Loi immigration … suite

La gauche gagne, le RN pavoise, cherchons l’erreur !

Lors de l’adoption de la motion, Mathilde Panot, député LFI, s’est réjouie « Nous allons épargner au pays 2 semaines de discours xénophobes et racistes». Quelle illusion ! Quel aveu de défaite des idées! Cette motion de rejet aura parfaitement reflété la position de la gauche depuis 2 ans que cette loi est annoncée : « moins on en parle mieux ça vaut ». Mettons la question sous le tapis !

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Bien sur la question reviendra ! Ce n’est pas par hasard si on en est à la Énième loi sur l’immigration. Il y en aura une N+1ème. Car l’immigration est une constante de l’organisation de la production capitaliste partout dans le monde, c’est pourquoi  elle est aussi une composante majeure de la classe ouvrière aujourd’hui. Or face à l’offensive anti ouvrière que constitue une attaque contre l’immigration, la gauche se sera contenté d’une guérilla parlementaire, d’une tribune dans Libé le 12 Septembre, d’une réunion le 7 Décembre à St Ouen avec 200 personnes sans la direction de LFI, première organisation de gauche… Cette offensive réactionnaire n’aura donné lieu à aucune mobilisation sérieuse et encore moins de masse de la part de la gauche.

A commencer par la bataille des idées. Non seulement elle a été perdue comme le souligne la phrase défaitiste de Mathilde Panot, mais cette bataille n’a même pas été amorcée. Vous avez entendu parler d’une mesure de gauche sur l’immigration ? Il y en a pourtant une à marteler constamment : Une loi Immigration est avant tout une loi anti ouvrière. Parce que l’immigration en France c’est non seulement 10% de la population, mais 20% des travailleurs comme l’ont encore mis en valeur les confinements. Chacun sait que l’activité des travailleurs immigrés est indispensable à la marche des économies occidentales dans tous les secteurs, services à la personne, BTP, industrie, livraison, santé etc. C’est ce qui fait que l’immigration a augmenté en Italie depuis l’élection de Meloni, la Marine Le Pen italienne. C’est ce qui fait dire à Viktor Orban, pourtant précurseur au pouvoir de cette extrême droite anti migrants: «  d’ici un an ou deux, la Hongrie [allait] avoir besoin de 500 000 nouveaux travailleurs ». En conséquence de quoi, après avoir bloqué les migrants syriens en 2015, Viktor Orban fait appel aujourd’hui à des travailleurs philippins et indonésiens, ces derniers au moins autant musulmans que les syriens !  Proportionnellement c’est comme si une fois élue Marine Le Pen annonçait l’entrée de 3 millions de travailleurs immigrés en France ! Lorsque les israéliens tentent de se passer des travailleurs palestiniens ils font appel à des travailleurs thaïlandais, autre preuve de la nécessité de l’appel à l’immigration pour faire tourner la machine capitaliste qu’aucun des partis anti immigrants ne met en cause. Bref ! Chacun sait que la mondialisation et l’immigration, avec des hauts et des bas, des ajustements ponctuels, se poursuivront, car ils sont tous deux constitutifs de l’organisation du capitalisme d’aujourd’hui.

L’hypocrisie et le cynisme : Que la discussion ai porté en particulier sur la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension révélait parfaitement le fond de l’affaire.

Refuser de régulariser des travailleurs en poste c’est en connaissance de cause, cyniquement, maintenir une fraction des travailleurs dans l’illégalité et la précarité de façon à leur imposer des conditions de vie et de salaires iniques. Pour les exploiter eux, mais aussi pour imposer comme base minimum des conditions salariales plus basses que celles qu’impose la législation, et ainsi de proche en proche faire pression sur tous les salaires.

La suppression de l’AME, l’aide médicale d’état est du même ordre : sur qui reposera les risques lorsqu’un travailleur ne sera pas soigné, sera contagieux, ou absent, si ce n’est sur les autres travailleurs , y compris les natifs, qu’il côtoie au travail ou dans son quartier ?

Repousser les droits aux prestations sociales à 5 ans de présence, et donc de cotisation, c’est préparer la dégradation des droits aux prestations sociales pour tous, etc.

Toutes les mesures de la loi une fois décortiquées se révèlent pour ce qu’elles sont : des mesures contre l’ensemble de la classe ouvrière et pas seulement contre les immigrés.

LA GAUCHE ABSENTE

Face à ça avez-vous entendu la gauche dans les media venir contrer frontalement les arguments des droites, macronistes, Républicains, RN ?

