Des armes mutilantes face à une jeunesse qui danse

Trouvé sur un blog ; et « En Bretagne, un week-end pour casser du jeune » sur un autre

J’ai peur de ces silences de nos représentants politiques, mais également des citoyen-e-s quand je vois une jeunesse à terre, ensanglantée, hurlant terrifiée dans la nuit, car elle s’est simplement déplacée pour aller danser. Un besoin viscéral de poser des mots, d’évoquer mes ressentis vis-à-vis de ce qu’il s’est produit sur ordre du préfet de Police dans la commune de Redon.

 Un besoin viscéral de poser des mots, d’évoquer mes ressentis vis-à-vis de ce qu’il s’est produit sur ordre du préfet de Police dans la commune de Redon au sein de l’ancien hippodrome.

Alors j’en appel à votre bon sens, je vous propose de me lire vous parents, collègues, ami-e-s, éloignées de ce mouvement qui ne le connait que par l’intermédiaire des unes journalistiques. Pouvons-nous poser un autre regard sur une jeunesse qui ne cesse d’être opprimée, oppressée, terrassée alors qu’elle est remplie de rêves en demain, qu’elle croit en un avenir tout autre, loin des puissances financières. Cette jeunesse souhaite être reliée au monde et au collectif, elle souhaite être reconnue et individuée et non individualisée ! Jung en parlait bien mieux que moi. On s’adapte à un monde mais si celui-ci est toxique est ce bien de s’adapter ? Nous assistons à une jeunesse en déséquilibre tel un funambule qui tente de trouver sa place face à un monde qui la refuse.

Jean Paul Sartre a pu écrire : « Chaque parole a une conséquence, chaque silence aussi »

J’ai peur de ces silences de nos représentants politiques, mais également des citoyen-e-s quand je vois une jeunesse à terre, ensanglantée, hurlant terrifiée dans la nuit, car elle s’est simplement déplacée pour aller danser. J’ai peur d’une parole unique, à une France qui se divise et qui montre du doigt une jeunesse stigmatisée.

Des jeunes de tous horizons sont venus pour célébrer un hommage. Hommage pour le jeune Steve Maia Caniço mort noyé en 2019 lors de la fête de la musique à Nantes. L’enquête est toujours en cours mais nous pouvons dire que cette noyade correspond au moment où les forces de l’ordre sont venues arrêter la fête sur les bords de la Loire en chargeant les jeunes présents sur place, amenant peurs, dispersions dans la nuit.

Ce week-end passé, la jeunesse a voulu rendre un hommage. Sortant de 15 mois de pandémie où tout lui a été refusé, annulé, elle a voulu se réunir, pour danser.

Depuis 30 ans nous sommes mobilisé-e-s pour nous réunir lors de festivals gratuits. Nous recherchons des lieux sûrs pour danser, réfutons les discothèques car elles sont sélectives alors que ces fêtes libres accueillent de manière inconditionnelle. Cette musique est venue des quatre coins du monde, toujours réprimée, assez fortement d’ailleurs dans les années 90 en Angleterre. Le refuge à cette époque était la France. Beaucoup ne comprenne pas cette musique dite électronique, la juge, la toise et fait des amalgames : des drogués, des perdus, des insignifiants, chômeurs, SDF, délinquants viendraient en gonfler le nombre. Monsieur Mariani a pu être dans l’hémicycle un de ces rapporteurs fervent défenseur de l’interdiction de ces fêtes en 2001. Sans polémique nous le savons proche des milieux des boites de nuit et ces fêtes libres viennent directement concurrencées leur chiffre d’affaires. Je ne veux pas épiloguer mais c’est simplement manquer de connaissance au sujet de ce mouvement que d’y voir une jeunesse perdue en mal d’attache. L’amendement souhaite lutter contre les nuisances et protéger la jeunesse contre elle-même. Bien évidemment l’amendement Mariani vient répondre à différents affolements de maires de communes se disant envahies par l’arrivée massive de danseurs et danseuses.

Jean Cocteau a pu dire : « Rien d’audacieux n’existe sans la désobéissance à des règles ». Les règles venant encadrer le monde de la nuit nous laissent un gout amer, nous avons trouvé une belle alternative dans des champs.

