Conjuguer décroissance et relance

Un document du Mouvement politique des objecteurs de croissance belge

La crise sanitaire que nous subissons depuis un an a un impact majeur sur l’économie et sur nos modes de vie. On a assisté à la réduction des trafics aérien et automobile et donc à la diminution de la pollution de l’air et à la baisse des accidents de la route. Rares effets bénéfiques qui ne compensent pas d’autres conséquences négatives : creusement des inégalités économiques (les riches plus riches, les pauvres plus pauvres), rupture de liens sociaux que l’on découvre essentiels, invasion du numérique… Certains disent : voyez, quel malheur que cette décroissance qui nous frappe. Grosse erreur : ce que nous vivons ce n’est pas notre une décroissance, une décroissance qui devrait être voulue, réfléchie, organisée…, mais une récession, un raté du système qui reste bloqué dans le dogme croissanciste, devenu intenable.

L’impasse d’un modèle dépassé

C’est avec les idées de l’ancien monde que nos dirrigeants analysent ce qui nous arrive et imposent diverses « mesures ». C’est là pour nous et pour d’autres une erreur fondamentale. Il est impératif que nous élargissions le cadre de l’analyse comme  le montre notamment Barbara Stiegler dans son tract  De la démocratie en pandémie , paru récemment chez Gallimard.

C’est aussi avec les mêmes vieilles idées que la plupart des dirigeants espèrent et tentent d’organiser une  « relance » vigoureuse. Hélas, ils imaginent toujours pouvoir redémarrer la machine avec les vieilles recettes qui ont fait faillite. Pour les décroissants aussi, une certaine forme de reprise devra advenir mais elle n’est pas du tout celle que veulent imposer les puissants. Ce que nous vivons est un kairos, une opportunité, une occasion qu’il faut saisir, sous peine de rater le train vers une société meilleure.

Les décroissants souhaitent une réduction de la production et de la consommation, car c’est absolument nécessaire pour limiter les dégâts sociaux et environnementaux et assurer la pérénité des écosystèmes terrestres. Mais ce qui doit advenir n’est pas une version miniaturisée du modèle économique actuel, c’est un système économique radicalement alternatif induisant un ralentissement de la vie économique. Mais certainement pas un ralentissement de la vie sociale ! Décroissance rime avec dé-croyance, soit l’abandon de la foi en un progrès qui soit essentiellement techonologique, avec le credo du « nouveau et plus, c’est toujours mieux ».

Les pistes alternatives [1]

Partant de ce qui émerge de l’actuelle crise due à l’irruption d’un virus avec lequel il faudra apprendre à vivre, comme avec bien d’autres virus, dessinons les alternatives.

¨  Nous (individus et société) sommes bien plus fragiles que nous ne l’imaginions. Il convient donc de valoriser le care, cette attention aux autres qui s’appuie sur un principe de non-violence et qui promeut la solidarité envers les humains et les non-humains, tout le vivant et ce sur quoi il repose. Pratiquement cela devrait se traduire par une revalorisation de tous ces métiers de contacts, qu’ils soient de soin ou de création de liens, ce qui va de la culture jusqu’aux bars et cafés, si durement touchés, de nos champs jusqu’aux circuits courts, bases de notre avenir solidaire. Pour la médecine, la prévention devra être bien plus soutenue et non pas les produits imposés par la médecine technocratique et industrielle pour qui, trop souvent, la recherche de profits monétaires l’emporte sur le besoins des populations.

¨  Beaucoup d’emplois ont disparu et d’autres sont inutiles ou nocifs. Il faudrait moins travailler pour réduire le chômage et pour libérer du temps libre. Les tâches ingrates devraient être équitablement réparties, le travail ne doit jamais dégrader la dignité des travailleurs, doit être rémunéré de façon juste et être organisé démocratiquement. L’utilité d’un travail doit s’évaluer en fonction de la satisfaction de besoins et pas de la création de profit. Nous devons changer notre vision du travail et imaginer de nouvelles structures sociales à même de satisfaire les besoins de base, comme on le voit déjà en action dans ce qui se développe autour des « communs »  ou de  la  « gratuité ».

… La suffisance est un principe de justice distributive : tous doivent disposer d’assez pour satisfaire leurs besoins réels, de base, ce qui ne sera possible que si personne ne possède trop et menace, par son gaspillage, l’équilibre des écosystèmes. Comme l’a dit Murray Bookchin[2] dans Au dela de la rareté, dans les pays riches, nous avons largement dépassé la rareté : nos besoins réels sont satisfaits mais une rareté artificielle est suscitée (incitations commerciales) dans le but de faire tourner la machine. À l’opposé, les partisans du retour à la situation d’avant la Covid espèrent que ceux qui n’ont pas été touchés et qui ont vu leurs économies augmenter puisqu’ils ont dû renoncer à certains achats, vont prendre leur revanche et tout dépenser sans nécessité. Espérons quand même que ceux qui ont retenu les leçons des confinements résisteront aux pressions publicitaires (qu’il nous faudrait au moins cadrer si pas éliminer totalement dans l’espace public) et autres et que se vérifiera le dicton « On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif ». La sobriété involontaire causée par les mesures anti-Covid aura modifié les comportements de consommation de beaucoup. Cela devrait rendre plus aisée une sobriété volontaire décidée pour rendre le monde meilleur et plus juste et pour protéger la planète Terre menacée par l’excès d’avidité des humains favorisés économiquement.

 

[1] Les grandes priorités ici présentées sont inspirées du livre de Thimoty Parrique, « The political economy of Degrowth ». Une entrevue en français détaille ces pistes : https://bonpote.com/imaginer-leconomie-de-demain-la-decroissance-par-timothee-parrique/  .

[2] Post-Scarcity Anarchism, Ramparts Press, 1971, Au-delà de la rareté. L’anarchisme dans une société d’abondance, Écosociété, 2016.

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