La France a du sang sur les mains

Exemple en Egypte

La France, une des principales puissances économiques, est aussi l’un des principaux États créanciers de la planète, avec des créances bilatérales (c’est-à-dire sur des États tiers) de plus de 41 746 millions d’euros au 31 décembre 2016, soit 14,5 % de l’encours total des créances du Club de Paris (ce club, sans aucun statut juridique, regroupe les 21 principaux États créanciers et est hébergé à Bercy). De même, la France joue un rôle non négligeable dans les orientations du FMI et de la Banque mondiale, en raison du poids démesuré accordé aux pays riches dans ces institutions.

Cette position de la France – qui n’est pas sans rapport avec son histoire coloniale – est utilisée à outrance pour faire du fric : soutien aux dictatures, ventes d’armes, blanc-seing donné aux banques commerciales françaises, imposition de réformes libérales favorisant les multinationales, etc. Du fric réalisé en se moquant de la souveraineté des peuples, que l’on appauvrit en leur demandant de payer des dettes illégitimes et odieuses quand elles ne sont pas illégales, et souvent insoutenables puisqu’elles exigent de sacrifier des droits humains fondamentaux afin d’être remboursées. En voici quelques exemples.

En juillet 2013, Abdel Fattah Al-Sissi, alors chef de l’armée égyptienne, avait profité de la poursuite d’un impressionnant mouvement révolutionnaire pour prendre le pouvoir par les armes. Dans les semaines qui avaient suivi, il avait déployé une répression féroce contre les partisans des Frères musulmans ou présumés tels, et contre tous les opposants politiques et en particulier ceux qui revendiquaient la continuation de la révolution, contre les journalistes, les personnes LGBTI, les ONG. Les exécutions extrajudiciaires (qui se sont comptées par centaines lors de la répression des rassemblements contre le coup d’État en juillet et août 2013), les arrestations arbitraires (qui concernent des dizaines de milliers de personnes) et les condamnations à mort par des tribunaux militaires sont autant de caractéristiques de ce régime.

Le dictateur a su convaincre les principaux créanciers que l’autoritarisme d’un pouvoir militaire réaffirmé était garant de stabilité et digne de confiance. L’Égypte a signé en novembre 2016 un prêt de 12 milliards de dollars avec le FMI, avec deux conditions principales : l’adoption d’un taux de change flottant (ce qui a fortement augmenté l’inflation) et la réduction drastique des subventions publiques – bref, faire payer les pauvres.

La France, qui a déplié le tapis rouge pour accueillir Al-Sissi en octobre 2017, détenait plus d’un milliard d’euros de créances sur l’Égypte au 31 décembre 2016. Formellement, ces prêts bilatéraux servent généralement à la mise en œuvre de partenariats commerciaux et d’investissements divers – une part importante des financements français est ainsi consacrée au développement du métro du Caire. Ces projets peuvent certes être utiles, mais ont pour principales conséquences de renforcer la dépendance de l’Égypte à des puissances tierces (en l’occurrence, la France) et de légitimer un despote !

Poussons le raisonnement plus loin. En accordant des fonds pour la construction de lignes de métro, la France permet à Al-Sissi d’en libérer d’autres pour acheter ses équipements militaires. En février 2015, ce sont des contrats portant sur 24 avions de chasse Rafale (avec une option portant sur 12 avions supplémentaires, qui était l’un des enjeux de la visite d’Al-Sissi à Paris en octobre 2017 comme de celle d’Emmanuel Macron au Caire en janvier 2019 ), une frégate et des missiles, qui étaient signés pour un montant total de 5,2 milliards d’euros (on pourrait aussi parler de la vente de quatre navires de guerre en 2014, et de celle, en 2016, des deux fameux porte-hélicoptères Mistral initialement destinés à la Russie avant que la guerre en Ukraine ne fasse capoter le deal).

Pour près de moitié, les 5,2 milliards d’euros d’achats d’équipements militaires de février 2015 sont financés par un prêt émis auprès d’un « pool » de banques commerciales, regroupant notamment on retrouve la BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole. Un prêt garanti par … Bpifrance, la banque publique d’investissement du ministère des Finances français.

Outre ces armements lourds, la France est en tête des ventes d’armes destinées à la répression intérieure en Égypte, les exportations ayant systématiquement augmenté à partir de 2011, et de manière très importante suite à la prise du pouvoir par Al-Sissi, en violation des obligations européennes et internationales auxquelles la France devait souscrire. C’est ce qu’ont démontré le rapport Égypte : Une répression made in France publié par la FIDH en juin 2018 et celui publié par Amnesty International en octobre 2018, Égypte : Des armes françaises au cœur de la répression. L’État français porte ainsi une lourde responsabilité dans la répression sanglante qui a permis l’affirmation d’un nouveau pouvoir dictatorial en Égypte.

La France, ses industries d’armement et ses entreprises financières réalisent ainsi d’importants bénéfices sans se soucier d’avoir du sang sur les mains – celui des populations égyptiennes, mais aussi yéménites et libyennes sur lesquelles pleuvent les bombes d’Al-Sissi.

Les dettes de l’Égypte envers la France sont odieuses – c’est le Parlement européen lui-même qui le dit, dans une résolution du 10 mai 2012 se rapportant aux dettes des régimes renversés en 2011, qui reste d’actualité puisqu’elle n’a pas été appliquée et puisque les politiques à l’œuvre sous Moubarak ne sont que renforcées sous Al-Sissi. Ces dettes doivent être annulées, les contrats de vente d’armes doivent être rompus et des sanctions doivent être prises contre celles et ceux qui ont permis la vente d’armes au régime criminel d’Al-Sissi.

Cadtm.org

Voir également dans la série « Créances douteuses : La dette n’a pas d’odeur » :
France-Cameroun : Permis de piller !
Tunisie : La France blanchit une dette odieuse
Sauvetage de la Grèce : une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !
Rwanda-France : Responsabilités et financement du génocide