Bon pied, bon œil

Je vous le dis tout de go, n’hésitez pas à acheter des myrtilles en vrac chaque fois que vous le pouvez.

 

La myrtille a de multiples  vertus dont la principale à mes yeux est d’être délicieuse que ce soit sous forme de confiture, en tarte ou quand vous vous en empiffrez à pleins creux de votre main. Dans ce dernier cas, elle coloriera même joliment votre menton et si vous savez y faire vous en aurez jusque sur les pommettes  et même derrière les oreilles.

Consommées crues, elles vous réserveront une belle surprise. Surtout si vous avez la mémoire défaillante. Quand vous urinerez, vous verrez votre urine prendre une belle coloration rouge sombre un peu violacé qui vous donnera une envie quasi-immédiate de prendre rendez-vous en urgence avec un membre de la faculté de médecine. Si cela vous arrive en veille de 15 août et que vous savez que les médecins sont sans doute presque tous partis sur la plage pour faire le pont, vous pourrez vous offrir une montée d’adrénaline et des palpitations qui gâcheront le vôtre. Sauf bien sûr si votre consommation de myrtilles a sauvegardé votre mémoire et contribué à réduire les risques de maladies cardiovasculaires. Eh bien oui ! Ce petit fruit rouge est une source d’antioxydants comme aucun autre et sa consommation régulière réduirait bien  des risques et contribuerait même à lutter contre certaines pathologies comme le diabète.

La myrtille apporte également sa contribution à un vieux débat.  L’œuf  a-t-il précédé la poule ou est-ce la poule qui, indépendamment de son ardent désir de se perpétuer, nous a permis d’apprécier l’œuf en omelette ou sous forme de…Je m’égare. C’est de la myrtille que je vous entretiens, l’œuf c’est pour un autre jour et une autre chronique. L’œuf et la poule ou la poule et l’œuf,  la myrtille qui prévient la perte de mémoire ou la mémoire, perdue par manque de myrtille, qui vous empêche   de vous souvenir que  certains de ses pigments alimentaires colorent les urines. C’est la question.

Quand une personne bien intentionnée à mon égard me pose la rituelle question : «Comment ça va ? », je réponds toujours aussi invariablement : « L’oeil est vif et les urines sont claires ». Certains prennent cela pour une manifestation de mon incommensurable humour, pour d’autres, le temps suspend son vol et comme ils n’ont pas préparé la suite d’une conversation qui n’a jamais vraiment commencé, un grand silence s’installe. Je ne le romps jamais car après tout ce n’est pas moi qui ai commencé, cela ne me pèse pas car je suis dès lors occupé avec mon sourire intérieur fait de myrtilles qui améliorent la vue et colorient les urines, sujet que mon interlocuteur a ravivé sans le savoir.

En effet ! Une des nombreuses vertus de la brimbelle serait d’améliorer la vision nocturne et prémunir contre certaines dégénérescences oculaires en raison d’une forte présence de la vitamine A. Si dans la rue vous rencontrez un homme, plus rarement une femme, dont le menton, les joues et le pourtour des lèvres sont barbouillés d’une coloration rouge-violacée, ne cherchez plus, vous avez affaire  à un pilote de chasse revenant de mission ou à un officier de marine qui vient d’achever son quart de nuit sur la passerelle d’un porte-avion.

La richesse en flavonoïdes, de puissants antioxydants, font de l’embrune un fruit protecteur de vos neurones et précieux pour le bon fonctionnement cérébral. Il ralentirait le vieillissement prématuré de vos cellules. Certaines personnes bien informées mais qui gardent secrètes leurs sources avancent même que la myrtille consommée en abondance, entendez par seaux entiers, n’aurait pas son pareil pour transformer en un temps record un imbécile en futur prix Nobel. D’autres nous ont fait savoir que le rhinocéros d’Afrique étant définitivement protégé et sa corne se faisant de ce fait de plus en plus rare, nos amis de Chine auraient opté pour la myrtille pour leur garantir des érections de qualité. Ceci explique sans doute l’augmentation de l’exportation de myrtilles à destination de la Chine par le Pérou qui avoisinerait en  2017 les trente mille tonnes.

Une petite baie de moins d’un centimètre de diamètre la plupart du temps, au léger goût sucré, appelée tantôt myrtille, tantôt brimbelle, tantôt embrune et même bleuet au Canada, aurait donc tant de qualités.  Une petite baie dont on consomme même les feuilles de l’arbrisseau qui la porte, en décoction ou en tisane. Elles auraient des effets sur le diabète mais cela n’a jamais été scientifiquement prouvé (DONC PRUDENCE).

Il est grand temps que je mette mon  petit tablier de cuisine et que je  confectionne devant vous ma tarte aux myrtilles pour émoustiller vos papilles, cette tarte qui fait le bonheur de toutes celles qui m’approchent et bougonner de jalousie tous les autres.

La pièce maîtresse en sera bien sûr l’appareil. Deux jaunes d’œufs dans 25 cl de crème fraîche entière et liquide. Entière, sinon pourquoi ne pas prendre du petit lait carrément, liquide pour qu’elle s’étale bien et soit accueillante pour les petites baies qui sont les reines de la journée. Je mélange les jaunes d’œufs à la crème en les diluant consciencieusement. La myrtille contient beaucoup d’eau et comme beaucoup de fruits rouges risque de mouiller excessivement votre pâte à tarte qui aura toujours l’air mal cuite. Pour contrecarrer cette fâcheuse tendance des fruits, j’incorpore dans le mélange plusieurs cuillerées de poudre d’amandes et je transforme l’appareil de base ainsi obtenu en un liquide dense et homogène. La poudre d’amandes absorbera utilement l’excès d’eau du fruit et permettra à la cuisson de la pâte sablée d’atteindre sa plénitude.

