La numérisation de nos territoires

Face à ce phénomène : RÉSISTANCE

À aucun moment il n’est envisagé que ces actes de vandalisme puissent exprimer autre chose qu’une destruction matérielle. L’absence de tout moyen de débat rend impossible l’opposition à ce qui constitue bel et bien un projet de société global et non pas juste l’implantation de simples antenne-relais.
À aucun moment n’est évoquée, ni interrogée la fuite en avant technologique imposée aux populations sans débat démocratique ni moindre état d’âme…

Le collectif ÉCRAN TOTAL appelle, partout où c’est possible, à organiser des soirées et des comités de soutien aux inculpés du Limousin et à toute personne inculpée en lien avec des actes de sabotage à destination des infrastructures de communication ou de l’informatique. C’est une quinzaine d’enquêtes menées à ce jour un peu partout en France, avec des peines lourdes, impliquant pour une bonne partie des personnes inculpées, de la prison ferme quand ce n’est pas du sursis et/ou du contrôle judiciaire ainsi que des amendes aux montants hallucinants.
Loin de vouloir faire l’apologie du sabotage, il s’agît de rompre avec l’isolement de ces personnes et de témoigner une solidarité concrète (caisse de solidarité, soirée ou fête de soutien, soutien moral ou juridique, diffusion des affaires, comité de soutien, etc.). Il est aussi crucial de dénoncer la démesure sécuritaire, la gravité des chefs d’accusation et des peines encourues pour étouffer la vague de contestation de la 5G et de la numérisation à marche forcée de nos vies. Enfin, il s’agit de construire un réseau de soutien et d’action sur le long terme pour rendre visible un autre récit public de ces affaires.

ÉCRAN TOTAL : collectif de résistance à l’informatisation et à la gestion de nos vies

Le 11 janvier 2021, un incendie endommageait un émetteur de télédiffusion sur la commune des Cars en Haute-Vienne. Aucun blessé, aucun mort, aucun mouvement de foule ou de panique ne sont à déplorer : l’infrastructure seule était visée. Cet incendie aurait essentiellement privé un peu plus d’un million de personnes de la TNT (télévision numérique terrestre) et de plusieurs stations de Radio-France… et ce pendant quelques jours.
Une enquête a pourtant été ouverte, en lien avec l’incendie de 8 véhicules Enedis sur Limoges, début 2020, sollicitant les services de l’anti-terrorisme pour aboutir, le 15 juin 2021, à l’interpellation brutale de six personnes au petit matin, à leur domicile. Elles sont mises en garde vue – jusqu’à 96 heures pour deux d’entre elles. Une institutrice directrice d’école, une artisan-menuisière et un plombier retraité sont finalement mis en examen à l’issue de cette garde à vue. Le juge décide de leur accorder la liberté sous contrôle judiciaire malgré l’avis du Parquet qui requérait la détention provisoire. Six autres personnes sont perquisitionnées et auditionnées, du matériel confisqué.
Loin des récits de la presse régionale qui en fait des marginaux, chacune des personnes inculpées est reconnue pour son engagement local et son implication professionnelle : plus de 150 personnes se sont relayées toute la semaine devant le commissariat de Limoges. Un soutien local spontané, puis organisé en « Comité du 15 juin », dénonce l’acharnement du Parquet dont l’appel est débouté le 22 Juillet 2021. Il dénonce aussi des méthodes policières démesurées s’attaquant aux différents milieux militants proches des personnes inculpées (chorale, presse engagée, association de sauvegarde des forêts, groupe de réflexion, etc.) : des pratiques abusives non sans rappeler l’affaire de Tamac (19).
Aujourd’hui encore, trois des six personnes interpellées risquent la prison ainsi que des dommages et intérêts colossaux. Quand bien même les preuves de leur culpabilité ne sont pas établies, les motifs d’inculpation semblent sérieux : « destruction et dégradation par moyen dangereux en bande organisée », « association de malfaiteurs » et « destruction de biens de nature à porter atteinte aux intérêts de la Nation ». Des chefs d’accusation suffisamment importants pour justifier le recours conjoint au bureau de lutte anti-terroriste de la Gendarmerie nationale, à une équipe d’enquêteurs spécialisés de la Direction territoriale de la police judiciaire et à la Sous-direction antiterroriste de la Police nationale.

