La finalité d’Israël dans le nord de la bande de Gaza
Les débats sur les détails du « plan des généraux » détournent l’attention de la véritable brutalité de la dernière opération israélienne, qui fait fi des considérations humanitaires et jette les bases de la colonisation.
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Regardez ces deux photos, toutes deux prises le 21 octobre 2024. À droite, nous voyons une longue file de personnes déplacées – ou, plus exactement, de femmes et d’enfants dans les ruines du camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza. Les hommes de plus de 16 ans sont séparés, agitant un drapeau blanc et brandissant leur carte d’identité. Ils sont en train de sortir.
À gauche, nous voyons un camp construit par l’organisation de colons Nachala juste à l’extérieur de Gaza, dans le cadre d’un événement célébrant la fête de Souccot. Vingt et un ministres de droite et membres de la Knesset, ainsi que plusieurs centaines d’autres participant·es, étaient présent·es pour discuter des projets de construction de nouvelles colonies juives à Gaza. Elles et ils sont en train d’entrer.
Ces photos racontent une histoire qui se déroule si rapidement que ses détails déchirants sont déjà sur le point d’être oubliés. Pourtant, cette histoire pourrait commencer à n’importe quel moment au cours des 76 dernières années : la Nakba de 1948, le « plan Siyag » qui l’a suivie, la Naksa de 1967. D’un côté, des Palestinien·nes déplacé·es avec tous les biens qu’elles et ils peuvent transporter, affamé·es, blessé·es et épuisé·es ; de l’autre, des colons et juifs (et juives) joyeux, sanctifiant la nouvelle terre que l’armée a défrichée pour elles et pour eux.
Mais l’histoire de ce qui se passe actuellement, de part et d’autre de la barrière de Gaza, tourne autour de ce que l’on appelle le « plan des généraux » – et de ce qu’il dissimule.
Le plan
Le « plan des généraux », publié début septembre, a un objectif très simple : vider le nord de la bande de Gaza de sa population palestinienne. Le plan lui-même estimait qu’environ 300 000 personnes vivaient encore au nord du corridor de Netzarim – la zone occupée par Israël qui coupe la bande de Gaza en deux – bien que les Nations unies aient avancé un chiffre plus proche de 400 000.
Au cours de la première phase du plan, l’armée israélienne informerait toutes ces personnes qu’elles ont une semaine pour évacuer vers le sud en empruntant deux « corridors humanitaires ». Au cours de la deuxième phase, à la fin de cette semaine, l’armée déclarera l’ensemble de la région zone militaire fermée. Toute personne restant sur place serait considérée comme un combattant ennemi et serait tuée si elle ne se rendait pas. Un siège complet serait imposé au territoire, intensifiant la faim et la crise sanitaire – créant, comme l’a dit le professeur Uzi Rabi, chercheur principal à l’université de Tel Aviv, « un processus de famine ou d’extermination ».
Selon le plan, le fait d’avertir à l’avance la population civile d’évacuer garantit le respect des exigences du droit humanitaire international. Il s’agit là d’un mensonge. Le premier protocole des Conventions de Genève stipule clairement que le fait d’avertir les civil·es de fuir n’annule pas le statut de protection de celles et ceux qui restent, et ne permet donc pas aux forces militaires de leur faire du mal ; un siège militaire n’annule pas non plus l’obligation de l’armée de permettre le passage de l’aide humanitaire aux civil·es.
En outre, les beaux discours sur le droit humanitaire tombent à plat si l’on considère que l’homme à la tête de ce plan, le général de division (res.) Giora Eiland, a passé l’année dernière à appeler à une punition collective contre toute la population de Gaza, à traiter l’enclave comme s’il s’agissait de l’Allemagne nazie, et à laisser les maladies se propager afin de « rapprocher la victoire et de réduire les dommages causés aux soldats de Tsahal ». Après avoir tenu de tels propos pendant dix mois, il a saisi l’occasion – en consultation avec un certain nombre de conseillers de l’ombre, sur lesquels nous reviendrons – de piloter un plan d’extermination dans le nord de la bande de Gaza. Il l’a présenté avec diligence aux politiciens et aux médias, sous un masque de mensonges concernant le respect du droit international.
Les médias et les politiciens ont fait ce qu’ils font toujours : ils ont fait diversion. Alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant se sont empressés de démentir, des fonctionnaires anonymes et des soldats sur le terrain informaient déjà les médias que le plan commençait à être mis en œuvre.
