Fukushima, le 11 mars 2011

Menace nucléaire sur l’Europe, le rayonnement de la France, dix ans après Fukushima

Un livre de Jean-Marc Sérékian

Chapitre 7.   Lente sénescence d’une mini-superpuissance     

                   

Mini-superpuissance et « Machine de guerre » – Une Thanatocratie atomique – Mini-superpuissance mais  aussi méga-junte militaire – Des eaux vidées des baleines et pleines de sous-marins – Thanato-Thalassocratie Française – Question d’historiographie : la guerre perpétuelle

Extraits

Si, comme on le sait, d’après les informations officielles, le nuage radioactif de Tchernobyl  s’est bien arrêté à la frontière de l’Hexagone, son ombre par contre plane encore sur l’atome tricolore. Le fleuron industriel français ne s’est jamais réellement remis de la « catastrophe soviétique » de 1986. Au moment de Fukushima, il soufflait ses 25 bougies de déclin continu… Dans l’intervalle de ce quart de siècle, tout est allé de mal en pis : Superphénix, le fameux réacteur à neutrons rapides de 4e génération, censé diverger en l’An 2000, jetait l’éponge avant cette échéance ; l’EPR le réacteur de 3e génération réputé « le plus sûr au monde » déclarait forfait en 2013 puis ne cessait plus de répéter ses retards de livraison tout en accumulant les malfaçons et en dévorant en pure perte les milliards de coût supplémentaire. Peu après arriva la déchéance d’Areva, miné par ses pertes financières et l’affaire crapuleuse UraMin en 2018, il fallut déposer le bilan…

Les années passant puis les décennies, la renaissance atomique tant claironnée avec l’avènement d’Areva pour le nouveau millénaire ne s’est jamais produite dans l’ex-Monde libre, ni en France ni ailleurs dans le monde occidental. A la date du dixième anniversaire de Fukushima, seule la Chine, converti au capitalisme, se maintien dans la course aux réacteurs et vient proposer ses services nucléaires à l’Angleterre. Un comble si l’on songe à ce que furent les Guerres de l’opium premier contact à la canonnière avec capitalisme britannique.

En France comme aux Etats-Unis où les velléités de réanimer le feu atomique furent régulièrement réaffirmées sans jamais se concrétiser, les vieilles centrales en fonction en sont réduites à jouer les prolongations. Les friches nucléaires se multiplient et les déchets radioactifs s’accumulent, débordent des piscines et des sommes astronomiques sont englouties pour les faire disparaître. Dans l’Hexagone un chantier pharaonique de ravalements de façade sur les centrales, le Grand Carénage, tente désespérément de crédibiliser un semblant de sûreté nucléaire pour conjurer le spectre de la fin d’empire. Manifestement, après tant d’efforts pour le construire, l’élite polytechnique nostalgique se refuse de faire son deuil des citadelles industrielles qui firent quelques temps son prestige au siècle passé.

Aujourd’hui, c’est désormais une évidence quasi officielle, puisque que ça se lit dans la presse, dix ans après la fusion des trois cœurs des réacteurs de Fukushima, si l’atome tricolore bouge encore et que son élite se refuse à jeter l’éponge, la prospective est facile, l’atome est à l’agonie. Très loin des opposants au nucléaire, laminés depuis tant d’années, les milieux d’affaires ne donnent plus cher de sa peau ailleurs qu’en France où l’Etat-providence du nucléaire s’attache à son exception industrielle.

