L’affaire Wikileaks

Médias indépendants, censure et crimes d’État

Un livre de Stefania Maurizi ; traduit de l’anglais par Laure Mistral ; préface de Serge Halimi.
Dès 2008, deux ans après le lancement de la plateforme WikiLeaks, Stefania Maurizi commence à s’intéresser au travail de l’équipe qui entoure Julian Assange. Elle a passé plus d’une décennie à enquêter les crimes d’État, sur la répression journalistique, sur les bavures militaires, et sur la destruction méthodique d’une organisation qui se bat pour la transparence et la liberté de l’information. Une liberté mise à mal après la diffusion de centaines de milliers de documents classifiés. Les « Wars logs », ces journaux de guerre que devaient rédiger les soldats américains engagés dans les guerres en Afghanistan et en Irak, transmis à Wikileaks par une analyste du renseignement, Chelsea Manning, et publiés entre le 5 avril et le 22 octobre 2010, ils ont notamment fait connaître au monde entier les actes de torture sur des prisonniers – comme à Abou Ghraib – ou les nombreuses bavures de l’armée de la coalition, qui ont entraîné la mort de civils afghans et irakiens. Suite à ces révélations, le Pentagone et la NSA ont tout fait pour discréditer un travail journalistique extrêmement exigeant, et détruire (notamment en s’attaquant à ses sources) une organisation qui se bat pour la transparence et la liberté de l’information.

L’autrice revient également sur les accusations de viol qui pèsent sur Julian Assange, et les errements judiciaires qui ne lui ont pas permis de se défendre et l’ont contraint à l’exil, puis à la prison. Elle retrace enfin le parcours d’un autre lanceur d’alerte, Edward Snowden, qui a permis de révéler comment la NSA collectait les métadonnées téléphoniques de millions de citoyens américains depuis des années.

À travers cette affaire et la persécution judiciaire qui s’est abattue sur Julian Assange et ses collaborateurs et collaboratrices, l’autrice révèle le danger que font peser de très puissantes institutions comme le Pentagone, la CIA et la NSA – le « complexe militaro-industriel » des États-Unis – sur la démocratie : non seulement en dissimulant des crimes d’État particulièrement graves, mais aussi en exerçant une surveillance de masse au prétexte de lutter contre le terrorisme, par des méthodes dignes des pires régimes totalitaires. Elle pose donc en filigrane la question de la réalité de nos démocraties, et de la place du journalisme dans celles-ci, en soulignant le paradoxe de la situation : un journaliste s’est vu emprisonné et traité comme un terroriste et un criminel pour avoir dénoncé des crimes de guerre et des dérives du pouvoir tout aussi intolérables.

https://agone.org/livres/laffaire-wikileaks

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Avant-propos à L’Affaire WikiLeaks

Voici un livre qui devrait vous mettre très en colère : c’est une histoire de journaliste emprisonné et soumis à un traitement d’une intolérable cruauté pour avoir dénoncé des crimes de guerre, de politiciens britanniques et américains déterminés à l’anéantir, et de médias complices pour passer cette monstrueuse injustice sous silence.

Aujourd’hui, Julian Assange est célèbre. Il a joué un rôle de premier plan dans les révélations de WikiLeaks sur l’envers du décor de la guerre d’Irak – entre autres. Ce sont les journalistes de WikiLeaks qui nous ont fait découvrir d’horribles crimes de guerre comme ceux documentés par la vidéo Collateral Murder ou ceux commis par les mercenaires américains sur la place Nissour à Bagdad, en 2007, qui ont fait dix-sept victimes civiles, dont deux enfants, et vingt-quatre blessés. Dans les derniers jours de son mandat, Trump a gracié les meurtriers ; mais il a veillé à ce qu’Assange, lui, reste en prison.

WikiLeaks a produit un travail considérable. Toutes les sociétés démocratiques devraient s’inspirer de ses principes fondamentaux. Il faut que les gens sachent tout ce qui est fait en leur nom. Quand les politiciens cachent des secrets déshonorants, les journalistes ont la responsabilité de les révéler au grand jour. Et ce sont aux hommes politiques d’en payer le prix, et d’être sanctionnés par la loi s’ils ont agi contre elle. Ce ne fut pas le cas dans l’affaire Julian Assange, et les crimes et la corruption révélés par WikiLeaks sont restés impunis.

Stefania Maurizi a suivi l’affaire depuis le début. S’appuyant sur les lois relatives à la liberté d’information, elle a exhumé des documents qui révèlent les attaques dont Julian Assange a fait l’objet. Elle retrace par le menu les événements extraordinaires qui se sont produits depuis 2001. Au cœur de cette histoire, un homme qui a payé le prix fort pour avoir mis à nu la réalité d’un pouvoir qui refuse de rendre des comptes et se cache sous une apparence de démocratie.

À l’heure où j’écris ces lignes, c’est le système judiciaire britannique lui-même qui est mis en cause. La Grande-Bretagne se targue de l’indépendance de ses tribunaux, de son respect de l’État de droit et de l’incorruptibilité de ses avocats. C’est ce que nous allons voir. Julian Assange est un journaliste dont le seul crime a été de dire la vérité. Pour cela, il a perdu sa liberté. Depuis 2019, il est mis à l’isolement dans une prison de haute sécurité, avec les conséquences dévastatrices que l’on peut prévoir sur sa santé mentale.

S’il est extradé vers les États-Unis, il sera incarcéré pour le restant de ses jours. Un tribunal britannique sera-t-il complice d’une injustice aussi criante ?

Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, d’autres sujets doivent nous alerter : les dépenses considérables en argent et en personnel pour surveiller Assange, quand il était confiné dans l’ambassade équatorienne à Londres ; la lâcheté de la presse et des chaînes de télévision qui n’ont pas défendu la liberté journalistique ; et la façon dont le Crown Prosecution Service, alors dirigé par Keir Starmer, a piégé Assange dans un cauchemar judiciaire et diplomatique.

Si vous croyez vivre dans une démocratie, vous devez lire ce livre. Si vous êtes attachés à la vérité et à une politique intègre, vous devez lire ce livre. Et si vous estimez que la loi doit protéger les innocents, vous devez non seulement lire ce livre, mais aussi exiger que Julian Assange soit un homme libre.

Combien de temps encore allons-nous accepter que l’appareil d’État, responsable des crimes les plus odieux, continue de tourner en dérision nos efforts pour vivre dans une démocratie ?

Ken Loach

Avant-propos au livre de Stefania Maurizi, L’Affaire WikiLeaks. Médias indépendants, censure et crime d’État

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