André PICOT est décédé

L’hommage d’Annie Thébaud-Mony

André,

Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie – Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la « chimisation toxique » du travail et de l’environnement.

Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxico-chimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.

Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les pré-fabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970. Le Collectif y avait son local, encombré des archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.

Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au coeur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger.

Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie – chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit :

https://www.atctoxicologie.fr/ .

C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé

https://www.asso-henripezerat.org/henri-pezerat/hommages/andre-picot-et-lassociation-toxicologie-chimie/ .

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.

Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi « l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…

C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText

https://www.systext.org/ .

En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux de cette occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno Van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.

J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui as décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…

Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres.

Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.

22 janvier 2023