N’ayant jamais pu surmonter le premier choc nucléaire « soviétique », on prolongea sa survie sous perfusion durant la première décennie de ce siècle. Beaucoup d’argent s’écoula dans les circuits de la communication ce qui a permis de brouiller dans l’euphorie médiatique le déni de sa sénescence jusqu’à ce que l’atome tricolore soit rattrapé par le second choc de Fukushima. Dix ans plus tard, Areva en moins, l’élite politico-polytechnique, maintient le cap, persiste sur sa lancée, s’accroche à l’atome et s’enlise dans son déni de réalité. Désormais isolée en Europe  avec le fiasco franco-français de l’EPR, elle veut croire encore à sa renaissance. Pour son rejeton rafistolé, son obsession relève d’un enfermement déraisonnable dans l’acharnement thérapeutique. Avec un fiasco technologique annoncé et une faillite économique largement anticipée, le fleuron atomique est désormais à inscrire au passif de l’Empire. Durant ce quart de siècle, inter-choc atomique,  il n’a fait qu’accumuler et révéler les tares constitutionnelles favorisées par l’arbitraire des passages en forces, le tout à la charge des contribuables. N’ayant jamais cru bon de regarder « le monde comme il va » (déni de réalité) ni accepté le débat du choix énergétique (déni de démocratie), l’atome tricolore économiquement toxique croule sous sa dette souveraine odieuse et menace dans sa chute catastrophique l’Europe occidentale.

Mini-superpuissance et « Machine de guerre »

« Radieuse Bérézina », initiés en 2015 (1),  nous poursuivons ici notre réflexion sur ce qui apparaît comme une accumulation de déni de réalité, de démocratie, de justice et d’humanité face à l’évidence du fiasco technologique. Quelles sont les origines de l’inertie prolongée d’une classe dirigeante figée dans sa friche industrielle faisant courir une menace de catastrophe(s) atomique(s) en Europe occidentale ? Elles sont historiques et largement connues. Il suffit ici de faire resurgir le refoulé et de le présenter dans sa globale cruauté…

On peut faire référence ici aux analyses de Jacques Ellul sur l’autonomisation fatale du « système technicien (2) » se subordonnant la classe politique pour la rallier à sa logique interne et ainsi assurer sans limite sa propre expansion. Mais dans le domaine nucléaire, les privilèges de l’aristocratie militaire suffisent à l’analyse. Pour sa taille territoriale, la France est allée très loin et a dépassé les limites de la raison non seulement en nombre de réacteur mais aussi avec son centre de retraitement à La Hague et Superphénix à Creys-Malville.

Il s’agit, ici, d’expliquer l’inertie dans l’indécision politique de l’ensemble de la classe dirigeante, sa sidération face aux injonctions des pays frontaliers s’estimant à juste titre menacés par la décrépitude du parc atomique tricolore et reconnue en interne par l’ASN… Certes l’argent huile toujours tous les rouages et assure la loi du silence ou l’organisation des mises en scène d’autocritique cathartique nécessaires au système,  mais quand même !

A l’inverse des autres pays d’Europe, les conséquences coperniciennes  de la catastrophe de Fukushima n’ont pas été tirées. Loin de remettre en cause le système, les nucléocrate les réduisirent à de ridicules « retours d’expérience » pour « bunkériser » des installations arrivées à leur date de péremption. Dans notre référence astronomique, l’a priori coupable de sauvetage du système choisi par l’ASN revient à multiplier les épicycles pour redonner une crédibilité à ladite « sûreté nucléaire ». Ainsi fut pérennisé le « nucléo-centrisme » dans le mix énergétique et depuis, l’ASN n’en finit plus de distribuer des indulgences désormais fautives aux yeux des autres pays d’Europe.

Ici, pour éclairer sur une base historique globale l’impasse évolutive dans laquelle s’enlise l’empire nucléaire tricolore, nous avançons l’hypothèse de la mini-superpuissance. L’éternel retour de la volonté de superpuissance permis par les sciences et techniques fige le personnel politique et polytechnique dans l’idée fixe et hallucinante d’un idéal de toute-puissance révélée par l’évènement atomique d’Hiroshima. Engagée dans cette course poursuite scientifique mortifère dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, ladite « Patrie des droits de l’homme »  continue de se construire en mini-superpuissance et dans cette marche funèbre insensée son corium de pouvoir se concentre en thanatocratie atomique.

