La fable du « veto climatique » de Macron

Premier billet d’une série sur le CETA ; de Jean Gadrey

Le CETA -accord dit de libre-échange entre l’UE et le Canada-, selon moi constitue l’enjeu écologique, sanitaire, social et démocratique n° 1 de l’année 2018. Je m’en expliquerai par la suite. Mais commençons dans ce billet par l’enjeu climatique, car dans ce domaine, ça chauffe et le CETA est une machine à réchauffer encore plus.

Ses promoteurs – les multinationales des deux côtés de l’Atlantique, les gouvernements néolibéraux et bien entendu la Commission européenne – le savent parfaitement, mais la « valeur pour l’actionnaire » l’emporte sur toute autre considération. Ils savent aussi que l’opposition est forte du côté de la société civile organisée, qui a commencé à se faire entendre au-delà de ses propres rangs, et que de sérieux doutes existent aussi dans des cercles a priori peu militants. C’est ainsi que la « commission Schubert », pourtant nommée par le gouvernement, dans son rapport remis en septembre dernier sur « l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé » faisait une analyse et une préconisation ainsi résumées :

Extraits de la synthèse du rapport (page 7)

« Le grand absent de l’accord est le climat… Le manque est patent dans trois dimensions : (1) la dimension purement commerciale (rien n’est prévu pour limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport international maritime et aérien induite par l’augmentation des flux de commerce), (2) la dimension investissement (rien n’est prévu pour inciter à la mise au point et l’adoption de technologies moins émettrices de carbone, pas de clause d’exclusion pour les mesures relatives à la lutte contre le changement climatique dans l’ICS), (3) la dimension de la politique économique (rien sur la convergence des instruments de lutte contre le changement climatique). »

Une des préconisations de la commission : « Introduire un « veto » climatique sur la protection des investissements »

« Pour les recours qui pourraient être engagés par un investisseur étranger au sujet d’une mesure de lutte contre le changement climatique, la commission recommande d’introduire dans le traité CETA un mécanisme permettant aux Parties contractantes de déterminer, à la place du tribunal de l’ICS, si une telle mesure est conforme au traité… En pratique, un tel mécanisme de « veto » permettra aux Parties contractantes de faire en sorte que leurs politiques climatiques ne soient pas entravées par les procédures du chapitre sur l’investissement ». Fin de citation.

Notons toutefois que cette commission ne semble pas nourrir d’illusions sur la proposition qui précède vu qu’elle énonce, juste après, une autre proposition, non contraignante (car sans réelle portée face au droit commercial), ce qui commence ainsi : « Au cas où il ne serait pas jugé possible de rouvrir une discussion sur le texte de l’accord, la commission recommande de négocier et de conclure, en parallèle de la finalisation du CETA, un accord climatique entre l’UE et le Canada. »

NICOLAS HULOT VA SE CHARGER DU VETO

La propagande gouvernementale actuelle vise à nous faire croire que cette idée de veto a été retenue. C’est ainsi que Nicolas Hulot déclarait le 24 octobre dernier, à l’issue d’un Conseil des Ministres, « on va mettre en place ce qu’on peut appeler une forme de veto climatique qui doit nous assurer dès maintenant que les dispositions qui sont destinées à mettre en œuvre nos propres engagements climatiques ne puissent en aucun cas, et notamment dans le cadre des tribunaux d’arbitrage, être attaquées par un investisseur ».

Apprécions la formule « ce qu’on peut appeler… une forme de… veto », qui annonce probablement la couleur… d’un renoncement qui nous sera prochainement présenté comme une victoire.

Plus récemment, le 14 février, le même Nicolas Hulot affirmait, au cours d’une audition devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, que le CETA et le Mercosur (sur lequel je reviendrai) « ne sont pas en l’état climato-compatibles« . Sa secrétaire d’État Brune Poirson précisait : « Nous avons sollicité la commissaire européenne au Commerce qui a indiqué, en décembre dernier, être d’accord pour travailler sur le veto climatique ». Ce dernier prendrait « la forme d’une déclaration juridique interprétative, qui sera adossée à la partie consacrée aux investissements dans le CETA« .

Cela vous rassure ? Cela devrait, vu que c’est fait pour cela. Mais non, c’est tout sauf rassurant : on a « sollicité », d’accord pour travailler », « déclaration juridique interprétative ». Tout pour éviter ce qui serait le seul veto : renégocier le CETA en annulant ce qui a été négocié loin des citoyens et tout près des lobbies d’affaires.

D’ailleurs, en septembre dernier, la Fondation Nicolas Hulot, rebaptisée Fondation pour la Nature et l’Homme, avait vivement condamné la décision française d’application provisoire du CETA dans un communiqué intitulé « Journée noire pour la planète, la santé des européens et pour la crédibilité de la parole publique ».

