Monsanto, L’Oréal, Amazon, BNP, Auchan

Les gilets jaunes multiplient les actions contre des multinationales

Dénonçant les « dérives de l’économie de marché » ou les grandes entreprises qui essaient d’échapper à l’impôt, des gilets jaunes mènent depuis plusieurs jours des actions de blocage ciblant des enseignes de la grande distribution – comme celles de la famille Mulliez – des géants de l’industrie comme Monsanto, des agences bancaires ou des entreprises appartenant à de grandes fortunes. Ils y revendiquent « une meilleure justice sociale », une véritable lutte contre l’évasion fiscale, la « taxation des produits financiers », ou encore un financement de la transition écologique « non par les pauvres », mais « par les entreprises multinationales ».

La mobilisation des gilets jaunes continue de se distinguer par l’inventivité de ses modes d’actions. Plusieurs grandes entreprises ont été ciblées ces derniers jours par leur mouvement, un peu partout en France. Le 12 décembre, à Toulouse, des gilets jaunes ont ainsi bloqué les accès de l’agence de livraison du géant du e-commerce Amazon. Ils réclament que le groupe américain paie ses impôts en France. Une demande régulièrement formulée au sein du mouvement, et rapidement évoquée par Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 10 décembre. « Le dirigeant d’une entreprise française doit payer ses impôts en France, et les grandes entreprises qui y font des profits doivent y payer l’impôt. C’est la simple justice » a-t-il déclaré sans préciser la nature des mesures qu’il envisageait de mettre en œuvre. Il y a un an, en octobre 2017, après une enquête sur les pratiques fiscales d’Amazon, la Commission européenne avait d’ailleurs conclu « que le Luxembourg avait accordé à Amazon des avantages fiscaux indus pour un montant d’environ 250 millions d’euros ». Si l’entreprise est censée rembourser cette somme, aucune amende ni sanction ne sont prévues [1].

Autres cibles des gilets jaunes, les trois grands centres commerciaux de l’agglomération de Caen ont également dû fermer leurs portes durant plusieurs heures samedi 8 décembre. Des grandes surfaces Carrefour, Leclerc, ainsi que différentes enseignes ont été affectées. « On veut toucher l’économie », explique encore un gilet jaune qui participait à une action de blocage de « tous les magasins de la zone appartenant au groupe Mulliez », le 1er décembre à Saint-Brieuc (Côtes d’Armor). « Au début, on ne ciblait pas la bonne cible. On a dérangé beaucoup de gens et on s’est mis une partie de la population à dos en les bloquant », commente l’un des gilets jaunes.

Une soixantaine de #GiletsJaunes ont fait fermer le #Carrefour d’#Herouville en fin de matinée. Portes closes a 12h45 toujours… pic.twitter.com/XyOHk4zexS

— Liberté Caen (@LIBERTE_CAEN) 8 décembre 2018

Toujours en Bretagne, l’entrée du site de l’usine Nokia à Lannion a été bloquée le 5 décembre dès 7h du matin. Les gilets jaunes y ont « dressé des panneaux appelant à la 6ème République et faisant référence à Mai 68 », raconte un journaliste de Ouest France.

Mulliez, Bettencourt, Arnault et Gattaz dans le collimateur des gilets jaunes

Si des gilets jaunes ont visé le groupe Mulliez, c’est parce qu’il représente à leurs yeux « les dérives de l’économie de marché » [2]. La famille Mulliez, qui contrôle le groupe Auchan et des dizaines d’autres enseignes (Leroy Merlin, Boulanger, Cultura, Bizzbee, Kiabi, Flunch, Décathlon, Norauto…) est à la tête d’une fortune de 38 milliards d’euros [3]. C’est « l’un des plus riches patrons français qui paye ses impôts en Belgique », a expliqué Benoît Julou, membre du groupe Facebook « le pouvoir du peuple 22 », pour justifier cette action. La veille du blocage, les participants à l’action avaient aussi annoncé vouloir cibler le groupe Mulliez pour « avoir un impact direct sur Macron », en touchant des enseignes qui, selon eux, appartiennent à l’un de ses proches.

 Lire aussi notre enquête : De Nutella à Chanel en passant par Dassault : les combines pour devenir milliardaire et le rester

Le 10 décembre, des gilets jaunes de l’Allier se sont installés à l’entrée de l’usine « Cosmétique active production », qui appartient au groupe L’Oréal. Si les salariés du site pouvaient se rendre à leur travail, une dizaine de gilets jaunes ont en revanche empêché l’accès du site aux camions. « Puisque Macron ne veut pas entendre ceux qui gagnent 1000 euros par mois, il entendra peut-être ceux qui lui rapportent de l’argent. C’est pour ça que nous bloquons l’Oréal », a expliqué un manifestant. Là-encore, L’Oréal est une histoire de famille avec les Bettencourt, deuxième fortune française (voir notre article ici). Au lendemain du discours d’Emmanuel Macron, un scénario similaire s’est produit dans l’Indre, devant l’usine Vuitton de Condé. Vuitton est l’un des symboles de l’industrie du luxe français, propriété de la plus grosse fortune française Bernard Arnault (LVMH), qui a accumulé 73,2 milliards d’euros [4]. Une quinzaine de manifestants ont bloqué les expéditions, empêchant les camions d’entrer et sortir pendant environ quatre heures, tout en laissant passer les salariés.

#GiletsJaunes : blocage des camions à l’usine de Vuitton de Condé à #Issoudun #Indre depuis ce matin.https://t.co/lu64sHkYOg

— France Bleu Berry (@FB_Berry) 11 décembre 2018

 L’ancien président du Mouvement des entreprises de France (Medef), Pierre Gattaz, a lui-même fait l’objet d’une action pacifique le 8 décembre. Des gilets jaunes ont accroché deux banderoles devant sa villa à Sannes, dans le Lubéron (Vaucluse), affichant « Gattaz voleur », et faisant référence aux « 20 milliards d’euros du CICE ». En 2014, Pierre Gattaz avait promis la création d’« un million d’emplois » en contrepartie de la mise en place de ce dispositif exceptionnel d’exonération de cotisations sociales pour les entreprises. Il dirige aujourd’hui BusinessEurope, le principal lobby d’affaires européen, qui s’est récemment fait remarquer pour son opposition farouche aux mesures de transition écologique (lire notre article ici).

LCL, BNP ou la Société générale ciblées pour « taxer les produits financiers »

Le secteur bancaire n’a pas échappé à ces actions. Des gilets jaunes ont organisé une opération contre des banques le 5 décembre, dans le centre-ville de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Une cinquantaine de personnes ont recouvert de peinture jaune les façades de la BNP, puis de la Société générale. Parmi les affiches plaquées contre les vitrines, on pouvait lire : « Frais bancaires, agios, crédit à la consommation… Évasion fiscale pour les riches, racketteur pour les autres », ou encore « Crise 2008 : 1000 milliards pour renflouer les banques responsables, sans contrepartie ».

 

bastamag.net