Contre le Covid, la démocratie et l’autogestion

Le grand relâchement

Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de faire un déplacement dans le cadre de mon travail, dans un joli château à la campagne. Pendant deux jours, c’était comme si le Covid n’existait plus. Nous n’avions pas parlé de respect des règles sanitaires et ce qui allait comme une évidence n’en était une pour personne. J’étais arrivée plus tôt, profitant d’avoir eu le Covid et d’être immunisée pendant au moins quelques semaines pour laisser tomber le masque avec un administrateur assez âgé de l’association pour laquelle je travaille. Nous en avions parlé deux secondes, il m’avait tenue au courant des obligations concernant le port du masque dans son département, je l’avais informé de ma maladie récente et proposé le non-port entre nous deux. Mais quand les autres sont arrivé·es, j’ai remis mon masque dans le hall pile au même moment qu’elles et eux qui entraient enlevaient le leur… Et jamais il n’a été question de décider ensemble du niveau de risque que nous étions prêt·es à prendre, à un moment où le virus circule autant qu’en mars 2020 et sur tout le territoire. Assis·es pendant nos travaux autour d’une grande table, mais pas assez grande pour être à bonne distance les un·es des autres, dans une pièce assez grande et haute (la vie de château) pour absorber nos aérosols mais pas aérée exprès, personne ne portant de masque, nous faisions comme si le virus n’existait pas. Sauf au moment de dresser la table du repas dans une autre pièce… attention, on va disposer les assiettes en quinconces ! Soit : maintenant qu’on a baisé sans capote, on va réduire les risques en évitant de se serrer la main.

Je vous avoue que j’en ai profité, après une semaine d’isolement Covid (ajouter une semaine de précaution) et sachant que je n’avais aucun risque d’être contaminée ou de contaminer autrui, et surtout pas l’administrateur septuagénaire et pas encore vacciné. De véritables vacances j’oublie tout. Mais mes scrupules devant autant d’incivisme étaient visiblement peu partagés. Je n’ai parlé de cette situation qu’à une personne, un homme qui partageait mon scepticisme et avait pour sa part fait un test pour l’occasion, sans savoir si les autres lui rendraient ce bon soin. Alors que mon association se prive depuis octobre de toute rencontre et met en place des protocoles exigeants, bien informés, publiés à l’avance pour ne surprendre personne et surtout suivis (pour les réunions qui ne sont pas annulées), nos membres et partenaires en sont à deux clusters couronnés de succès, sans compter celui-ci dont les efforts semblent avoir été vains à propager le virus pour faire crever les personnes les plus fragiles et pourrir la vie de tout le monde au passage. Si cette rencontre de travail avait réuni des promoteurs du laisser-faire et chacun·e sa gueule, des libertarien·nes ou des fascistes, j’aurais compris. Mais des écolos, vraiment ? Alors qu’à l’origine les seul·es qui prenaient au sérieux les questions de santé, c’était nous ?

Aujourd’hui je lis des absurdités dans la presse écologiste, y compris sous la plume de personnes dont j’apprécie d’habitude les écrits. S’insurger contre le port du masque en plein air, c’est compréhensible. Vu le rôle des aérosols dans la transmission (rôle longtemps ignoré jusqu’au sommet de l’État par celui qui se prétend désormais virologue-immunologiste-épidémiologiste), il semble désormais acquis que le masque en extérieur est inutile sauf dans des rassemblements au cours desquels les personnes restent en contact rapproché pendant un temps assez long. Mais le port du masque par les personnes qui ne sont pas infectées, inutile d’après ces écolos radicaux ? Rappelons que le préservatif est conseillé pour les mêmes raisons : on l’utilise quand on ne connaît pas avec certitude son état de santé. Et avec sept jours de latence dans le cas du Covid pour pouvoir tester son statut, on ne sait jamais avec certitude qu’on ne risque pas de contaminer les autres, sauf à avoir été isolé·e tout ce temps. Voilà pourquoi, cher·es ami·es écologistes et technocritiques, le port du masque est utile en intérieur. (Prochain billet : faut-il vraiment se laver les mains après avoir fait caca ou est-ce un complot de l’industrie du savon ?)

