L’eau en bouteille

Alerte de l’ONU

La moitié de l’argent dépensé dans le monde pour l’achat d’eau en bouteille suffirait à assurer un accès universel à l’eau potable, dénonce une étude des Nations unies publiée publiée le 16 mars. Au lieu de cela, une pollution galopante et des contrôles sanitaires insuffisants.

La consommation massive d’eau en bouteille nuit à toute l’humanité, dénonce un rapport de l’ONU

Une étude note que l’eau en bouteille, telle qu’elle est consommée aujourd’hui, a de multiples impacts négatifs pour l’humanité.

La moitié de l’argent dépensé dans le monde pour l’achat d’eau en bouteille, dont les ventes ont explosé ces dernières décennies, suffirait à assurer un accès universel à l’eau potable, dénonce une étude des Nations unies publiée jeudi.

Des préjugés aux lourdes conséquences

Arrêter de consommer de l’eau en bouteille permettrait également de réduire efficacement la pollution plastique, sachant qu’environ 85% des bouteilles finissent dans des décharges, ajoute le rapport. Les choix des consommateurs restent influencés par des préjugés persistants, soulignent les auteurs. « La perception est que l’eau en bouteille est l’option la plus saine« , explique à l’AFP Zeineb Bouhlel, autrice principale de l’étude. « Mais nous avons démontré que ce n’est pas nécessairement le cas, et que les gens paient l’eau en bouteille beaucoup plus cher, de 150 à 1.000 fois plus que pour un litre d’eau du robinet« , ajoute la chercheuse l’institut pour l’Eau, l’Environnement et la Santé au sein de l’Université des Nations unies, basée à Hamilton au Canada.

Des polluants auraient été trouvés dans des centaines de marques d’eau en bouteille dans plus de 40 pays, dépassant souvent les normes locales ou mondiales, explique le rapport. Le rapport alerte également sur le manque de réglementation encadrant l’industrie de l’eau en bouteille. Il met en avant l’incapacité des gouvernements à suivre l’expansion galopante de ce secteur. « Le prélèvement incontrôlé d’eau souterraine pour la mise en bouteille » pourrait, à terme, conduire à l’épuisement ou à la diminution drastique des nappes phréatiques, déplorent les auteurs.

Deux milliards de personnes n’ont toujours pas accès à une eau potable de qualité, rappelle l’un d’eux, Vladimir Smakhtin. Quelques progrès ont cependant été réalisés, soutient l’étude. En 2020, 74% de la population mondiale avait accès à une eau de robinet saine, contre 62% vingt ans plus tôt.

Selon l’ONU, l’eau en bouteille n’est pas toujours plus saine que celle du robinet

L’organisation a passé au crible un marché très polluant qui explose, avec environ 600 milliards de bouteilles vendues en 2021. Selon plusieurs études, ce produit de «luxe» est parfois soumis à moins de tests sanitaires que l’eau du robinet.

L’eau en bouteille serait-elle une parfaite illustration de l’absurdité du monde actuel ? Ce produit de luxe qui pollue, creuse les inégalités et freine, voire empêche, les investissements dans les réseaux publics d’eau potable, n’offre même pas la garantie d’une bonne qualité. Voici en substance la conclusion d’un rapport de l’ONU publié ce jeudi, qui synthétise des travaux et données sur l’industrie mondiale de l’eau en bouteille.

Le marché explose. En cinquante ans, l’eau embouteillée est devenue «un secteur économique majeur», l’un de ceux qui croissent le plus vite au monde, avec un bond de 73% entre 2010 et 2020. En 2021, il était estimé à près de 270 milliards de dollars, pour 350 milliards de litres vendus. Et les ventes devraient encore doubler d’ici 2030, pour atteindre 500 milliards de dollars. Chaque minute, il s’écoule aujourd’hui dans le monde plus d’un million de litres d’eau en bouteille. En volume, l’eau traitée (par exemple par chloration) provenant de réseaux d’eau publics ou d’eaux de surface représente près de la moitié du marché (47%), devant l’eau minérale (33%) et l’eau dite «naturelle» (20%).

Edito Libération

La guerre de l’eau n’est plus un mirage

Les Etats-Unis constituent le plus gros marché (avec environ 64 milliards de dollars de ventes), devant la Chine (45 milliards de dollars) et l’Indonésie (22 milliards de dollars), ces trois pays représentant près de la moitié du marché mondial. En Europe, le plus gros marché est l’Allemagne. Les plus assoiffés d’eau en bouteille sont les habitants de Singapour (qui ont dépensé pas moins de 1 348 dollars par habitant en 2021 pour se procurer le précieux liquide), devant les Australiens (386 dollars par habitant). En moyenne, chaque habitant de cette planète dépense 34 dollars par an d’eau en bouteille, dont le litre peut coûter 150 à 1 000 fois plus que l’eau du robinet. De quoi faire les choux gras de multinationales comme PepsiCo (marque Aquafina), Coca-Cola (marque Dasani), Nestlé et Danone, qui occupent les quatre premières places du marché mondial.

