Pour « sauver le climat » …

Préparons un holocauste nucléaire

Ne soyez plus « écologiste », encore moins anti-nucléaire : c’est ringard. Soyez pour la science, les industriels et le progrès ; soyez « pour le climat ».
Ce vendredi, à Lille et partout en France, les jeunes de
Fridays for future associés aux Jeunes écologistes d’EELV appellent à la grève, « pour le climat ». Nul doute que leur couverture médiatique dépassera leur mobilisation véritable, et que les organisations politiques ne se ruent pour les récupérer. Que « nos dirigeant.es successifs n’aient pas été à la hauteur de la crise à surmonter », comme dit leur tract, c’est indiscutable. Que « les leaders économiques et politiques […] investissent massivement pour la transition écologique », c’est malheureusement ce qu’ils font déjà. Non seulement ils ne régleront pas le « problème du climat », mais ils vont y ajouter d’autres calamités, notamment la dictature de la technocratie nucléaire sur notre survie. Voyez donc ci-dessous cette liste de dirigeants « engagés pour le climat », et plus que jamais anti-écologistes.

Dans les manifestations en marge des COP auxquelles nous avons assisté, à Copenhague en 2009 et Paris en 2015, nous relevions toujours un malentendu derrière le slogan commun « Changeons le système, pas le climat ». Il y avait celles et ceux réclamant de nos dirigeants un « accord ambitieux » ; et ceux, dont nous faisions partie, manifestant pour bloquer sinon annuler ces rendez-vous de pollueurs.
Nous n’avons pas besoin d’eux pour inventer une vie désirable. Comme ils n’ont pas plus besoin de nos manifestations pour poursuivre la destruction industrielle du monde. Être « pour le climat » signifie combattre les diktats des scientifiques et les plans gouvernementaux de la prétendue « décarbonation », de la nucléarisation de l’industrie et de la numérisation de tout. Le « système », ce n’est pas eux qui le changeront, mais nous – sans eux et contre eux.

Les scientifiques et leur monde

D’abord, il y a les méga-simulateurs informatiques du GIEC. Ce dernier propose dans son dernier rapport une alliance de sobriété individuelle, d’énergies renouvelables, de « mobilités électriques », de technologies de captage et stockage du CO2, de nucléaire, et de solutions de type « écologie industrielle » (efficacité énergétique des bâtiments, économie circulaire, etc). Rien de particulièrement audacieux, comme nous le verrons.

Le climatologue Jean Jouzel, prix Nobel, vice-président du GIEC, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), spécialiste du tritium, et coordinateur de la Conférence citoyenne pour le climat, considère que « très peu de scénarios atteignent l’objectif des 2°C sans nucléaire ». Alors va pour l’atome, comme ta collègue du CEA-GIEC.

La twittosse Valérie Masson-Delmotte, paléo-climatologue et égérie française du GIEC, chercheuse elle aussi au CEA, considère que « Le nucléaire est une technologie mature qui peut fournir de l’électricité bas carbone à grande échelle », que les « technologies numériques », les « véhicules électriques », les navires à « hydrogène » mais encore les « formes urbaines compactes » peuvent « soutenir la décarbonation ». Comme n’importe quel Conseil régional, n’importe quelle agence d’urbanisme de province.

Le youtubeur Jancovici, polytechnicien, ancien membre de la Fondation Nicolas Hulot et co-auteur en 2007 du « Pacte écologique » pour les candidats à la présidentielle, dirige le lobby nucléariste Shift Project, grâce aux financements de Bouygues, Vinci, Veolia, SNCF, Alstom, SPIE, BNP, et bien sûr EDF, l’exploitant des 58 réacteurs français. Niant les effets des radiations de Tchernobyl sur les 800 000 liquidateurs et les millions d’habitants des zones contaminées, il répète depuis l’accident de Fukushima : « Même si tous les 20 ans se produit un accident similaire, le nucléaire évitera toujours plus de risques qu’il n’en crée. » Calculette en main et le regard sur sa calculette.

Les ordures nucléaristes au garde-à-vous

Emmanuel Macron, mobilisé « pour le climat » après un été de sécheresses et avoir jeté les recommandations pourtant fort peu ambitieuses du « Conseil citoyen pour le climat », vient d’annoncer l’accélération des implantations d’usines solaires et éoliennes et 16 milliards d’euros pour des usines de microprocesseurs, après avoir subventionné trois usines de batteries pour voitures électriques, et proposé un plan de construction de quatorze usines atomiques. Sobriété, informatique et nucléaire, ses ambitions supposément avant-gardistes ne vont guère plus loin que celles de Giscard d’Estaing à l’époque des chocs pétroliers.

Ailleurs aux U.S.A., Joe Biden, militant « pour le climat », vient de signer en août 2022 un plan de 369 milliards de dollars pour la fabrication d’usines nucléaires, éoliennes, solaires, mais aussi de voitures électriques et de batteries. Diriez-vous de la première puissance industrielle mondiale qu’elle est écologiste ?

Son concurrent Xi Jinping promettait quant à lui, en 2020, que la Chine atteindrait la « neutralité carbone » en 2060 en multipliant la production nucléaire par quatre, éolienne par 3,4, et solaire par 6. Coût annoncé : 15 000 milliards de dollars en trente ans. Le chef du Parti communiste chinois nous avait déjà ébahi par un plan d’ingénierie du climat. Rien n’est impossible pour qui applique le socialisme scientifique.

