Forum. On espère qu’il s’agira d’arrêter définitivement la privatisation de l’eau…(5)

Mais on peut déjà douter de l’efficacité de ce grand rassemblement officiel lorsqu’on constate à quel point les conflits liés à l’eau se multiplient dans le monde, et que le monde politique n’arrive pas à mettre fin au vol de l’eau potable des Palestiniens par les colonisateurs israéliens, par exemple. Et la tendance à la privatisation de l’eau par les marchés financiers, par les grandes multinationales prédatrices, ne semble pas être freinée.

Il existe quantité de mouvements d’indignés, d’opposants à ce pillage du bien commun le plus précieux qu’est l’eau et qui luttent pour qu’il s’agisse d’un « bien public ». Le chantre le plus important de cette notion de bien public est Riccardo Petrella qui, en 1997, créait le Comité international pour un contrat mondial de l’eau et l’Université du Bien commun en 2003. Ce qui en fait une des figures les plus importantes de l’altermondialisme. Selon lui et tous ceux, très nombreux, qui le soutiennent, l’eau n’est pas un bien économique ni marchand. L’eau doit être accessible à tous, sa gestion doit être intégrée et restauratoire (restaurer la biodiversité, l’écosystème, le paysage et aussi la qualité de vie). Bref, l’utilisation de l’eau doit être, durable et solidaire.(6)

Il est donc grand temps que cette défense de l’eau comme bien commun et public de l’humanité fasse l’objet d’une mobilisation mondiale et pourquoi pas dans le cadre des grandes décisions climatiques ? Des pays comme la Belgique qui préservent une gestion publique de l’eau, sa préservation, sa collecte, son traitement constituent des modèles à diffuser largement. L’eau est également protégée par l’Union Européenne dans sa Directive-cadre sur l’Eau : « L’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel. », annonce cette directive-cadre. On aimerait lire « bien public » à la place de « patrimoine » et que soit définitivement précisé qu’il ne s’agit pas d’un bien privatisable… Pour plus de sécurité face à la financiarisation du monde !(7)

 

Gabrielle Lefèvre ; pour.press

  1. https://www.boursorama.com/bourse/actualites/les-contrats-futurs-sur-l-e

2.https://lareleveetlapeste.fr/leau-devient-cotee-en-bourse-a-wall-street-une-mena

https://www.franceinter.fr/emissions/camille-passe-au-vert/camille-passe-au-vert-

3. Expliqué dans le livre Juger les multinationales, Eric David et Gabrielle lefèvre. Ed. GRIP/Mardaga.

Voir aussi : https://www.entreleslignes.be/humeurs/l-tu-lululu/vandana-shiva-contre-le-c

4. https://www.cairn.info/revue-ecorev-2012-1-page-32.htm

5. https://www.worldwaterforum.org/fr/latest-news/dakar-en-mars-2022-le-forum-des-r

6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Riccardo_Petrella

7. https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/