De sas en sas

Un film de Rachida Brakni ; avec Zita Hanrot (Nora) , Serge Biavan (le surveillant en chef) , Luc Antoni (Anthony) ; durée 82 minutes

Synopsis

Durant l’été 2013, la canicule s’est installée et Nora se prépare, avec sa mère, a rendre visite à son frère détenu à Fleury-Mérogis. Sur place, elles croisent d’autres femmes, venues voir leur mari. Ensemble, elles passent les multiples portes, essaient d’amadouer les gardiens pour améliorer le confort de leurs proches ou cachent des barres de chocolat dans leur foulard. Souvent, elles se heurtent à l’indifférence du personnel qui suit scrupuleusement le règlement. Toutes se connaissent depuis longtemps. L’une d’elle, exténuée, ne veut plus se rendre au parloir, quitte à ce que son mari ne voit plus sa fille…

Critique, par Guillemette Odicino

Paru dans Télérama

Pour Nora et sa mère, Fatma, c’est le jour du parloir. Tout préparer sans rien oublier et rouler, longtemps, vers Fleury-Mérogis, où elles retrouvent d’autres femmes qui, comme elles, visitent, régulièrement, un homme de leur famille. Pour ces mères, ces soeurs, ces épouses de taulards commence alors un véritable parcours du combattant, dans une chaleur caniculaire…

Rachida Brakni, qui passe à la réalisation, frappe fort avec ce portrait de quelques « condamnées collatérales » à la prison. C’est d’abord un superbe gynécée (composé d’actrices professionnelles et non professionnelles), d’une mixité sociale exemplaire et d’une solidarité insolente : à chaque visite, il faut tenir, rester gaies, papoter comme si de rien n’était, tenter d’amadouer les gardiens, eux aussi victimes de l’enfermement, ou gueuler pour être entendues par l’administration pénitentiaire.

Le contrôle, les vestiaires, la lingerie où elles rapportent du linge propre pour leur prisonnier : tout semble d’une totale véracité. Mais De sas en sas est plus qu’un film social. Rachida Brakni dispose ses héroïnes dans ses plans comme une photographe. Elle orchestre leurs mouvements, des plus énergiques aux plus infimes, avec une grande expressivité : le rouge d’un chemisier, le jaune d’un sac, le bleu électrique d’un blouson éclatant, autant de signes extérieurs de vitalité dans cet intérieur de murs lépreux, de lino terne et de gris acier.

Quand la chaleur et l’attente deviennent insupportables, que les corps et les esprits s’échauffent, Rachida Brakni resserre le tableau sur la peine que ces femmes ont à purger, elles : leur sentiment de culpabilité. De ne pas avoir suffisamment surveillé leurs fils. De ne plus vouloir passer des après-midi entières au parloir pour leurs frères. D’avoir honte d’être mariée à un taulard… Quand s’ouvrira le dernier sas, cette satanée porte du parloir, la violence sera oubliée, et elles souriront, à nouveau, parce qu’il le faut bien. On ne verra pas ces hommes qu’elles viennent visiter. Dans ce huis clos flamboyant, pour une fois, il n’y a qu’elles qui comptent.