Un gouffre sans futur

Il s’agit évidemment de la 5G

Coût énergétique, environnemental, utilité douteuse… En dépit des critiques qui se renforcent, la 5G poursuit imperturbablement son déploiement, dénonce l’auteur de cette tribune.

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La 5G n’en finit plus de se chercher. En dépit d’oppositions marquées, les déploiements se poursuivent alors que les nouveaux usages, censés émerger l’année prochaine, se font attendre. En revanche, le coût écologique de cette « révolution technologique » devient de plus en plus clair et est largement à la défaveur de la 5G.

Deux ans après son lancement officiel, la 5G ne suscite toujours pas l’engouement des Français. Classée dixième comme critère d’achat pour un smartphone en 2021 d’après l’étude de Gfk, sa mise en place reste contestée autant pour des raisons sanitaires, énergétiques que d’urbanisation du territoire. Les nombreux sabotages d’infrastructures de télécommunication qui ont pu avoir lieu ces dernières années en sont un marqueur fort. Pour autant, le déploiement se poursuit et l’agence nationale des fréquences (ANFR) dénombrait quasiment 28 000 sites équipés en 5G (pour environ 57 000 en 4G) au 1ᵉʳ novembre, dont la moitié sur la bande de fréquences clefs mise aux enchères par le gouvernement fin septembre 2020.

Un intérêt loin d’être évident

Du côté du privé, la 5G est souvent présentée comme une « révolution » pour différents secteurs. Pour l’automobile, bien qu’évoquée comme essentielle à la conduite autonome, elle cherche toujours ses applications. Le récent projet 5G Open Road en est un bon exemple. Lancé en avril 2022 et doté d’un budget de 90 millions d’euros, en partie financé par des fonds publics, le programme regroupe notamment les constructeurs français (Stellantis, Renault) ainsi que des acteurs des télécoms (Bouygues Télécom, Nokia). D’après Tony Jaux, porteur du projet, « le programme est né du besoin de l’industrie automobile de comprendre en quoi les investissements dans la 5G peuvent être utiles ». Un intérêt qui se cherche donc au regard des coûts associés.

Concernant l’industrie, la 5G s’inscrit dans la numérisation et l’automatisation croissante des processus de production avec pour but la réduction de l’intervention humaine. La mission 5G industrielle, commandée par le gouvernement et parue en mars 2022, tempère l’enthousiasme autour de cette technologie et précise que « les projets d’expérimentation de la 5G industrielle ne sont, pour leur majorité, qu’à un stade de préparation et de planification ».

Des constats similaires peuvent être dressés pour l’ensemble des secteurs pour lesquels la 5G est plébiscitée (santé, logistique, agriculture, smart cities, etc.). Les industriels en sont encore à des phases de recherche et développement éloignées d’une éventuelle commercialisation. Par ailleurs, ces usages ne dépendent le plus souvent pas d’un déploiement massif de la 5G publique puisqu’ils reposent sur des réseaux privés installés de façon ad hoc.

Si les innovations en sont encore à la preuve de concept, la 5G est aussi vantée pour son efficacité énergétique par rapport à la 4G (une même donnée demande moins d’énergie pour être transmise en 5G qu’en 4G). Deux facteurs contrebalancent les gains issus de l’efficacité énergétique : la plus faible portée des fréquences cœurs 5G, qui implique de déployer davantage de sites pour une couverture équivalente à la 4G, et l’augmentation du trafic que la 5G permet. Le Haut Conseil pour le Climat conclut ainsi que le passage à la 5G va entraîner une hausse de la consommation d’électricité comprise entre 16 térawatts-heure (TWh) et 40 TWh à l’horizon 2030, soit de 3,6 % à presque 9 % de la consommation électrique totale française actuelle.

Par ailleurs, les technologies de communication s’empilent (de 2G à 5G, toutes fonctionnent pour l’instant), additionnant les consommations ainsi que les coûts de maintenance. Arrêter complètement la 2G ou la 3G, comme le souhaite Orange fin 2025 et 2028 respectivement, n’est pas si simple puisque nombre d’équipements de particuliers ou professionnels (dont le système d’appel d’urgence, eCall, obligatoire depuis 2018 dans tous les nouveaux véhicules) utilisent ces réseaux, forçant ainsi le renouvellement d’appareils fonctionnels.

Toujours plus d’appareils connectés

Cela est d’autant plus dommageable que l’empreinte carbone de la 5G est en grande partie liée à l’énergie grise des équipements (toute consommation d’énergie hors usage : fabrication, acheminement, fin de vie, etc.). Ces aspects sont absents des comptabilités environnementales des industriels français, car ces matériels sont produits hors du territoire. Dans le cas d’une couverture complète du territoire, le Haut Conseil pour le Climat a chiffré que l’énergie grise de la 5G, à terme, représenterait 76 % de l’empreinte totale (l’utilisation ne comptant que pour 24 %), répartie entre les terminaux (54 %), équipements réseau (8 %) et centres de données (14 %). La part prépondérante des terminaux s’explique essentiellement par deux facteurs pris comme hypothèses : un taux de pénétration des objets connectés important et un renouvellement légèrement accéléré des smartphones, les deux favorisés par la 5G.

Avec une 6G qui se met doucement en préparation, l’industrie des télécoms spécule à bon train sur les futurs usages révolutionnaires. En plus de ceux, probablement nombreux, que la 5G n’aura pas fait émerger, il faudra compter sur plus de réalité augmentée ou virtuelle à l’heure où la sobriété est nécessaire pour répondre à la crise énergétique et au changement climatique en cours. De quoi sérieusement questionner le rapport que nous souhaitons avoir avec le numérique dans les années à venir et la volonté des entreprises d’entretenir des prophéties technologiques autoréalisatrices.

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