La rentrée 2023

Comme si vous y étiez déjà !

Alors que nous sommes encore au cœur de l’été, je me risque à une anticipation facile : décrire la rentrée scolaire 2023 comme si on y était déjà ! Pour un vieux de la veille (de l’actualité), il faut dire que ce marronnier est toujours très prévisible. Mais à l’heure où la communication a pris le pas sur l’action politique, ça l’est encore plus !

« Un enseignant devant chaque classe »

Cela a été dit et répété par le Président de la République, par la  Première Ministre, par le nouveau Ministre Gabriel Attal, il y aura un professeur devant chaque élève à la rentrée…

Prenons un pari. On peut douter de cette affirmation. Peut-être y aura t-il un adulte (et encore, rien n’est moins sûr) mais un enseignant formé et compétent, c’est beaucoup moins certain.

Comme l’an dernier, on va recourir massivement aux embauches de contractuels mais le filon semble s’épuiser. Et les chiffres sont têtus : le nombre de postes pourvus aux concours est insuffisant. À la rentrée, il manquera près de  2000 professeurs (1er et 2nd degré confondus) par rapport à ce qui était proposé aux concours. Dans le même temps, les démissions et autres départs volontaires ne cessent d’augmenter. On est loin du choc d’attractivité promis.

Une rentrée ça se prépare plusieurs mois à l’avance et ce ne sont pas les coups de menton volontaristes du ministre fraichement nommé qui y changeront grand chose. Il n’y a pas assez d’enseignants !

Le tour de passe-passe communicationnel réside dans le Pacte. Ce contrat qui veut faire « travailler plus pour gagner plus » est un moyen pour Emmanuel Macron, de rejeter la faute sur les enseignants. Si comme c’est prévisible, il y aura des manques qui seront évidemment scrutés par les médias, ce sera parce que ces feignants ( ! ) d’enseignants n’auront pas voulu signer le Pacte… En plus ce sont des ingrats puisqu’ils ont déjà été revalorisés alors que l’heure est pourtant aux économies. Les éléments de langage sont déjà prêts.

« L’ordre, l’ordre, l’ordre ! »

C’est ce qu’a martelé Emmanuel Macron lors de son interview de Nouméa. Et c’est ce qu’a repris Gabriel Attal dans ses premières déclarations publiques. On a le sentiment que la seule “leçon” retenue des révoltes urbaines ait été celle là. La thématique de la crise de l’autorité se combine en plus, dans une sorte de mépris de classe, avec une culpabilisation des parents.

Dans cette perspective l’École est vue comme le lieu de l’inculcation des valeurs républicaines. C’est d’ailleurs ce qu’avait déjà entrepris Jean-Michel Blanquer. La refonte de l’Enseignement Moral et Civique (EMC) en un catéchisme républicain sera certainement à l’ordre du jour de la rentrée.

Tout comme le sera le Service National Universel (SNU), cette lubie présidentielle qui est un gaspillage de l’argent public. Malgré les nombreux témoignages sur les dysfonctionnements, le gouvernement s’obstine à maintenir ce simulacre qui peine à séduire les nostalgiques du service militaire sans remplir les fonctions éducatives des colonies de vacances.
Le retour régulier de l’uniforme dans le débat public se situe dans la même logique conservatrice. Et le ministre actuel succombe à cette pression. 

Les « fondamentaux »

Contrairement à son prédécesseur, Gabriel Attal est un « cogneur » comme s’est plu à le décrire le président. En d’autres termes, c’est un politique qui va faire de la communication destinée à complaire à l’opinion. Or, s’il y a un élément de langage fétiche des ministres de l’Éducation, ce sont bien les « fondamentaux ». 

Dans une de ses premières déclarations, il entonne déjà ce refrain qui sera certainement au cœur de là rentrée « nous devons remettre le respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’école ».

