La France veut du gaz de couche !

En pleine COP26, la France est sur le point d’autoriser l’extraction de gaz non conventionnel en Lorraine

A Glasgow, le Costa-Rica et le Danemark ont rendu publique une nouvelle alliance de pays désirant mettre fin à l’exploitation des énergies fossiles (« Beyond Oil and Gas Alliance » – BOGA), alliance dont la France pourrait faire partie. En parallèle, le gouvernement français est pourtant en train d’instruire une demande de permis pour exploiter le gaz de couche en Lorraine (hydrocarbure non conventionnel, gaz enfermé dans les couches de charbon). Un projet maintes fois dénoncé par nos organisations et groupes citoyens mobilisés sur le terrain, et qui l’est aussi désormais par 66 élus locaux et parlementaires qui signent une tribune en ce sens (1).  

La France va-t-elle « en même temps » décider de rejoindre une alliance internationale de pays qui s’engagent à progressivement ne plus délivrer de permis d’exploration et de production d’hydrocarbures et autoriser l’extraction de gaz de couche en Lorraine ? Alors que l’Agence internationale de l’énergie a montré au printemps dernier que contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5°C nécessitait qu’aucun nouveau site pétrolier ou gazier ne voie le jour dès 2021, la France n’a toujours pas mis fin aux projets de la Française de l’Énergie (anciennement European Gas Limited) qui pourrait installer jusqu’à 400 puits de forage en Moselle pour exploiter ce gaz non conventionnel.

Ce projet d’exploitation pourrait concerner 40 communes de Moselle sur un territoire de 191 km² et il permettrait à la Française de l’énergie, société cotée en bourse, d’exploiter le gaz contenu dans les veines de charbon d’ici à 2040, voir même au-delà, sans garantie réelle sur les conditions de cette exploitation. Depuis plusieurs années, cette entreprise, qui détient un permis d’exploration depuis 2004, a multiplié les essais de techniques alternatives à la fracturation hydraulique – seule technique permettant l’exploitation de ce gaz non conventionnel de façon rentable, mais interdite par la loi depuis 2011. Ces essais ont tous été infructueux mais impliquent des impacts environnementaux bien réels, notamment la consommation de 8000 m3 d’eau par forage, des risques de contamination des nappes phréatiques et l’aggravation du changement climatique via des fuites de méthane.

Alors que ce projet entre en contradiction évidente avec les engagements internationaux de la France en matière de transition énergétique, le ministère de la transition écologique ne s’est toujours pas engagée à refuser cette demande de permis d’exploitation.

Une diversité de 66 élu.e.s – maires de Moselle, élu.e.s régionaux, et parlementaires – ont publié ce matin une tribune demandant l’arrêt immédiat de ce projet anachronique, et appelant à mener la transition écologique sur le territoire lorrain, pour assurer son avenir sans nuire à ses équilibres naturels. En 2017, au moment de l’adoption de la loi Hulot, nos organisations interpellaient déjà sur les failles de cette loi laissant la porte ouverte à l’exploitation du gaz de couche (2). Et en janvier dernier, nous avions interpellé Emmanuel Macron ainsi que Barbara Pompili pour les appeler à rejeter la demande de concession de la Française de l’énergie (3). Le gouvernement va-t-il enfin nous entendre ?

A l’heure où il faudrait que les dirigeants mondiaux réunis à Glasgow lors de la COP26 prennent de nouveaux engagements pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, comme le réclament notamment les jeunes du monde entier, il serait inconcevable que le gouvernement français autorise la Française de l’Énergie à forer le sol lorrain pour en extraire du gaz, qui plus est du gaz non conventionnel, à l’impact climatique encore plus important. D’autant plus si la France décide de rejoindre l’alliance BOGA qui devrait être rendue publique ce jeudi 11 novembre par le Danemark et le Costa-Rica.

Contacts presse : 

  • APEL 57 (collectif lorrain) : Anaelle Lantonnois – 07 86 86 04 12
  • Aitec : Maxime Combes – 06 24 51 29 44
  • Amis de la Terre France : Juliette Renaud – 06 37 65 56 40
  • Attac France : Gilles Sabatier – 06 60 38 91 29
  • Greenpeace : Edina Ifticene – 06 26 79 62 25

Notes :

  • Tribune des élus locaux :

https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/cop26/tribune-cop26-66-elus-demandent-au-g

  • Lettre ouverte adressée aux député.es, novembre 2017 :

https://www.amisdelaterre.org/gaz-de-couche-gaz-de-schiste-les-lorrains-valent-ils-moins-que-

  • Lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron et Barbara Pompili, janvier 2021 :

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/190121/liberons-la-politique-des-energies-

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Ce jeudi 11 novembre, à la COP26, le Costa-Rica et le Danemark ont rendue publique l’alliance « Beyond Oil and Gas » (BOGA) (au-delà du pétrole et du gaz) pour regrouper des pays et juridictions qui s’engagent à progressivement ne plus délivrer de permis d’exploration et de production d’hydrocarbures. C’est la première initiative diplomatique qui articule engagements climatiques et sortie programmée des énergies fossiles, et qui devrait permettre, dans l’idéal, de faire entrer par la fenêtre un sujet, la sortie des énergies fossiles, qui, en presque 30 ans de négociations, n’a jamais pu être mis à l’ordre du jour.