La majeure partie des personnes venant à ces fêtes libres est insérée, intégrée socialement, remplis d’espoirs en demain, ayant une autre vision de la société, prônant le partage, l’équité, ne se distinguant plus par ses codes sociaux … La jeunesse vit en s’essayant, elle avance, elle chemine, elle se montre ouverte et reconnaissante. Vous rencontrerez dans ces lieux de fêtes des avocat-e-s, des enseignant-e-s, des éducateurs (trices), des infirmier-e-s, des soudeurs, des couvreurs, des menuisiers, des intermittent-e-s de spectacles, des agriculteurs, des commerçant-e-s, des militaires, des cuisinier-e-s, des commerciaux, des agents immobiliers, des enseignant-e-s, des aides soignant-e-s, des médecins, des chauffeurs routiers… Je suis moi-même formatrice de travailleurs sociaux, j’ai un Master en droit international humanitaire et un master en Sciences de l’éducation… un panel de personnes représentant la société tout simplement loin des clichés pouvant être véhiculés sur ce que nous représentons.

Voilà 30 ans que nos gouvernements ne savent pas comment faire face à ce mouvement car ils ne le maitrisent pas et le connaissent très mal. Ils s’en s’ont fait une vision, et craignent des débordements, alors ils musèlent et souhaitent contenir leur jeunesse dans des lieux réglementés. Ces lieux sont vus tels des interdictions en tout genre : un vigile devant acté de notre présence ou la réfuter suite à un contrôle de faciès, des horaires à respecter, des boissons à des prix exorbitants à devoir acheter, des lieux confinés à subir. Ces différentes contraintes sont vues pour beaucoup d’entre nous comme insupportables.

Alors ces fêtes libres se développent face aux contraintes tant administratives qu’économiques.

Lorsqu’une fête libre s’organise, chacun et chacune prend soin de soi et des autres, les organisateurs et organisatrices veillent à prévenir des associations de prévention, et recherchent un terrain sécure permettant des évacuations si nécessaire. Nous appelons cela l’auto-gestion.

Stéphane Hessel a pu dire que : « le motif de base de la résistance était l’indignation ». Cette jeunesse qui se regroupe pour danser peut se trouver indigner de ne pas être considérée par son gouvernement, d’être reléguée comme un rebut de la société car ne correspondant pas à une norme. Il continuait par nous souhaiter à tous et à toutes d’avoir un motif d’indignation, « c’est précieux » disait-il. Je suis indignée de voir un Etat qui vient violenter avec cette force notre jeunesse.

Depuis 30 ans, chaque fête a été réprimée, le compromis entre liberté et protection n’a jamais été trouvé par le gouvernement et les différents préfets n’ont pas tardé à donner des ordres pour stopper net ces fêtes. Où est le ministère de la culture? Néanmoins dans la majorité des situations, les forces de l’ordre avaient comme ordre de circonscrire la fête et donc d’empêcher les personnes d’arriver sur site en l’encerclant mais de façon proportionnée sans violence. Malgré cela nous pouvons déplorer en 2003 à la marge du festival des vieilles charrues de nombreux blessé-e-s du fait d’une intervention policière très violente, de même en 2004 alors qu’en 2006 sur le plateau du Larzac rassemblant plusieurs milliers de personnes les forces de l’ordre ne sont pas intervenues. Il n’y a eu aucune instruction négative du préfet, cela s’est géré localement, il n’y a pas eu de mesures répressives. Au sein des danseurs et danseuses tout est resté sous contrôle lié à l’auto-gestion, aucun débordement, aucune violence, juste une liberté de danser et de se retrouver sans entrave. Après leurs départs le site était sans déchets, tout avait été ramassé grâce à la responsabilité des uns et des autres. Le pari était gagné, des milliers de personnes réunies sans débordements, sans heurts.

A Redon le site était loin de toute habitation, des amis présents souhaitaient simplement rompre leurs chaines usées par les confinements et couvre feu. Les nuisances auraient été très faibles. Nous ne pourrons pas le savoir tellement les ordres ont été d’attaquer la jeunesse de façon ultra rapide et ce sans discontinuer pendant plus de 7 heures avec lancement de bombes lacrymogènes, de tirs de LBD, de grenades… En témoignent les nombreuses vidéos à ce sujet. Ces vidéos montrent des jeunes en tee-shirt dans la nuit pris au piège de bombardements en tout genre, une vraie scène de guerre, des sifflements de toute part, des grenades enflammant les sols avec des départs de feu, des jeunes affolés sans aucun repère, hurlant d’arrêter le lancement des lacrymogènes. L’air semblait irrespirable, de nombreux blessés demandaient de l’aide qui leur été refusée. Un journaliste sur place a dit avoir été visé par un tir de LBD, un secouriste a demandé à évacuer un blessé ce qui lui a été réfuté, ils ont reçu des tirs sur leur tente de secours. Cette même jeunesse que je décrivais comme pleine d’espoir et d’entrain se retrouve angoissée, effrayée, humiliée par la violence de personnes qui normalement sont missionnées pour la protéger.