Comme le résume très bien Jean-Pierre Véran sur son blog, on a « un nouveau ministre pour que rien ne change ». Et l’ancien inspecteur général développe : « Quand on sait que pendant cinq ans, le ministre Blanquer a effacé le socle commun de culture au profit des « savoirs fondamentaux », que pendant un an son successeur – et prédécesseur du nouveau ministre – les a réduits à « lire, écrire, compter », on voit mal en quoi il faudrait les « remettre » au cœur de l’école, sauf à considérer que ses prédécesseurs ne sont pas parvenus à le faire. »

D’ailleurs la circulaire de rentrée, préparée par le précédent cabinet et publiée fort tard, reprend ce qui tient  plus des éléments de langage que d’un programme d’apprentissage.  On y retrouve l’affirmation que « la pratique régulière, systématique et conséquente de l’écriture doit être au cœur des apprentissages, au même titre que la lecture et le calcul ».

Nul doute qu’on parlera aussi de la dictée. Cette pratique d’évaluation est une sorte de symbole de l’École éternelle telle que veut la voir une opinion publique forcément nostalgique.

Reste à savoir si cette pratique d’évaluation tout comme cette obsession des fondamentaux et d’une conception linéaire des apprentissages permettent vraiment de faire apprendre durablement tous les élèves. Mais de cela, on n’en parlera pas.

Rentrée décliniste

Le livre du prof qui a quitté l’école et qui déplore la déliquescence de l’institution, du niveau (qui baisse depuis Mathusalem…) et de l’autorité semble être un genre littéraire en soi.…

Sans prendre trop de risques, on peut parier que la prochaine rentrée scolaire  (qui est aussi une sorte de rentrée littéraire) ne fera pas exception.
Une part belle sera faite au prof démissionnaire et qui change de travail comme illustration d’un phénomène encore marginal mais qui prend de l’ampleur et d’un malaise qui s’amplifie.

Mais le grand classique, depuis les années 80, c’est le pamphlet décliniste. Après les livres fondateurs de Milner, Maschino et de Romilly, Jean-Paul Brighelli a occupé le marché pendant des années et continue de dispenser son discours de déploration et de retour nostalgique à une École qui lui a permis de réussir et qui donc (forcément…) devrait faire réussir ceux qui ont la volonté et le « mérite ». Il a aujourd’hui de nombreux clones qui devaient occuper les plateaux télés à la rentrée (comme toutes les rentrées…)

*** 

Il n’est donc pas trop difficile de prédire ce que sera la rentrée scolaire 2023. C’est le principe des marronniers journalistiques que d’être prévisibles. Mais l’actualité à l’agenda de 2023 l’est aussi.

Les problèmes non résolus de l’année qui vient de s’écouler seront toujours présents : malaise et déclassement des enseignants, problème d’attractivité et de recrutement, gestion bureaucratique et poids de la hiérarchie, autoritarisme, manque de personnel et d’investissement…

Le fantasme d’une pensée magique et d’un discours performatif qui suffiraient pour changer l’institution est toujours présent chez nos dirigeants. L’absence de concertation et la tentation de jouer l’opinion contre les enseignants l’est également.

Car l’époque est au conservatisme et même au discours réactionnaire. Le populisme éducatif n’est qu’une des facettes d’un populisme bien plus large. L’École y est instrumentalisée au profit d’un “ordre” qui n’a de républicain que l’apparence. Malgré les éléments de langage, elle est aussi sacrifiée dans une logique d’économie alors que tant d’investissements seraient nécessaires.

Et pendant que se rejoue ce « jour sans fin » et que la communication gouvernementale sera à son paroxysme, la lourdeur des programmes et leur inadaptation, le poids du privé dans le séparatisme social, les vrais problèmes d’inégalités sociale et scolaire et le risque d’une nouvelle explosion sociale… ne seront pas réglés.
Pas besoin d’être prophète pour le prédire !

Philippe Wattrelot sur son blog hébergé par mediapart