La Chine achète les forêts françaises

La Fédération nationale du bois en appelle au président de la République.

L’exportation croissante de grumes de chêne ruinerait la filière française de fabrication de parquets et meubles. Un cri d’alarme qui ne fait pas l’unanimité dans la profession forestière.

FEUILLUS. Le 6 février 2018, la Fédération nationale du bois (FNB) avait invité trois dirigeants d’entreprises de sciage de chêne à venir témoigner de leur désarroi : les scieries spécialisées dans cette essence noble fonctionnent à 60% de leur capacité par manque de matière première. « Faute de grumes, mes employés arrêtent de travailler le jeudi soir », a ainsi déploré Valérie Deschazeaux, dirigeante d’une société de 49 salariés spécialisée dans la fourniture de traverses de rails de chemin de fer. La demande en bois de feuillus explose. Aux marchés traditionnels du parquet, du « bois de rail » et du meuble, s’ajoutent aujourd’hui la construction bois et le « bois énergie ». En face, les scieries françaises ralentissent leur activité. Les volumes de chêne brut disponibles pour la filière nationale « ont été divisés par près de deux, passant de 2,45 millions de m3 en 2007 à seulement 1,25 million en 2017″, révèle Philippe Siat, président de la FNB.

Le coupable de cette situation paradoxale ? La Chine. « Pour contrer l’avancée du désert dans ses régions du nord et stopper la surexploitation de ses forêts, la Chine a fortement réduit ses coupes de bois et cherche donc à s’approvisionner sur les marchés extérieurs », poursuit Philippe Siat. Or, au contraire de la plupart des pays qui protègent leur ressource en instaurant des quotas et des taxes à l’export, la France laisserait faire les traders mandatés par les Chinois. Alors qu’ils achetaient 50.000 tonnes de grumes en 2007, les industriels asiatiques ont raflé 500.000 tonnes l’an dernier. Dans les ventes à gré qui se font à partir de prix proposés pour chaque lot par les acheteurs, les traders travaillant pour l’export n’auraient aucun mal à surenchérir. Les prix du chêne, évidemment, flambent, passant d’un indice 100 en 2007 à 160 dix ans plus tard.

La forêt française produit de moins en moins de chêne

LABEL. La situation est évidemment dommageable pour la filière. Les industriels mettent en avant les menaces sur 26.000 emplois dans des territoires ruraux où le travail est rare. Ils dénoncent également le fait que le chêne brut parti en Chine revient en France sous forme de parquets et meubles à bon marché. Alors que le bois stocke le CO2 et permet ainsi de lutter contre le réchauffement climatique, le voyage sur plus de 30.000 kilomètres des grumes génère 17 fois plus de gaz à effet de serre que si ces volumes étaient restés en France.

La profession s’adresse donc directement au Président de la République pour stopper l’hémorragie. Elle rappelle notamment qu’Emmanuel Macron avait déclaré en avril 2017 avant son élection que la situation de la filière bois est « l’un des plus grands scandales économiques que je connaisse ». Pour les scieurs, une solution s’impose : la labellisation. Il existe en effet un label européen qui impose que les arbres abattus soient transformés sur le continent. L’Office national des forêts (ONF) qui gère les forêts publiques y est ainsi assujetti. Pas les propriétaires privés qui représentent 70% de la surface forestière française. Lesquels sont évidemment tentés de vendre le plus cher possible des chênes qui ont mis 8 générations pour atteindre leur taille d’exploitation.

La surface forestière française double, la filière du bois stagne

RESINEUX. La Chine est-elle pour autant entièrement responsable de la situation ? Une autre donnée en effet interpelle. La récolte de chêne a diminué de 400.000 m3 ces dix dernières années, contribuant à mettre en tension le marché. Regroupant les forestiers privés de France, l’association Fransylva préfère mettre l’accent sur ce déficit. L’industrie française du bois française s’est en effet progressivement concentrée sur les résineux qui représentent aujourd’hui 72 % de la récolte. Depuis 15 ans, les abattages de feuillus ont baissé de 30%, la production de sciages de 60%… alors qu’en Europe, elle n’a baissé que de 10%. Pour Fransylva « c’est le manque d’investissement, la capacité à innover dans les outils pour augmenter la création de valeur ajoutée et surtout une vieille tradition qui fondait le modèle économique des scieries autant sur le négoce du bois que sur la production de sciage » qui serait responsable de la situation.

La filière française continue ainsi de se débattre dans ses contradictions. Alors que les surfaces forestières de l’Hexagone ont été multipliées par deux depuis le début du XXe siècle, la production de bois d’œuvre, elle, n’a cessé de péricliter. Une situation que ne résoudra en rien la fermeture des frontières aux traders chinois.

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Un article paru le 14 février