Multiplication des sabotages

Cet acte est loin d’être isolé. Depuis le début du déploiement de la 5G, plus d’une centaine d’antennes-relais a fait l’objet de destructions volontaires en France [1]. Mais des pays de plus en plus nombreux sont également concernés. Le phénomène a débuté en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Chine avant de gagner rapidement l’Irlande, la Belgique, la Nouvelle-Zélande ou encore Chypre… [2] Partout, les sabotages se multiplient et les médias courtisans se perdent en conjectures devant la variété de profils des auteurs présumés. Les inculpés du Limousin appartiendraient à « la mouvance d’extrême gauche ». Mais dans le même temps, deux moines mis en examen pour « tentative et destruction incendiaire » et « association de malfaiteurs » en septembre 2022 seraient eux, membres d’une « communauté catholique intégriste » du Beaujolais. Les complotistes ne sont évidemment pas en reste.
Si certains actes sont réalisés dans l’anonymat, d’autres sont revendiqués. C’est le cas de Christophe Mergault, en Ille-et-Vilaine (Bretagne), qui prend la défense des électro-hyper-sensibles (EHS) de son coin et sabote de manière ostensible 200 concentrateurs Linky qui permettent la diffusion des CPL (Courants porteurs en ligne) et le relevé quotidien des données du compteur. Suite à une délation, il se fera interpeller par la gendarmerie à qui il reconnaît les faits, et les revendique en tentant de politiser la question des électro-hyper-sensibles.
Dans ce procès de David contre Goliath qui finit en véritable débâcle juridique, l’accusé se voit condamner en janvier 2022 à 6 mois de sursis et 48 000 € de dommages et intérêts à la société Enedis. Les associations se démobilisent alors en condamnant l’acte, et faisant par là même le jeu du système répressif en l’isolant toujours davantage. Loin d’être un bandit, il s’avère pourtant être une personne sensible aux nuisances produites par les compteurs communicants sur les populations. Conscient de ces actes (plutôt inoffensifs rappelons-le), il est surtout désespéré face à un déploiement toujours plus intensif au détriment des personnes qui subissent dans leur quotidien l’accroissement des champs électro-magnétiques.
À aucun moment il n’est envisagé que ces actes de vandalisme puissent exprimer autre chose qu’une destruction matérielle. Nous sommes face à une véritable absence de prise en compte des conséquences sociétales du déploiement à marche forcée et sans limite des objets connectés et de leurs infrastructures. L’absence de tout moyen de débat rend impossible l’opposition à ce qui constitue bel et bien un projet de société global et non pas juste l’implantation de simples antennes-relais. À aucun moment n’est évoquée, ni interrogée la fuite en avant technologique imposée aux populations sans débat démocratique ni moindre état d’âme.
Le basculement dans l’ère du numérique a pris une allure plus que fulgurante avec la gestion du Covid et l’instauration d’une vie « à distance » par nos gouvernements. Ce qui n’était alors qu’une tendance de fond est devenu une réalité quotidienne pour tout un chacun.

Un basculement totalitaire

Le numérique est devenu totalitaire ; automatisation des services publics tel que le définit le rapport du Comité d’action publique (CAP 2022) qui planifie la numérisation globale de l’ensemble des services publics et de la protection sociale, traçabilité des humains 24h/24 via le Big Data et le tout connecté, obligation de se munir d’un smartphone pour les actes du quotidien, développement massif du télétravail qui renforce l’isolement et la dépendance aux outils et aux infrastructures de l’informatique, intensification du contrôle social et de la surveillance dans un contexte d’escalade de lois sécuritaires (Lois Renseignements, Loi Sécurité Globale, Loi Drône 2) cumulé à l’instauration d’un état d’urgence sanitaire qui fragilise et freine drastiquement l’organisation et les moyens de la contestation, gestion de la crise sanitaire à coup de QR code et numérisation massive de la santé en cours avec le déploiement actuel à tout usager du système de soin de l’« Espace numérique de santé » (ENS). Autant de raisons légitimes de s’opposer à ce projet névralgique qu’est la numérisation de nos territoires à coup d’antennes et de relais de communication. Quand le processus démocratique n’est plus effectif, quel autre choix que de s’opposer viscéralement et frontalement comme le font ces personnes ?

Il est tellement plus confortable et plus vendeur de désigner les prétendus auteurs de ces actes de sabotage comme des marginaux extrémistes bas du front, et de les offrir à la vindicte et aux commentaires affligeants des citoyens bien-pensants…
Quelle dissonance cognitive permet de considérer comme des héros les révolutionnaires de 1789, les résistants de 1945, les esclaves révoltés, et dans le même temps, de considérer comme des criminels en puissance les saboteurs d’antennes 5G, les faucheurs d’OGM, les Gilets jaunes défilant dans la rue pour appeler à de véritables politiques sociales ? Les révolutionnaires de 1789 auraient-ils dû s’abstenir de prendre la Bastille ? Les résistants de saboter durant la Seconde Guerre mondiale ? Les esclaves noirs de se révolter contre leurs oppresseurs ?