Je suis inquiète quant à la désinformation que nous voyons circuler depuis dimanche au sein des différents médias, et le préfet qui se « félicite de la très grande maitrise de la force » en arguant que les jeunes étaient venus « en découdre ».

C’est pour cela que j’ose prendre ma plume afin que soit relayée une autre information qui reflète de nombreux témoignages de personnes sur place, de nombreuses vidéos actant des forces de l’ordre détruisant le matériel de sonorisation alors que c’est totalement illégal à coup de haches, de battes et de pioches. Les gendarmes insultaient les jeunes et disaient qu’ils avaient « carte blanche ». Ils vidaient le gasoil des génératrices dans le champ… Si fête illégale il y a, c’est à la justice d’ordonner ce qui doit être fait du matériel qui ne peut qu’être saisi par les forces de l’ordre en aucun cas détruit !

Cela fait beaucoup pour une nuit et une journée je trouve. Je croyais que le dialogue était de mise entre les uns et les autres, que lorsqu’une fête se mettait en place, la préfecture sous couvert des forces de l’ordre venait rencontrer les organisateurs et organisatrices pour négocier, tempérer. Au lieu de cela des bombes lacrymogènes par centaines, des grenades sont venues s’abattre sur notre jeunesse, nos fils, nos filles, nos cousines, nos cousins, nos neveux et nièces.  Cette jeunesse avait comme seul souhait de se rassembler pour faire la fête. Des jeunes filles se sont retrouvées la tête piétinée par des gendarmes, des personnes vomissaient à cause des bombes lacrymogènes. Je me pose la question de savoir pourquoi un déchainement de violence d’une telle ampleur de la part des forces de l’ordre ?  Même si un arrêté préfectoral l’avait interdit cela ne vaut pas une violence aussi disproportionnée en retour.

Alors il faut maintenant justifier de cette main arrachée, donc le service communication préfectoral est rapidement mis sur pieds et le « bon » citoyen en allant voter ce dimanche entend combien la jeunesse a voulu en découdre armée de parpaing, de cocktails molotov. En effet cette même jeunesse reconnait que après de multiples assauts des forces de l’ordre elle a souhaité riposter pour défendre le matériel de sonorisation avec des lancements de bouteilles de bières. Maigres répliques

Ayons la décence de ne pas renverser les rôles, regardons les vidéos, heureusement qu’elles ne sont pas encore interdites pour couvrir ces événements pourtant les journalistes et pompiers étaient empêchés de se rendre sur place.

Je crois encore au droit au sein de mon pays et je pense que l’usage de la force des gendarmes a été disproportionné alors je pense que comme nous vivons dans un Etat de droits, une enquête devrait être diligentée au-delà de rechercher qui étaient les responsables de l’organisation de cette fête libre, il serait bon de savoir si les ordres donnés à la gendarmerie n’ont pas été démesurés entrainant torpeur, traumatismes et mutilations. Je pense donc que notre vision de ce qu’il s’est produit doit être relayée et qu’un autre regard doit être soutenu.

Je ne me considère plus jeune à 45 ans passés, mais me considère toujours appartenir à cette jeunesse qui se retrouve dans des champs pour danser. Tant que mes jambes me le permettront je serais avec elle à rire et sourires face aux décos crées de nombreux mois en amont, et à danser au son de tous les artistes afin de défier la nuit pour accueillir le jour, ensemble entourée des miens, des nôtres, de tous et toutes.

Blog : Le blog de sab_lune

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À Redon, « les jeunes n’ont plus de liberté »

À l’initiative de la population de Redon et d’organisations comme Amnesty et la Ligue des droits de l’homme, des centaines de personnes se sont rassemblées, samedi, pour dénoncer l’intervention des gendarmes des 18 et 19 juin, au cours de laquelle un jeune homme a eu la main arrachée.

https://www.mediapart.fr/journal/france/260621/redon-les-jeunes-n-ont-plus-de-liberte

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En Bretagne, un week-end pour casser du jeune

Une blessure de guerre au teknival des musiques interdites, une fête de la musique noyée sous les gaz, et entre les deux, des remontrances contre cette jeunesse qui ne va pas voter. En quelques jours, la bourgeoisie s’est surpassée en crasses. Désinhibée par une période de restrictions des libertés, elle a montré tout son potentiel dans ce qu’elle sait faire de mieux : mépriser, heurter, mater.