Comment expliquer l’aveuglement de l’élite face au fiasco industriel annoncé ? Comment interpréter la stratégie du passage en force pour creusement du caveau Cigéo contre toute raison ? Comment faut-il comprendre l’enfermement persistant dans un négationnisme du risque de catastrophe nucléaire sur le territoire français mais aussi européen ?  Et que doit-on dire de la dérive budgétaire irréaliste et sans limite à plus de mille milliards d’euros pour ne pas sortir du nucléaire ? A ce tableau déjà affligeant d’amoncèlement de friches industrielles et de faillites dans la fission atomique, on peut rajouter le projet thermonucléaire de fusion de l’expérience ITER…

L’explication commune et désabusée des écologistes opposants au nucléaire affirme à juste titre « qu’il y a un État dans l’État ». Sur cette piste, il faut mettre à nu l’Etat interne, s’intéresser à la nature de sa substance, décortiquer le corium nucléaire de son décorum médiatico-parlementaire. Dix après Fukushima, trente-cinq ans après Tchernobyl, rien n’a changé, la même secte secrète impose sa tyrannie et maintient le statu quo nucléaire. Le personnel qui accède aux manettes avec sa couleur politique et ses broderies rhétoriques sert de leurre et de caution « démocratique ». Mis à nu, le cas français dans sa logique militaro-industrielle suit à son échelle le modèle étasunien. Pour la mini-superpuissance tricolore, on peut d’emblée adopter le vocabulaire de Peter Dale Scott utilisé pour décrire le statu quo militaire des Etats-Unis, sa pulsion expansionniste irrépressible depuis les années 1960.  Comme pour ce pays et depuis la même période d’après-guerre il faut bien parler « d’État Profond » et de « Machine de Guerre (3) » française. A quoi pourrait bien ressembler la France une fois dévêtue de ses oripeaux de « Patrie des droits de l’homme » ?

La confirmation de ce statu quo mortifère de mini-superpuissance est arrivée de manière officielle en février 2020 avec la sortie de rang grandiloquente et gesticulée du Président Macron. Fidèle à ses pulsions sommitales, il mit à nu l’Etat profond en s’imaginant en chef suprême d’une dissuasion atomique franco-européenne. Se souvient-il que dans les années 1930, en Europe un autre chef d’Etat avait (sans le nucléaire) exprimé les mêmes ambitions militaires ? Si durant toute la décennie qui suivit Fukushima la chronique française fut défrayée par les milliards engloutis en pure perte pour maintenir à flot le parc nucléaire, la dernière année s’inscrivit dans la suite logique, mais cette fois les dizaines de milliards d’euros furent destinés à la « modernisation de la dissuasion » pour assurer un redimensionnement à l’échelle européenne. Selon les éléments de langage présidentiel : « Nos forces nucléaires renforcent la sécurité de l’Europe et à cet égard ont une dimension authentiquement européenne (4). » En terme financier, pour cette nouvelle perspective militaire, l’Etat profond puisa dans les coffres du trésor public et s’assura un chèque de quelques 40 milliards d’euros… C’est reparti comme en quarante avec de Gaulle et le CEA…

Mais ironie de l’histoire, le mois suivant, la France se retrouvait en « état de guerre », l’Europe entière était attaquée, non par la Russie mais par un coronavirus, on s’aperçut que les dizaines de milliards consacrés à la dissuasion nucléaire manquèrent cruellement dans la situation d’urgence sanitaire. Comble de la cruauté aveugle de l’Etat profond français, quelques temps avant le gouvernement avait envoyé la troupe réprimer violemment les infirmières et le personnel hospitalier qui signalaient justement l’état de précarité et le manque criant de moyens du système de santé français. La conjonction de ces événements, fureur nucléaire paneuropéenne du chef d’Etat et impuissance d’une nation face à un microbe révélait le caractère quasi-extra-terrestre des hautes sphères de l’Etat français.

Malgré l’entrée dans un nouveau siècle, qu’un homme de lettres français espérait spirituel, la France reste toujours à la traîne et  en retard d’une guerre  avec, pour toute originalité culturelle officielle, sa doctrine de la dissuasion nucléaire. Mystère de la physique atomique ou effet délétère des radiations ionisantes, le pensionnaire de l’Elysée souhaiterait faire financer ses sous-marins lanceurs d’engins par l’Autriche ou la Tchéquie ou même peut-être leur en vendre. Connaît-il au moins sa géographie de l’Europe ?

 

Une Thanatocratie atomique

Pour lire le chapitre complet :

Menace nucléaire sur l’Europe episode 9_chap7

 

La suite … demain !