Et à part ça, la presse bruisse de scandales sur des restaurants clandestins pour riches ou des fêtes improvisées dans les ministères. La gestion gouvernementale pitoyable, les deux poids-deux mesures (cantines mais pas restaurants, collègues mais pas famille), les protocoles à deux sous sans investissement, les mesures inutiles (le port du masque en extérieur aurait pour principale utilité de nous rappeler l’existence d’une crise sanitaire, pour les distrait·es), l’injustice profonde d’amendes distribuées plus allègrement aux pauvres, qu’elles mettent dans la merde, qu’aux riches dont ça renchérit à peine une facture de déjeuner à 400 €, des dîners à dix en plein confinement par un président de la République à son pic de contagion Covid, tout ça fait péter des câbles. Bravo, c’était une bonne idée de gaspiller nos efforts du premier confinement pour ne pas bâtir de stratégie zéro Covid. Aujourd’hui à Singapour, un pays qui l’a fait, les gens portent le masque et la vie a repris normalement. Les restaurants et les théâtres sont ouverts, l’économie n’a pas trop souffert. Mais devinez qui là-bas ne porte pas le masque au boulot et serre les paluches pour dire bonjour ? Les Français expatriés qui profitent du contexte zéro Covid créé par les efforts des autres. Bravo encore, merci la France pour ton cadeau au monde.

Faillite du politique

J’ai beaucoup glosé ici sur les faillites du politique, et je suis loin d’être la seule. Souvenons-nous : le calme plat en février 2020 (une vacance du poste de conseillère santé à l’Élysée, aucune mesure sanitaire prise alors qu’à l’école où j’étais étudiante c’était le cas depuis le 28 janvier), l’inacceptable mensonge sur les masques, le « quoi qu’il en coûte » mensonger puisque les investissements ont été ridicules (à l’hôpital, à l’école et ailleurs où les bâtiments recyclent toujours un air intérieur vicié, plus d’un an après), une campagne vaccinale pas préparée (et qui ne vaccine plus dans le respect des priorités médicales mais dans l’urgence, des jeunes urbain·es), le stop and go et l’incertitude, le drame de la monarchie et cette couche d’incivisme crasseux d’autant plus choquante qu’elle est le fait de ceux qui nous gouvernent (1). Et pour finir un « plan de relance » qui est à vrai dire un plan d’austérité et maintenant qu’en face Biden le centriste fait beaucoup mieux, ça commence à se voir. Ce que nous dit le néolibéralisme, c’est que la société, ça n’existe pas. C’est en contradiction avec des mesures de santé publique par temps de pandémie : la société, ça existe. Nous sommes ainsi écartelé·es entre deux registres d’action, le libéralisme individualiste et la solidarité, avec un petit fond latin pour rajouter. Nos comportements vont donc à vau-l’eau et pour y changer quelque chose, il va falloir changer de culture.

Pour changer de culture, il faut penser mieux que ça la société. Or, s’il y a deux choses qui ont négligées depuis le début de la pandémie en France, c’est les acquis des sciences sociales et de la pandémie de Sida. Forcément, quand on pense que la sociologie est un repaire d’islamo-gauchistes et que le job d’un président c’est d’être un roi-philosophe-virologue-immunologiste-épidémiologiste-futur prix Nobel de médecine-Jupiter incarné, on est mal barré pour travailler sur les comportements des gens. Ça donne des amendes qui s’inscrivent dans la chasse habituelle au jeune mec racisé de classe populaire, ça donne des instructions en français « simplifié » impossibles à comprendre par les personnes qui sont ciblées, ça donne une communication sanitaire qui sert de faire valoir au beau gosse de l’Élysée-2022.fr mais fait s’arracher les cheveux aux médecins, ça donne des spots incompréhensibles. Vous avez compris, vous, si Gisèle a le droit d’embrasser ses petits-enfants ? D’abord on nous dit que oui, ensuite que non, parce que ça c’est pour plus tard, quand elle sera vaccinée mais aujourd’hui non car même si elle est vaccinée il faut continuer à respecter les gestes barrière. Évident !