Vendredi dernier, mon pote m’appelle. « Salut Yoann, je suis désolé de te déranger, mais… Je suis à Redon… Vraiment désolé de te demander… Tu peux venir me chercher ? C’est un carnage ici, ça tire de partout. » Mon cœur s’emballe. Je demande ce qu’il se passe. Il se passe qu’ils ont lâché les chiens. Des centaines de casqués sont en train de noyer sous les gaz un rassemblement festif, le « teknival des musiques interdites ».

Prétextant la violation d’une propriété privée, le non-respect du dernier soir de couvre-feu, un attroupement de plus de dix personnes, qu’importe le prétexte. La priorité est au dégagement, manu militari, d’une jeunesse qui s’amuse. Il faut heurter leur chair, que ça ne leur reprenne plus de danser librement dans un champ, de s’organiser en autonomie pour faire valoir leur droit à la fête, la free party, minorée et illégitime, musique « bruyante et sale », comme le punk naguère, mépris intemporel de la bourgeoisie pour la culture populaire.

« J’ai vu le mec se faire souffler sa main », me dit mon pote, avec cette voix pétrie de peur que je n’ai jamais entendue de sa bouche. Merde, ça aurait pu être lui, ça aurait pu être ma sœur, ça aurait pu être moi. Un gars de mon âge s’est fait mutiler par une grenade. 22 ans. « J’étais à l’avant, les gens tombaient comme des mouches, il y a plein de blessés. » Mon pote finit finalement par s’extraire de la zone dévastée.

Les journalistes n’ont pas pu accéder à l’évacuation militaire. Mais toute la journée, des photos et vidéos amateurs circulent. « Heureusement qu’on a filmé… » se rassure-t-il.

Du matériel de son, censément saisi provisoirement, s’est fait défoncer par les bleus. S’en sont donné à cœur joie, matraques empoignées, lâchés dans l’arène, à perforer des baffles, à déchirer des bâches, à détruire des tablettes de mixage et des PC. Du matériel acheté grâce à la sueur de jeunes qui voulaient faire de la musique leur vie. Qui enchainent des jobs de misère en intérim, des saisons agricoles, pour se payer une tablette de mixage, pour faire danser des gens, pour se professionnaliser dans la musique et dans l’organisation d’événements.

Ambitions réduites à néant par cette horde de gros bras, incontrôlables, pitoyables, inquiétants.

J’aimerais connaître les mots de celui qui a donné cet ordre. J’imagine quelque chose comme : « défoncez tout, ras-le-bol de ces petits merdeux ». La loi n’a pas cours pour ces gens d’armes. Ils ne la connaissent pas, ils ne l’appliquent pas. La raison aussi s’est absentée. Mais la psychologie de ces âmes perdues est le dernier de mes soucis. L’important est la direction du vent, le donneur d’ordre. Ce jour-là, cette nuit-là, il fallait mater ces jeunes. Il fallait les faire chialer, les faire taire, les traumatiser.

« Je n’ai jamais vu autant de gens dans le mal, à pleurer. Je crois que je vais faire une psychothérapie, je n’arrête pas d’y penser. »

Comme chaque fois, le même constat : c’est l’intervention des forces de l’ordre qui a créé un monstrueux désordre. Et comme à chaque fois, ils eurent beau jeu de justifier leur action en pointant la réaction qu’ils ont attisée.

Quoi de plus légitime que la violence réactive de jeunes qui s’en prennent chaque jour plein la gueule, de l’école jusqu’au monde du travail, et depuis toujours dans les free parties, recoins où l’on vient s’échapper d’un quotidien gris et miné. Quoi de plus légitime que de défendre cette intelligence collective, celle qui permet de créer un festival avec les moyens du bord, de se faire plaisir grâce à ses seules mains, cette fierté de construire ces moments de répit, de rencontre, de joie, en dehors du monde de la fête marchande. Quoi de plus légitime que de renvoyer la pierre à ceux qui canardent une fête, qui gazent, qui grenadent à l’aveugle.