La réalité est cependant encore plus effroyable. Ce que l’armée met en œuvre dans le nord de Gaza depuis le début du mois d’octobre n’est pas tout à fait le « plan des généraux », mais une version encore plus sinistre et brutale de celui-ci dans une zone plus concentrée. On pourrait même dire que le plan lui-même et l’intense tempête médiatique et diplomatique internationale qu’il a suscitée ont contribué à maintenir tout le monde dans l’ignorance de ce qui se passe réellement et à occulter les deux façons dont le plan a déjà été redéfini.
La première distinction, la plus immédiate, est l’abandon des dispositions visant à réduire les dommages causés aux civil·es, c’est-à-dire à donner aux habitant·es du nord de Gaza une semaine pour évacuer vers le sud. Le second changement concerne l’objectif réel de l’évacuation de la zone : tout en présentant l’opération militaire comme une nécessité sécuritaire, elle incarnait en fait l’esprit de nettoyage ethnique et de réinstallation depuis le premier jour.
Une attention détournée
La catastrophe dans le nord de Gaza s’aggrave de minute en minute, et le concours de circonstances fait que l’inimaginable – l’extermination de milliers de personnes à l’intérieur de la zone assiégée – n’est plus hors de portée.
L’opération militaire actuelle a commencé aux premières heures du 6 octobre. Les habitants de Beit Hanoun, Beit Lahiya et Jabalia – les trois localités situées au nord de la ville de Gaza – ont reçu l’ordre de fuir vers la zone d’Al-Mawasi, au sud de la bande de Gaza, en empruntant deux « couloirs humanitaires ». Israël a présenté cette attaque comme un moyen de démanteler l’infrastructure du Hamas après que le groupe se soit rétabli dans la région, et de se préparer à la possibilité qu’Israël reprenne la responsabilité de l’acquisition, du transport et de la distribution de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza – en d’autres termes, au retour de l’administration civile israélienne qui gouvernait Gaza jusqu’au « désengagement » de 2005. La première cause n’était que partiellement vraie, et la seconde n’était qu’un écran de fumée.
Pour les Palestiniens·ne de ces régions, les choses se présentent différemment. L’armée a attaqué les habitant·es dans leurs maisons et leurs abris par des frappes aériennes, des tirs d’artillerie et des drones, tandis que les soldats se déplaçaient de rue en rue, démolissant et incendiant des bâtiments entiers pour empêcher les habitant·es de rentrer chez elles et chez eux. En l’espace de quelques jours, Jabalia s’est transformée en une vision d’apocalypse.
Contrairement à l’image dépeinte par l’armée, qui laissait entendre que les habitant·es des zones septentrionales étaient libres de se déplacer vers le sud et de sortir de la zone dangereuse, les témoignages locaux présentaient une réalité effrayante : quiconque sortait de chez elle ou de chez lui risquait d’être abattu·e par des tireurs d’élite ou des drones israéliens, y compris les jeunes enfants et celles et ceux qui brandissaient des drapeaux blancs. Les équipes de secours qui tentaient d’aider les blessé·es ont également été attaquées, de même que les journalistes qui tentaient de documenter les événements.
Une vidéo particulièrement poignante, vérifiée par le Washington Post, montre un enfant au sol implorant de l’aide après avoir été blessé par une frappe aérienne ; lorsqu’une foule se rassemble pour l’aider, elle est soudain frappée par une autre frappe aérienne, qui fait un(e) mort(e) et plus de 20 blessé·es. Telle est la réalité au milieu de laquelle les habitant·es du nord de Gaza étaient censé·Ês marcher, affamé·es et épuisé·es, vers la « zone humanitaire ».
Face à cette brutalité, la machine de propagande israélienne s’est mise en branle pour offrir une foule d’excuses expliquant pourquoi les civil·es n’évacuaient pas – principalement que le Hamas « frappait avec des bâtons » celles et ceux qui tentaient de partir. Si le Hamas a effectivement empêché les civil·es d’évacuer, comment l’armée peut-elle prétendre que celles et ceux qui ont choisi de ne pas évacuer sont des terroristes condamné·es à être tué·es ? Mais en écoutant les habitant·es eux-mêmes, on a pu entendre à plusieurs reprises le même cri de désespoir : « Nous ne pouvons pas évacuer parce que l’armée israélienne nous tire dessus ».