Vous trouverez

Vous trouverez une tribune publiée dans Le Monde de lundi :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/08/cop26-l-extraction-des-energies-fossiles-et-les-su

Les COP peuvent-elles organiser la sortie des énergies fossiles ?

L’annonce ce 11 novembre du lancement de la « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA) pourrait ouvrir une brèche dans les négociations sur le changement climatique. Visant à regrouper des pays et juridictions qui s’engagent à progressivement ne plus délivrer de permis d’exploration et de production d’hydrocarbures, cette nouvelle alliance devrait dans l’idéal permettre de faire entrer par la fenêtre un sujet, la sortie des énergies fossiles, qui, en presque 30 ans de négociations, n’a jamais pu être mis à l’ordre du jour. Dans une note d’information publiée ce jour, le T-lab décrypte ces enjeux et les défis qui restent à relever.

Lire la note complète :

https://drive.google.com/file/d/14cvbiHKuObYZB1nq2LQbt12z4Px_r7Ln/view

Aussi surprenant que cela puisse paraître, en presque trente ans de négociations internationales sur le changement climatique, il n’a jamais été question de débattre de l’avenir des énergies fossiles et de la façon d’en réduire l’exploitation. Alors que les énergies fossiles représentent près de 90% des émissions mondiales de CO2 et 70% des émissions totales de gaz à effet de serre, limiter à la source la production de charbon, de gaz ou de pétrole n’a jamais été à l’ordre du jour. Le terme « énergies fossiles » est même absent de l’Accord de Paris. Depuis le sommet de Rio en 1992, les Etats se sont en fait entendus autour d’un principe quasiment inviolable : « notre mix énergétique national n’est pas négociable ».

On ne manque pourtant pas d’études scientifiques énonçant clairement les données du problème : une très grande part des réserves de pétrole, de gaz et de charbon que les Etats et entreprises du secteur prévoient d’exploiter dans les années à venir ne doivent pas l’être si l’on veut avoir une chance raisonnable de rester en deçà de 1,5°C. Une étude récemment publiée montre même que cela reviendrait à organiser une baisse de la production de gaz et de pétrole de 3 % par an jusqu’en 2050 et de 7% pour le charbon.

Baisser la production de ces ressources fossiles n’est pourtant pas l’objet de l’accord de Paris ni celui de la négociation lors de la COP26. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, les Etats prévoient même de produire deux fois plus d’énergies fossiles que l’objectif de 1,5°C ne le permet. TotalEnergies veut ainsi augmenter de 25% sa production d’hydrocarbures d’ici à 2030, tandis qu’il est toujours aussi difficile, y compris en France, de mettre fin aux soutiens publics dont bénéficie ce secteur.

Le lancement par le Costa-Rica et le Danemark de la « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA) ce jeudi 11 novembre pourrait ouvrir une brèche. Non que la programmation de la sortie des énergies fossiles deviendrait immédiatement un objet de négociation en tant que tel : ces alliances, fort nombreuses, se constituent en parallèle des négociations proprement dites, et relèvent de la déclaration, sans rien de contraignant. En outre, elles restent le plus souvent muettes sur les procédures et mécanismes de mise en œuvre et de contrôle des objectifs annoncés.

Néanmoins, cette nouvelle alliance, qui regroupe des pays et des juridictions qui s’engagent à progressivement ne plus délivrer de permis d’exploration et de production d’hydrocarbures, est la première initiative diplomatique qui articule engagements climatiques et sortie programmée des énergies fossiles. Loin de se limiter à des restrictions sur les financements de nouvelles infrastructures ou au désinvestissement progressif des entreprises du secteur fossile, cette nouvelle alliance fait de l’interdiction, ou des restrictions, de l’exploitation de nouveaux gisements un levier de l’action climatique.

Cette annonce est clairement une évolution positive qui vient légitimer toutes les luttes menées pour s’opposer à l’exploitation de nouveaux gisements et d’autre part clairement indiquer qu’il n’est plus possible d’envisager la lutte contre les dérèglements climatiques sans envisager la fin des énergies fossiles.

L’annonce de cette nouvelle coalition va-t-elle permettre que le terme « énergies fossiles » soit intégré à l’accord de Glasgow, ce document qui en fin de COP regroupe les engagements officiels pris par les Etats dans le cadre de la négociation ? Ce n’est pas certain mais si la formulation retenue dans le brouillon de la décision est maintenue, nul doute que Glasgow aura contribué à légitimer les actions militantes, politiques et juridiques visant à faire fermer des infrastructures d’énergies fossiles.

A l’échelle nationale, le gouvernement français, qui a décidé de rejoindre cette alliance, va tout de suite passer un stress-test à ce sujet : la ministre de la transition écologique Barbara Pompili est en effet saisie d’une demande de permis pour que la Française de l’Énergie (anciennement European Gas Limited) exploite le gaz de couche en Lorraine (hydrocarbure non conventionnel, gaz enfermé dans les couches de charbon), ce qui pourrait représenter un potentiel de 400 puits de forage en Moselle sur un territoire de 191 km².