Les raisons d’un tel engouement pour l’eau en bouteille diffèrent. Dans les pays riches «du Nord», cette eau est «souvent perçue comme un produit plus sain et meilleur au goût que l’eau du robinet et représente davantage un bien de luxe qu’une nécessité», remarque le rapport. Dans les pays en développement «du Sud», les ventes d’eau en bouteille «sont principalement dues au manque ou à l’absence d’approvisionnement public en eau qui soit fiable». Des problèmes «souvent causés par la corruption et le sous-investissement chronique dans les infrastructures de distribution d’eau», indique le rapport. Lequel remarque que les compagnies vendant de l’eau en bouteille sont promptes à faire de cette situation un argument marketing en faveur de leurs produits, qui seraient une alternative saine et sûre à l’eau du robinet.

L’eau en bouteille n’est ni plus sûre ni meilleure que celle du robinet

Ce qui est tout sauf certain. «Certaines entreprises privées s’emparent d’un bien commun à peu de frais, la traitent et la vendent à ceux qui peuvent se permettre de l’acheter, pointe le rapport. Mais ironiquement, une soixantaine de cas recensés dans quarante pays de chaque région du monde montrent que le produit n’est pas toujours sûr, les entreprises réalisant beaucoup moins de tests et de contrôles sanitaires de l’eau que le service public de l’eau.» Le document souligne que la teneur en minéraux de l’eau en bouteille peut «varier significativement» selon les marques, au sein d’une même marque voire au sein d’un même lot de bouteilles. L’origine de l’eau (système municipal, eaux de surfaces, etc.), les procédés de traitement (chloration, désinfection au moyen d’ultraviolets, ozonation, osmose inverse), les conditions de stockage (durée, exposition à la lumière, température…), les matériaux d’emballage (plastique, verre), «peuvent tous avoir un impact potentiellement négatif sur la qualité de l’eau en bouteille», souligne le rapport. Avec, à la clé, une contamination de l’eau pouvant être inorganique (métaux lourds, PH, turbidité, etc.), organique (benzène, pesticides, microplastiques…) et microbiologique (bactéries pathogènes, virus, champignons et parasites protozoaires).

Ce constat incroyable «a été une surprise, nous ne nous attendions pas à trouver autant d’études montrant que la perception selon laquelle l’eau en bouteille serait forcément sûre et de meilleure qualité que l’eau du robinet est erronée», confie à Libération Zeineb Bouhlel, chercheuse à l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé et à l’Université des Nations unies pour l’eau, l’environnement et la santé (UNU-INWEH) et autrice principale du rapport.

L’eau du robinet, «généralement de bonne qualité et sûre à boire avec ou sans filtration dans la plupart des pays développés» est «hautement réglementée, fréquemment testée et les paramètres de la qualité de l’eau sont rendus publics», note le rapport. Ce qui n’est pas le cas de l’eau en bouteille. Les standards de qualité stricts imposés à l’eau du robinet «sont rarement exigés de l’eau en bouteille et, même si des analyses sont faites, les résultats sont rarement rendus publics», souligne le document. «Il est plus important que jamais de renforcer la législation qui réglemente l’industrie de l’eau en bouteille en général et ses standards de qualité en particulier», insiste Vladimir Smakhtin, coauteur du rapport et ancien directeur de l’UNU-INWEH.

L’ampleur de la pollution plastique

D’autant que l’opacité règne également concernant les volumes d’eau prélevés par cette industrie, qui «peut avoir localement des impacts significatifs sur la ressource en eau», note le rapport. Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis, Nestlé Waters extrait 3 millions de litres par jour d’une source en Floride, tandis que Danone pompe jusqu’à 10 millions de litres par jour à Evian-les-Bains (Haute-Savoie). De quoi aggraver les conséquences des sécheresses ? Pas vraiment, nous répond Vladimir Smakhtin : «L’industrie de l’eau embouteillée ne contribue pas significativement à la raréfaction de la ressource dans le monde, ses impacts sont négligeables comparé à l’irrigation pour l’agriculture, par exemple».

Les problèmes engendrés sont surtout ailleurs. Dans l’ampleur de la pollution plastique, notamment. L’industrie de l’eau en bouteille a produit en 2021 environ 600 milliards de bouteilles et autres contenants en plastique, soit 25 millions de tonnes de déchets en PET (polytéréphtalate d’éthylène), dont 85% ne sont pas recyclées. L’équivalent du poids de 625 000 camions de 40 tonnes, assez pour former une longue file ininterrompue de New York à Bangkok, illustre le rapport.

«L’eau embouteillée n’est pas une solution soutenable au problème de la soif dans le monde, conclut Vladimir Smakhtin. La solution, c’est d’investir davantage dans les réseaux publics d’eau potable.» Ce qui est tout à fait possible, souligne le rapport. Selon ses auteurs, pour remédier aux inégalités criantes dans l’accès à l’eau potable et fournir celle-ci aux 2 milliards de personnes qui n’en disposent pas aujourd’hui dans le monde, il suffirait d’investir annuellement moins de la moitié des 270 milliards de dollars dépensés aujourd’hui dans le marché de l’eau en bouteille. Question, comme souvent, de volonté politique.

Eau-iledefrance.fr

Articles de moustique.be et de Libération.