Le 20 octobre, l’armée a diffusé une photo d’une longue file de Palestinien·nes déplacés·e, accompagnée d’une légende aussi banale et engourdie qu’une prévision météorologique : « Le mouvement des résident·es palestinien·nes se poursuit depuis la zone de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza. Jusqu’à présent, plus de 5 000 Palestinien·nes ont été évacués de la zone. »
Les téléspectatrices et téléspectateurs observateurs auraient remarqué que toutes les têtes sur la photo étaient couvertes : il s’agit d’une file de femmes et d’enfants, qui n’ont pas été « évacué·es » mais déraciné·es de force. Où sont les hommes ? Emmenés dans des lieux inconnus. Dans quelques mois, nous entendrons peut-être parler de leur séjour dans les camps de détention israéliens, décrivant les tortures et les abus qui ont tué au moins 60 prisonniers gazaouis depuis le 7 octobre.
Contrairement à ce que prévoyait le « plan des généraux », les civil·es n’ont pas eu une semaine pour évacuer, comme l’a reconnu plus tard M. Eiland ; dès le départ, l’armée a traité les zones du nord comme une zone militaire dans laquelle tout mouvement est réprimé par des tirs meurtriers. C’est la première fois que le plan est utilisé comme paratonnerre pour détourner l’attention et les critiques d’une réalité bien plus brutale que celle qu’il propose.
Une politique d’extermination
Depuis le début de son opération dans le nord de Gaza, l’armée israélienne a tué plus d’un millier de Palestinien·nes. L’armée de l’air israélienne bombarde généralement la nuit, pendant que les victimes dorment, massacrant des familles entières dans leurs maisons et rendant plus difficile l’évacuation des blessé·es. Le 24 octobre, les services de secours ont annoncé que l’intensité des bombardements ne leur laissait d’autre choix que de cesser toute opération dans les zones assiégées.
Parmi les attaques les plus notables, on peut citer le bombardement d’une maison dans le quartier Al-Fallujah du camp de Jabalia le 14 octobre, tuant une famille de 11 personnes ainsi que le médecin venu les soigner ; l’attaque de l’école Abu Hussein dans le camp de Jabalia le 17 octobre qui a tué 2 personnes déplacées qui s’y abritaient ; le meurtre de 33 personnes dans trois maisons du camp de Jabalia, dont 21 femmes, le 19 octobre ; la destruction de plusieurs maisons résidentielles dans le camp de Jabalia et d’une partie de l’école de Jabalia. 19 octobre ; le rasage de plusieurs bâtiments résidentiels à Beit Lahiya le même jour, tuant 87 personnes ; des frappes aériennes sur cinq bâtiments résidentiels à Beit Lahiya le 26 octobre, qui ont tué 40 personnes ; et le massacre de 93 personnes lors du bombardement d’un bâtiment résidentiel de cinq étages à Beit Lahiya le 29 octobre.
L’opération d’extermination actuellement en cours dans le nord de Gaza ne devrait pas surprendre quiconque a prêté attention aux crimes de guerre commis par Israël au cours de l’année écoulée et aux innombrables rapports d’enquête que les médias les plus respectés du monde ont rédigés à leur sujet. Qu’il s’agisse du largage de bombes de 2 000 livres là où il n’y a pas de cibles militaires à proximité ou de l’assassinat régulier d’enfants par des tirs de sniper dans la tête, ces atrocités passées nous montrent ce que l’armée israélienne continuera à faire si on ne l’arrête pas.
Il n’y a que trois grands établissements médicaux dans la zone encerclée du nord de Gaza, vers lesquels les centaines de blessés de ces dernières semaines ont été dirigés : l’hôpital indonésien et l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, et l’hôpital Al-Awda à Jabalia. Pourtant, l’armée israélienne a également soumis ces hôpitaux à des attaques, les rendant incapables de soigner les blessé·es. Les rapports de Médecins sans frontières et de l’ONU ont qualifié la situation de « menace vitale immédiate ».
Au début de l’opération, l’armée israélienne a ordonné aux trois hôpitaux d’être évacués dans les 24 heures, menaçant de capturer ou de tuer toute personne trouvée à l’intérieur – ce qui n’est pas tout à fait la « semaine de grâce » prévue dans le « Plan des généraux ». L’armée a bombardé Kamal Adwan et ses environs au début de l’opération, avant de le soumettre à un raid de trois jours qui l’a entièrement mis hors service et a vu la plupart des médecins détenu·es.
L’armée a également bombardé à plusieurs reprises l’hôpital indonésien et Al-Awda. Deux patient·es de l’hôpital indonésien sont décédé·es à la suite de la panne d’électricité qui en a résulté, avant que l’hôpital ne cesse complètement de fonctionner. C’est la raison pour laquelle les blessures, même légères, se terminent souvent par la mort, parce que les équipes médicales n’ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour les traiter.