Extrait : « En dépit des conclusions sans appel de la Commission d’experts mise en place par le Premier Ministre, le gouvernement français a choisi de ne rien faire pour arrêter l’application provisoire du CETA, ce 21 septembre 2017. Le Chef de l’État bafoue ainsi l’engagement qu’il avait pris le 1er mai 2017, dans son discours principal de l’entre-deux tours, d’aller renégocier le CETA en cas de risques avérés pour la santé et l’environnement. » La FNH ajoutait enfin « Quant aux annonces gouvernementales de mesures de suivi et de « mise sous vigilance de l’accord », elles ne sont que de la poudre aux yeux car il n’existe pas d’autre moyen pour prévenir les dangers liés au CETA que de modifier l’accord lui-même. »

IL N’Y AURA PAS DE VETO CLIMATIQUE AVEC LE CETA ACTUEL

Je prends les paris. Sauf si, comme je l’espère, la pression citoyenne prend beaucoup d’ampleur et fait vraiment reculer les pro-CETA, on aura juste droit à du greenwashing sur de timides mesures annexes que Nicolas Hulot sera chargé de présenter comme autant de victoires de « La France ». On célèbrera en haut lieu la compatibilité du CETA avec l’accord de Paris, c’est certain. Mais ce sera du vent, car :

– le pétrole brut canadien issu des sables bitumineux (et d’autres énergies fossiles nord-américaines) arrivera de plus en plus en Europe avec une plus grande « liberté des échanges ». Or c’est un désastre écologique et climatique. Comme l’écrit diplomatiquement le rapport Schubert, « La principale difficulté [sic !] pour le Canada pour agir dans le domaine climatique est l’abondance de ses ressources de pétrole brut… issu à 90 % des sables bitumineux, dont l’extraction et l’utilisation, outre différents dommages sur l’environnement immédiat, génèrent un volume de GES 41% plus élevé qu’un baril de pétrole classique ». Or dans le CETA aucune exception n’est formulée concernant le secteur de l’énergie : les droits de douane sur les matières premières énergétiques – qui étaient bas – vont être supprimés, facilitant l’importation de pétrole, de gaz et de charbon d’outre-Atlantique. L’accord interdit alors de revenir en arrière et d’introduire des mesures qui pourraient être vues comme des restrictions commerciales.

– Le CETA privilégiera ainsi nettement les énergies fossiles, en contradiction avec l’article 2 de l’Accord de Paris qui nécessite de restreindre l’exploration, la production et le commerce international des énergies fossiles. Ce que le rapport Schubert mentionne également : « La société civile mondiale se mobilise aujourd’hui pour éviter l’extraction de combustibles fossiles, et en particulier les plus polluants, charbon et schistes bitumineux notamment. Ces actions sont logiques dans un contexte où l’Accord de Paris implique de laisser dans le sous- sol une bonne partie des ressources fossiles ».

– La croissance des transports maritimes et aériens qui accompagne forcément l’expansion des échanges transatlantiques ne fera l’objet d’aucune mesure autre que le vœu pieu d’une amélioration des technologies de transport. Or c’est l’un des gros postes d’émissions additionnelles de GES, que des cabinets de conseil commandités par la Commission s’efforcent de minimiser sans pouvoir en nier l’existence.

– La « Déclaration d’interprétation » d’octobre 2016 , qualifiée par les ONG de « nouveau dépliant publicitaire de la Commission » et « d’écran de fumée », rappelle certes l’existence de l’Accord de Paris comme élément de contexte. Mais elle ne s’appuie sur aucune formulation juridique qui rendrait les engagements de Paris opposables face au droit commercial.

– Le principe de précaution, qui constitue une base essentielle de la politique communautaire en matière de santé, d’environnement et de protection des consommateurs, est absent de la culture réglementaire nord-américaine, et n’est pas reconnu par le CETA.

– En résumé, selon Maxime Combes, économiste spécialiste du climat, « En aggravant la division internationale de la production, le CETA rend non seulement plus difficile la possibilité de développer des circuits-courts – qui réduisent le coût de transport et les émissions de CO2 associées tout en favorisant l’emploi local et la qualité des produits – mais il aggrave également la dépendance de nos économies aux énergies fossiles, hypothéquant une transition énergétique d’ampleur ». C’est au fond la même appréciation des risques que celle de la très officielle commission Schubert, même si cette dernière fait mine de croire que l’actuel gouvernement pourrait négocier un veto climatique qui ne soit pas « de la poudre aux yeux », selon les termes de la FNH.

Pour d’autres précisions, voir la partie 2, consacrée au climat, de ce rapport conjoint d’Attac, de l’AITEC, des Amis de la Terre, de l’ONG Corporate Europe Observatory, de Foodwatch et des économistes atterrés (septembre 2017) : « L’impact macro-économique du CETA et ses conséquences sur le climat, la santé, l’agriculture et l’emploi ». J’aurai l’occasion d’y revenir, car les raisons de mettre le CETA en échec ne concernent pas que le climat. J’aurais même tendance à penser que le plus grave se situe dans le dessaisissement du politique et du démocratique au profit d’un nouveau pouvoir réglementaire des multinationales et de la finance, ce qui aurait des conséquences inouïes sur les politiques climatiques comme sur bien d’autres enjeux de société.

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