Qui joue avec la vie des gens ?

Retour sur une odieuse accusation

Nous sommes le 20 avril et Emmanuel Macron se rend à Ganges. Une semaine plus tôt, la loi sur la réforme des retraites a été promulguée. La mobilisation, pourtant, ne fléchit pas et la CGT, en guise de protestation, procède à deux coupures de courant, notamment dans le collège que doit visiter le président, puis se voit accusée d’avoir également ciblé une clinique. Accusations sans aucune preuve, que Sébastien Fontenelle met ici en regard du silence, lui mortifère, qui règne au sein du clan présidentiel quand il s’agit de la dégradation des services d’urgences hospitalières.

Jeudi 20 avril, donc : Emmanuel Macron, chef de l’État français (CDL’ÉF), visitait Ganges, dans l’Hérault. Un gros millier de manifestant·es l’attendaient, comme à chaque fois, désormais, qu’il tente d’effectuer une sortie dans un pays dont la population (à l’exception tout de même d’une minuscule minorité de prosélytes fanatiques) le honnit.

Mais comme à chaque fois, désormais, qu’il tente une incursion dans ce pays qui l’abhorre, des gendarmes ont empêché ces protestataires pacifiques de trop s’approcher du CDL’ÉF – et leur ont, par un surcroît de zèle républicain, confisqué leurs casseroles, car il messiérait que Sa Splendeur, dûment protégée contre la proximité de la gueusaille contestataire, dût tout de même endurer un charivari.

Nonobstant, d’astucieux syndicalistes ont trouvé aussi d’autres manières de signifier au visiteur qu’il n’était pas (du tout) le bienvenu, en procédant notamment à la « mise en sobriété énergétique [1] » de l’aéroport de Montpellier, où il devait atterrir, et du collège Louise-Michel de Ganges, où il devait discourir.

Et tout de suite – il convient de le préciser – un représentant de la CGT a expliqué à l’AFP : « On revendique la coupure dans le collège. Il n’y en a pas d’autres prévues, c’est vraiment le collège qui était visé. »

Mais, le même jour, une clinique de Ganges dans laquelle plusieurs interventions chirurgicales étaient en cours a elle aussi été privée de courant : le patron du groupe auquel appartient cet établissement, dénonçant ce « terrorisme », a porté plainte. Et tout de suite, la CGT, après avoir donc prévenu qu’elle ne couperait que l’alimentation du collège Louise-Michel – qui se trouve à plusieurs centaines de mètres de la clinique –, a expliqué qu’elle n’était pas à l’origine de cette coupure.

Mais cela, bien sûr, n’a pas du tout dissuadé la droite macroniste de lancer d’extravagantes accusations, ni le député Karl Olive (dont chaque déclaration est une fête de l’esprit) de tweeter, sans produire évidemment le moindre commencement d’un début de preuve à l’appui de ses assertions : « On ne joue pas avec la vie des gens ! Cinq opérations chirurgicales étaient en cours au moment de la coupure d’électricité par des manifestants sans scrupule dans une clinique en marge du déplacement du président @EmmanuelMacron à Ganges. Une honte !  »

Et bien sûr : ce souci de la vie d’autrui l’honore. Mais curieusement cet émotif élu n’a toujours pas réagi à cette effrayante statistique, relevée au mois de janvier par Libération : en décembre 2022, le Samu a recensé 31 « morts inattendues dans les services d’urgences hospitalières » – soit un « chiffre sans doute très sous-estimé, précisait Libé, mais qui reflète la dégradation générale des conditions d’accueil des patients ». Or, selon les médecins consultés, le CDL’ÉF ne semble pas vouloir prendre la mesure exacte de cette gravissime détérioration.

Retournons-lui donc la question de son fidèle supporteur : qui joue avec la vie des gens ?

Note

[1] Dénomination délicieuse, pour ce que nous appelons plus couramment une coupure de courant.

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