Israël, bien sûr, considère chaque maison et chaque ruelle de Gaza comme une menace potentielle et une cible légitime. Et quelle sera l’excuse pour refuser l’accès à Gaza à six groupes d’aide médicale qui travaillent avec l’Organisation mondiale de la santé ? Il s’agit très probablement d’une punition pour avoir envoyé dans la bande de Gaza des médecin·es occidentaux qui ont ensuite publié des témoignages sur les tireurs d’élite israéliens ciblant les enfants. Un rapport de l’ONU publié peu avant a conclu qu’Israël menait « une politique concertée pour détruire le système de santé de Gaza » dans le cadre du « crime contre l’humanité d’extermination ».
Une politique de famine
Ces attaques ont été accompagnées d’un siège complet qui a empêché toute nourriture et tout matériel médical d’entrer dans le nord de la bande de Gaza, ce qui semble être une politique intentionnelle de famine. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies, Israël a commencé à couper les vivres le 1er octobre, soit cinq jours avant l’opération militaire.
Ce fait a été officiellement reconnu, bien qu’indirectement, sous la forme d’un ultimatum américain le 15 octobre, exigeant qu’Israël autorise l’entrée de l’aide dans le nord de Gaza dans un délai de 30 jours, sous peine de voir les livraisons d’armes américaines à Israël interrompues. Cela indique, comme les groupes humanitaires l’avaient prévenu, qu’aucune aide n’était autorisée à entrer avant cette date. Le délai de grâce de 30 jours est risible ; comme l’a déclaré le responsable de la politique étrangère de l’UE, des milliers de personnes risquent de mourir de faim dans les 30 jours.
En outre, un article de Politico a renforcé le sentiment que, comme les « menaces » précédentes, la dernière demande de Washington n’était qu’un geste cérémoniel vide de sens destiné à rassurer les consciences libérales. Dès le mois d’août, le plus haut responsable américain chargé de la situation humanitaire à Gaza avait déclaré aux organisations humanitaires, lors d’une réunion interne, que les États-Unis n’accepteraient pas de retarder ou d’interrompre les livraisons d’armes à Israël pour faire pression sur ce dernier en matière d’aide humanitaire. En ce qui concerne la violation du droit humanitaire international, le sentiment exprimé par le représentant, selon l’un des participants, était que « les règles ne s’appliquent pas à Israël ».
La politique de famine d’Israël dans le nord de Gaza ne s’est pas limitée à empêcher l’entrée de nourriture. Le 10 octobre, l’armée a bombardé le seul magasin de farine de la région. Il s’agit là d’un crime de guerre on ne peut plus clair, qui constitue un élément important du dossier de génocide déposé contre Israël devant la Cour internationale de justice. Quatre jours plus tard, l’armée a bombardé un centre de distribution alimentaire de l’ONU à Jabalia, tuant 10 personnes.
Les organisations humanitaires ont lancé des avertissements urgents concernant cette catastrophe qui s’aggrave, signalant leur incapacité à remplir leurs fonctions de base dans les conditions impossibles qu’Israël a créées dans le nord de la bande de Gaza. Un nouveau rapport du CIP sur la faim à Gaza prédit des « résultats catastrophiques » en cas de malnutrition sévère, en particulier dans le nord.
Le 16 octobre, les médias israéliens ont annoncé que, sous la pression des États-Unis, 100 camions d’aide étaient entrés dans le nord de la bande de Gaza. Mais les journalistes du nord ont rapidement rectifié le tir : rien du tout n’était entré dans les zones assiégées. Le 20 octobre, Israël a rejeté une nouvelle demande des agences de l’ONU visant à acheminer de la nourriture, du carburant, du sang et des médicaments. Trois jours plus tard, en réponse à une demande d’ordonnance provisoire du groupe israélien de défense des droits des êtres humains Gisha, l’État a admis devant la Haute Cour qu’aucune aide humanitaire n’avait été autorisée à pénétrer dans le nord de Gaza jusqu’à ce jour. À ce moment-là, nous parlons déjà d’un siège alimentaire de trois semaines.
Depuis lors, Israël prétend avoir autorisé l’entrée d’un petit nombre de camions d’aide dans le nord de la bande de Gaza, mais en l’absence de preuves photographiques, il est très difficile de savoir combien d’entre eux ont atteint leur destination déclarée.
Faire un clin d’œil à la droite, feindre des justifications de sécurité à la gauche
…
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