Le plus sinistre dans cette affaire, c’est que l’évènement réprimé avait une portée symbolique. Le « teknival des musiques interdites » entendait rendre hommage à Steve, mort noyé il y a deux ans, lors de la fête de la musique, après une intervention policière invraisemblable, salement violente, banalement violente. Je me rappelle, j’étais rentré plus tôt. Des potes à moi y étaient. Ça aurait pu être eux, ça aurait pu être moi.

Voilà une bourgeoisie qui ne se tient plus sage du tout, qui ne veut plus s’encombrer de pacification ou d’aménagement. Qui ne veut pas négocier. Voilà la bourgeoisie crasse, conservatrice, camée d’autorité jusqu’à en frissonner de plaisir. Juste anéantir. Anéantir les mouvements sociaux, anéantir les classes populaires, anéantir les cultures qu’elle déprécie, anéantir la jeunesse prolo, et l’accabler quand elle ne vote pas.

C’est la double peine lorsque cette bourgeoisie invite ses sujets, gendarmes en chef de la boucherie, s’étaler de plateaux en plateaux pour justifier l’injustifiable, pour flatter les pulsions d’ordre des téléspectateurs égarés. C’est la triple peine, le lundi qui suit, à Nantes, quand une marche d’hommage à Steve, deux ans après le drame, se fait harceler par un dispositif policier démesuré, dans la grande tradition nantaise. BAC, CRS, compagnies départementales d’intervention, gendarmes mobiles, hélicoptère, canon à eau, toutes les troupes sont venues donner du cœur à l’ouvrage : pourrir la fête de la musique, surtout celle qui parle de politique.

Et vient la punition collective, comme d’habitude

Ce lundi soir, la marche se dirige vers le lieu de la charge funeste, quai Wilson. Ce secteur de l’île de Nantes est bouclé par la police depuis plusieurs jours, pour empêcher toute commémoration. L’accès au lieu est finalement « gracieusement autorisé » à la famille de Steve par la maréchaussée. Puis retour vers le centre de la Cité des Ducs, on veut profiter de la fête, danser, conjurer la colère. Un camion sono s’immisce dans le cortège pour cracher quelques décibels bien mérités.

Et vient la punition collective, comme d’habitude. Un millier de palets de lacrymogènes intoxiquent les rues, noyant toute perspective d’amusement. Dans la sixième ville de France, le jour de la fête de la musique, des gens venus se retrouver et danser sont en train de cracher leurs poumons. Toutes les terrasses alentour, pleines à craquer, plient bagage dans la précipitation. Des grenades explosives, celles-là même qui mutilent, sont tirées dans la foule, au hasard du brouillard des gaz. Le cortège se déforme, mais se reforme, et performe, jusqu’au bout de la nuit. La colère est ravivée, la fête n’est pas entièrement gâchée.

La veille, des gens inconséquents, abêtis par leurs privilèges de classe, avachis sur leur tabouret d’éditorialiste, d’expert en démocratie, de politicien artificier, se relayaient pour disserter sur l’abstention des jeunes aux élections départementales et régionales.

Certains se proposaient de faire du porte-à-porte pour leur expliquer la République, la citoyenneté, et autres concepts usés par ceux qui en ont fait des totems creux, pour nous pousser au cul des urnes. Mais que peuvent les départements et les régions quand ce sont les préfets, nommés en conseil des ministres, qui annihilent tout espace de liberté non contrôlé et non marchand ? Rien. Du bricolage pour rendre supportable nos existences quadrillées et moroses. Notre salut ne se trouvera jamais dans un vote qui croit nous appâter avec des tarifs réduits sur le TER, portés par des transfuges de LREM devenus écologistes, opportunistes (suivez mon regard).

Ce week-end fut exemplaire en mépris. La bourgeoisie s’est déchaînée.

« Paradoxalement ça a créé de la solidarité, je n’ai pas arrêté de parler avec des gens. On est encore plus déterminé. » L’émancipation individuelle viendra de cette force collective à faire face, à combattre la violence de la bourgeoisie, ses rituels répressifs, son conservatisme culturel. Celle qui exploite toute l’année des jeunes prolos, et qui défonce en prime ses espaces de liberté élaborés artisanalement. Aucun candidat électoral ne conçoit qu’une teuf soit le lieu de l’organisation politique. Qu’un espace de liberté autonome, auto-organisé, contraigne à pratiquer la politique autrement plus puissamment qu’en allant voter.

Blog : Le blog de Yoann Compagnon