  • Qu’il est inévitable que les prisons soient à moitié remplies d’étrangers puisque ces derniers sont maintenus dans une situation précaire et illégale. Ça a toujours été vrai : « classes laborieuses, classes dangereuses » ont toujours dit les dirigeants des classes dirigeantes de tous les temps.
  • Que les immigrés ont forcément un taux de chômage supérieur à celui des natifs puisqu’ils sont dans les emplois les plus précaires et servent de variables d’ajustement aux contraintes de production. Ce sont les premières victimes « du volant de chômage nécessaire» à la production capitaliste.
  • Qu’il est normal qu’ils coûtent plus en accidents du travail et en maladie puisqu’ils ont les emplois le plus dangereux.
  • Que le « regroupement familial » n’est pas du à l’application de lois extérieures à la nation, européennes ou autre. C’est l’inverse qui est vrai. Ces lois intègrent le regroupement familial parce qu’il fait partie des droits humains. Libre alors aux tenants des durcissement de la loi d’assumer d’aller contre les droits humains.
  • Que lorsqu’un natif commet un crime, parmi les 900 commis en France chaque année, personne ne généralise comme les médias et les politiques le font à l’égard de tous les immigrés.

Au-delà de contrer la propagande des droites, il faut développer LA solution : pour que l’immigration soit choisie et non subie, ce qui la réduirait drastiquement et satisferait tout le monde, la seule solution réaliste à terme, est qu’il faut permettre le développement des pays du Sud. Donc se rapprocher d’eux, et justement les immigrés en sont un détachement ici. Toute autre solution, telle que cette loi immigration, participe d’une solution à l’israélienne, celle d’une citadelle assiégée, s’opposant au reste du monde derrière des murs de protection illusoires, stratégie  vouée aux conflits sans fin et à l’échec.

MOBILISER

En plus de cette bataille des idées non menée, la gauche aurait dû mobiliser massivement, en prolongement du mouvement sur les retraites par exemple. Au contraire la gauche aura tout fait pour tenter d’éviter le sujet. Elle aura été en permanence sur la défensive, toujours en retard et en réaction à Darmanin et au RN, au lieu d’être à l’offensive. Ne pas mobiliser toutes les forces pour défendre la partie des travailleurs attaquée parce qu’étrangère, c’est diviser les travailleurs. C’est préparer que demain les dirigeants du système s’en prennent successivement aux assistés, aux chômeurs, aux banlieues, aux CDD, aux entrepreneurs individuels etc… Que demain ces dirigeants utilisent toutes les différences, les spécificités, les inégalités, qui sont réelles, pour diviser jeunes et vieux, hommes et femmes, manuels et intellectuels, employés et ouvriers, ville et campagne, afin de faire oublier le gouffre qui sépare tous ces travailleurs des 1% les plus riches qui accumulent les milliards pompés sur le travail des premiers. Interrogé sur France Inter lundi matin 11 décembre, Alexis Corbière député LFI frôle presque l’idée qu’il s’agit bien d’une loi anti ouvrière, mais c’est noyé dans  un ensemble de considérations secondaires qui noie le propos et explique le manque de conviction à mobiliser sur le sujet. La loi immigration était pourtant l’occasion pour la gauche de révéler la politique anti ouvrière de Marine Le Pen, (et des autres mais en particulier d’elle), et de la ramener à son rôle « de l’autre candidat des riches », comme dit François Ruffin.

On finit par se dire que les partis de gauche ne représentent pas les intérêts des travailleurs des classes populaires, mais plutôt ceux des classes moyennes dont ils sont composés. En particulier la fraction intellectuelle des classes moyennes, plus portée à dénoncer le racisme (très bien !), à faire des références historiques (parfois justes, très bien aussi !), qu’à mener la riposte contre les agressions à l’égard de la fraction la plus exposée des travailleurs. Or le rassemblement autour de l’immigration est la pierre de touche de la lutte de classe, la pierre de touche donc d’une unité de la gauche qui ne sera jamais solide sans elle ! Elle en est l’un des marqueurs.

Ces partis de gauche ont l’occasion de se rattraper (un peu) lors de la journée des migrants le 18 Décembre 2023. 14 collectifs de Sans-papiers, la Marche des Solidarités et plus de 200 organisations appellent à manifester contre le projet de loi Darmanin. Preuve supplémentaire que la motion de rejet n’a pas soldé la question et que la lutte ne fait que commencer ! Cette initiative d’ailleurs devrait être celle des organisations de gauche et non celle de collectifs précaires de sans-papiers ! Espérons que le nombre de manifestants soit supérieur au nombre d’organisations signataires !

Jacques Lancier

Pour comprendre qu’une loi anti immigration n’est qu’une loi anti ouvrière de plus,  pour être à l’offensive et non sur la défensive sur la question,

« Étrangers, immigrés Bienvenue! Vous aussi êtes ici chez vous »  

Editions l’Harmattan  Questions contemporaines 2023 160 pages, 18 €. Numérique 14 €.

https://blogs.mediapart.fr/jacqueslancier/