Le sabotage, une pratique toujours d’actualité

Le sabotage, loin d’être une pratique immorale cantonnée aux pires affres de l’Histoire fut, dès l’émergence de l’industrialisation, une méthode de contestation face à l’imposition de nouvelles techniques déshumanisantes et la marche forcée du machinisme (les hiddites au XIXe siècle en Angleterre, le groupe Clodo des années 1980 à Toulouse, les étudiants qui sabotent une borne biométrique dans le lycée de la Vallée-de-Chevreuse en 2005, etc.) [3] Il n’est pas question d’en faire ici l’éloge, mais plutôt de constater que ces pratiques se multiplient et notamment lorsque les moyens du débat sont privés par une méga-structure au vernis démocratique qui ne prend aucunement en compte les nuisances produites sur les premières personnes concernées : les populations.
Pendant ce temps là, nos politiques et nos industriels versent des larmes sur la destruction de la nature tout en s’employant à vider systématiquement la planète de ses ressources et à la saccager chaque jour davantage en y déployant des technologies toujours plus énergivores et inutiles aux populations : éoliennes géantes, antennes 5G, data centers, centrales nucléaires, trains de satellites…
Ils sont capables de proclamer haut et fort les droits de l’Homme et de l’enfant, tout en imposant la numérisation de tous les secteurs de nos vies. Alors même que celle-ci entraîne une exploitation humaine dans les mines du Congo, dans les usines de Chine et de Corée du Sud, dans les dépotoirs de déchets électroniques qui s’étendent en Chine, aux Philippines, au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, au Nigeria, au Kenya, an Ghana et ailleurs [4]. Alors même que, dans les pays consommateurs, les effets dramatiques pour la santé physique et mentale, et particulièrement celle des jeunes utilisateurs d’écrans, sont aujourd’hui très bien documentés [5].
Ils sont capables enfin de parler de « Liberté », d’« Égalité » et de « Fraternité » alors même qu’ils écrasent chaque jour un peu plus leurs conditions d’existence. Où est la liberté du citoyen de refuser le monde déshumanisant de la société industrielle et techno-capitaliste ? Où est l’égalité entre ceux qui imposent et ceux qui subissent ? Quel espace reste-t-il à la fraternité lorsque les relations sont de plus en plus codifiées, régies par des protocoles ou des algorithmes ?
Si on accepte comme définition du terrorisme le fait de « mener des actions visant à contraindre par la terreur », alors qui utilise les moyens du terrorisme dans nos démocraties actuelles ? Les individus et les groupuscules qui détruisent des dispositifs imposés aux populations sans réelle concertation préalable ? Ou bien l’État qui menace de stigmatiser, priver de travail, condamner, enfermer voire éborgner quiconque ne les accepte pas ?
L’instauration d’un monde connecté où tout devient numérique, où le territoire est quadrillé pour former un maillage intégral d’interconnexions résulte surtout d’un choix de société. Et celui-ci s’avère avant tout être le projet d’une minorité au service d’intérêts privés, qu’ils soient d’ordre industriel et financier pour le profit ou d’ordre étatique pour le contrôle. Un projet inutile et imposé qui veille désormais à son acceptation sociale à coup de propagande et de répression.

Notes

[1] Voir à ce propos l’édifiante enquête « Antennes 5G sabotées », réalisée par Lamy- Anne Cholez et Gaspard d’Allens pour le site d’information Reporterre en date du 21 décembre 2021

[2] « Les destructions d’antennes téléphoniques 5G augmentent en Europe », article de Damien Leloup publié le 20 avril 2020 sur le site internet du journal Le Monde

[3] « Les luddites en France : résistance à l’industrialisation et à l’informatisation », collectif, L’Échappée (2010), Techno-critiques : du refus des machines à la contestation des technosciences », de François Jarrige, La Découverte (2014)

[4] « On achève bien les enfants : écrans et barbarie numérique », de Fabien Lebrun, Le Bord de l’Eau (2020)

[5] « La fabrique du crétin digital » de Michel Desmurget, Seuil (2019), « Les ravages des écrans », de Manfred Spitzer, L’Échappée (2019), « Quand les écrans deviennent neurotoxiques », de Sabine Duflo, Marabout (2018)

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