Faire entrer le Covid en démocratie

Ce que nous a appris la pandémie de Sida, c’est que les punitions et le blâme sont contre-productifs et font passer sous le radar des comportements dangereux. Oui, même le blâme de quand on est énervé·e par un comportement débile (enlever son masque pour tousser) ou incivique et qu’on a envie de foutre des baffes à ceux qui mettent à mal nos efforts collectifs. Tout ça ne sert qu’à figer le conflit, à fossiliser des pratiques problématiques. Le truc qui marche le mieux, c’est l’information. C’est déjà que nous sachions tou·tes comment se transmet le Covid :

  • par la respiration dans l’air ambiant des pièces fermées et non-aérées ;
  • par la respiration en face à face pendant au moins une quinzaine de minutes.

Et cette connaissance est déjà loin d’être assurée, même si depuis le printemps dernier, après quelques incertitudes, l’état des savoirs a peu évolué. La faute à la communication sanitaire indigente mais aussi à des mesures incohérentes (le masque en plein air, par exemple). C’est un échec très grave et les représentations se sont depuis largement sclérosées mais il y a des gens qui font l’effort de transmettre des idées mal connues, comme ce site consacré à l’aérosolisation. Savoir comment on se contamine, ça contribue à savoir se protéger. Par exemple, dans les bureaux qui m’hébergeaient (dans un des clusters précités), le protocole ne prévoit toujours pas l’aération des pièces. Le masque et la distanciation réduisent les risques et l’aération les réduirait encore plus… Mais cette pratique est négligée par ignorance, un peu partout.

Autre leçon, la démocratie sanitaire : l’autoritarisme ne sert à rien pour se saisir collectivement d’un problème et la concertation marche beaucoup mieux. Je l’ai déjà vu autour de moi : Untel qui dit qu’il s’en fout, il risque rien, il est jeune, change d’avis sur son rôle quand un·e autre lui rappelle que c’est par lui ou d’autres jeunes qui ne risquent rien que passe la protection de ses grands-parents qu’il n’a pas envie de voir mourir tout de suite. La concertation informe, mobilise, améliore les pratiques, renforce le civisme. On prend acte de ce qui marche, de ce qui ne marche pas, on ajuste les protocoles à ce qui est faisable et acceptable (2), ce qui fait qu’au final ils sont mieux suivis. Ça marche mieux que la France de Macron, dans le top 10 des pays qui regardent crever leur population, avec l’Amérique de Trump et le Brésil de Bolsonaro. Ce néolibéralisme de Thatcher boy que Macron a réussi à imposer à la France en profitant d’une crise démocratique, c’est la barbarie. La barbarie et le Covid. On peut vivre autrement.

Aussi, même avec les potes, même dans les réunions de petites assos écologistes, il importe de faire vivre la démocratie sanitaire en négociant les conditions de nos rencontres. Et c’est sur ces bases-là que nous critiquerons l’autoritarisme et la mauvaise gestion des gouvernements.

http://blog.ecologie-politique.eu

Notes

(1) À lire ce reportage dans Mediapart, j’ai l’impression qu’Alain Duhamel est vraiment honteux d’avoir déjeuné à l’insu de son plein gré dans un restaurant clandestin alors que Brice Hortefeux, fidèle sarkozyste qui l’y a invité, est plutôt marri d’avoir été chopé.
(2) Je rêve par exemple que la pelouse de Reuilly serve à faire des fêtes en plein air d’avril à octobre, avec la musique à fond, des gens qui dansent masqué·es (on serait trop rapproché·es) partout sauf au bar. Ce qui nécessiterait l’imagination des pouvoirs publics ainsi qu’un peu de civisme de la part des participant·es. Désolée, je rêve. On fera mieux que ça dans ce pays, des fêtes clandestines dans des sous-sols qui puent le renfermé.