Le prince saoudien Mohammed Ben Salmane, égorgeur de journalistes et d’opposants, a débloqué en 2021, dix milliards de dollars pour contrôler les nuages par « ensemencement » chimique, et développer les technologies de stockage du carbone. Riche en uranium autant qu’en pétrole, son royaume s’est également lancé dans la production nucléaire (avec EDF notamment), et la construction d’une smart city d’un million d’habitants entièrement connectée et électrique : The Line [1]. Bienvenue chez vous.

Les Shadoks du CO2

Arcelor-Mittal Dunkerque, le plus gros pollueur français, s’engage lui aussi « pour le climat » en investissant dans l’« acier vert ». Les hauts fourneaux seront en partie électrifiés à l’uranium, et une partie des fumées sera captée à la gueule des cheminées. Un procédé chimique qui, en plus des rejets d’oxydes d’azote et d’ammoniac, consomme beaucoup d’énergie, sépare le CO2 des autres polluants, puis le liquéfie. Le CO2 liquide est ensuite transporté par bateaux propulsés au fuel, ou dans des milliers de kilomètres de gazoducs, pour être enfin stocké sous le sol de la Mer du nord, avec risques d’écocide insoupçonnés en cas de fuite.

Le Plan France Relance de Macron soutient le Plan « Acier vert » d’Arcelor-Mittal à hauteur de 1,7 milliard d’euros. Quant à la technocratie française, l’ADEME, le CNRS et le BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) soutiennent les industriels (Arcelor-Mittal, Eiffage, EDF, TOTAL, Saint-Gobain, etc) au sein du « CLUB CO2 », le lobby du captage-stockage.

Les défenseurs de la « planification écologique » (EELV et la France insoumise) contre les irresponsables du secteur privé doivent se résoudre au fait que l’État est malheureusement déjà au chevet des pollueurs, et des nucléaristes, mobilisés comme eux « pour le climat ».

Les techies « pour le climat »

Elon Musk, première fortune mondiale et militant lui aussi « pour le climat », a reçu depuis 2010 plus de 5 milliards de dollars de subventions d’État pour ses voitures électriques Tesla, ses usines éoliennes Solar City, et ses voyages vers mars. Il remettra aussi 100 millions de dollars, et le prix « Xprize », à des « solutions » préservant le climat. Écoutez Elon Musk, il voit loin, dans le temps, et dans l’espace.

Jeff Bezos, patron d’Amazon, engage sa fortune « pour le climat », via notamment sa fondation Bezos Earth Fund, pour inventer des navires, des autobus et des camions de livraison électriques. Il finance aussi depuis 2017 des start-up de l’agriculture verticale, connectée et décarbonnée, pour produire au plus près des consommateurs une alimentation fraîche et bas carbone.

Bill Gates s’est engagé à alimenter ses usines Microsoft en énergies renouvelables d’ici 2030. Il est aussi un « philanthrope » généreux qui abonde le Breakthrough Energy Venture (avec Bezos et Zuckerberg, le patron de Facebook) en faveur de l’hydrogène, de l’éolien, et des « électrocarburants ».

Quant aux patrons de Google, Larry Page et Sergeï Brin, ils investissent, « pour le climat », dans la viande synthétique, la recherche de minerais dans l’espace, les voitures volantes, et les dirigeables à l’hélium.

Les industriels et les dirigeants ne sont pas sourds aux revendications des jeunes pour le climat. Ils les devancent, et parfois les financent, quand elles appuient leur politique industrielle.

Le climat contre l’écologie ?

Inutile d’en rajouter des volumes. Même la reine d’Angleterre, pendant la COP26 à Glasgow, fustigeait les inactions gouvernementales, cependant que le roi Charles III soutient Greta Thunberg et les militants d’Extinction-Rebellion [2]. Lesquels militants d’X-R doivent leur efficacité médiatique aux subsides du Climate Emergency fund, abondé par des industriels du renouvelable et du « biométhanol » à destination des navires de fret. Leurs intérêts mutuels sont bien compris.

Quand l’écologie politique s’est constituée de manière autonome contre les vieilles boutiques de la gauche, progressistes et étatistes, il ne s’agissait pas seulement de défendre « l’environnement » ou la « qualité de la vie », mais de la « réinventer ». L’opposition au nucléaire, que l’Union européenne inclut désormais dans les « énergies propres » [3], marque l’origine du seul mouvement réellement révolutionnaire issu de mai 68. Non pas contre les « pollutions », mais contre la société industrielle. Ce mouvement ne combattait pas seulement l’atome par crainte de la radioactivité ou de l’explosion, mais parce qu’une société nucléaire ne peut être que techno-totalitaire. Issue du règne des polytechniciens des Mines, l’industrie nucléaire soumet la survie de millions de personnes, et pour des milliers d’années, à l’expertise des spécialistes et des forces armées.

Faites un geste pour le climat, balancez vos smartphones et déconnectez Greta Thunberg.

Tomjo

Lire aussi

Le sens du vent, Arnaud Michon, L’Encyclopédie des nuisances, 2010.
Le soleil en face, Frédéric Gaillard, L’échappée, 2012.
L’enfer vert, Tomjo, L’échappée, 2013.
Notre bibliothèque verte, Renaud Garcia, Service compris, 2022.

Notes

[1The Good life, 15 janvier 2021

[2] Infodurable.fr, 9 septembre 2022

[3Le Monde, 6 juillet 2022