Pâte sablée, ai-je précisé. Je suis incapable de la faire moi-même par incompétence et paresse, je l’achète donc toute faite, en veillant cependant qu’elle soit pur beurre sans  huile de palme, ni huile de moteur. J’assume cette faiblesse tout en continuant à professer un refus total et définitif de tout plat cuisiné infesté de sucre, de sel, de conservateurs et de colorants. J’étale la pâte dans un moule à tarte, en terre cuite pour  une répartition homogène de la chaleur puis je découpe soigneusement l’excédent de papier de cuisson pour éviter qu’il fasse obstacle à la diffusion de  la chaleur  du four. Sur le fond de tarte reposant sur un papier de cuisson, je verse mon appareil crémeux puis je répartis environ cinq cent grammes de myrtilles. Inutile de donner des coups de pointes de fourchettes sauf si vous y tenez absolument pour épater la galerie, fond de tarte et papier de cuisson sont presque inséparables à cru. Trente minutes dans un four préchauffé à 210 ° à  chaleur pulsée et la même durée pour laisser refroidir la tarte qui est bien meilleure froide. J’exclus tout nappage de la tarte. Il me ferait, sous le prétexte d’embellir afin de régaler mon regard autant que mes papilles, surtout absorber le sucre que j’ai soigneusement évité d’intégrer dans ma préparation.

Si d’aventure ou par pure obstination, vous envisagiez de faire votre pâte sablée vous-même, vous pouvez réaliser une opération supplémentaire dont le seul gain est esthétique. Une perte de temps, me semble-t-il, car celui que vous consacrez à admirer votre création retardera d’autant votre plaisir gustatif. Ici, comme en toute chose, il vous faudra faire un choix et l’assumer sans gémir. Cette opération c’est le fonçage.

Je passe sur la première étape de la confection de la pâte sablée. Une fois votre toile cirée  saupoudrée de farine pour que votre pâte s’étale en toute liberté sans adhérer à la toile, vous posez votre boule de pâte et vous la travaillez avec un  rouleau à pâtisserie en bois, de préférence à une bouteille d’utilisation plus pénible. Un rouleau à pâtisserie en bois s’achète pour moins de six sous dans toutes le grandes surfaces et pour rentabiliser et amortir votre investissement, vous pourrez toujours l’utiliser pour faire revenir à la raison un conjoint récalcitrant. Mes admiratrices savent  ce à quoi je fais lourdement allusion.

Quand votre boule de pâte  sera soigneusement et finement étalée, vous disposez d’un fond de tarte plus grand que votre moule. Ce dernier  n’excède généralement pas les trente centimètres de diamètre sous peine de rendre impossible tout démoulage sans transformer ce qui doit être votre chef-d’œuvre en une masse informe.  Votre création à domicile ne vous fournit aucun papier de cuisson et vous contraint à graisser légèrement le moule. Je vous recommande pour cela l’huile de pépins de raisins de préférence au beurre dont il ne faut pas abuser. Huile donc pour sa répartition homogène, de pépins de raisins car inodore et sans goût. Comme pour la mayonnaise, je déconseille l’utilisation de l’huile d’olive au parfum et au goût peu compatible à mon sens avec ce que nous attendons d’une tarte aux fruits. Le diable se niche dans les détails, voyez-vous.

Une fois le fond de tarte abaissé dans votre moule, vous foncez votre moule en  aplatissant la pâte de la paume de la main pour chasser tout l’air emprisonné puis d’un index recourbé vous formez l’angle droit avec le rebord vertical du moule. Vous formez ensuite un léger bourrelet de pâte vers l’intérieur du moule puis vous passez  votre rouleau sur le rebord du moule  éliminant ainsi l’excédent de pâte. Il ne vous reste plus qu’à pincer le bourrelet pour enjoliver les bords de la tarte. Il n’est par ailleurs pas inutile de donner quelques coups de dents de fourchette dans le fond pour permettre aux dernières bulles d’air de s’échapper et ne pas  se dilater sous l’effet de la chaleur et former une cloque inattendue.

Vous devinez les raisons profondes qui me font opter pour une pâte sablée toute faite.

Seul les amoureux transis dans la phase passionnelle de leur élan se lancent dans la confection d’une tarte totalement faite maison. Je ne garantis pas la véracité de cette affirmation et vous conseille amicalement de n’en pas faire un test pour mesurer l’intensité des sentiments de votre compagnon ou de votre compagne.

Je vous sens abattu, j’en devine les raisons. Quand tout à l’heure, je prélèverai un petit huitième de ma merveille et le déposerai dans une petite assiette en porcelaine blanche à l’aide de la pelle à tarte en argent que j’ai héritée de ma grand-mère, j’aurai une pensée pour vous. Quand ma petite cuillère, tout à fait banale, portera la première bouchée à mes lèvres frémissantes, je penserai à vous très fort, je vous le promets.

A bientôt, j’espère.

FK