Le gouvernement libéralise la distribution de la presse

Bruno Lemaire et Françoise Nyssen passent en force et soutiennent un projet de loi qui met fin aux principes d’égalité et de solidarité hérités de la Libération.

Le rapporteur laisse entendre que Presstalis ne recevra plus d’aides publiques.

Conséquence de l’affaire Benalla, la révision constitutionnelle est reportée sine die. La cession des parts détenues par l’Etat dans Air France au groupe Accor est reportée. La presse, en revanche, ne bénéficie pas du moindre sursis. Marc Schwartz, conseiller à la Cour des Comptes, ancien directeur de cabinet de Françoise Nyssen, a remis un projet de loi commandé par le ministre de la Culture et Bruno Lemaire, ministre de l’Economie et des Finances sur la distribution de la Presse, qu’ils viennent de valider. La concertation doit avoir lieu cet été et le projet doit arriver devant le Parlement à l’automne.

Cette loi mettra fin à une loi de 1947, dite Bichet, qui confiait la distribution de la presse à des coopératives d’éditeurs qui devaient accepter tous les titres. Avec le nouveau projet, ce seront des sociétés privées, placées sous l’autorité d’un organe de régulation, qui distribueront les journaux. Et les marchands de presse auront la possibilité de refuser les titres dont ils ne veulent pas.

Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement, parce que les messageries Presstalis ex-NMPP, vont disparaître. Les grands éditeurs, notamment les quotidiens nationaux, qui jouent un rôle prépondérant dans leur gestion n’ont pas imposé, depuis vingt ans, la moindre réforme structurelle en dépit des aides massives de l’Etat. Les plans de départs se sont succédé sans que les comptes ne se soient améliorés.

Marc Schwartz affirme que « si la situation (de Presstalis) a été stabilisée, elle reste fragile et impose une réforme structurelle de l’organisation du système de distribution ». L’entreprise a évité, selon lui, le dépôt de bilan, en décembre dernier, en raison de l’attitude des éditeurs qui ont accepté de repousser la perception des recettes qui leur étaient dues. Le rapporteur écrit que la « situation financière était beaucoup plus dégradée que ce que la société prévoyait». Ce qui a valu à Anne Marie Couderc, la présidente de l’époque d’être poussée dehors par les éditeurs sans que cela ne l’empêche de se retrouver à la tête d’Air France...

« CETTE SITUATION NE SAURAIT PERDURER »

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Presstalis est encore en vie grâce à une contribution obligatoire de 2,25% sur le chiffre d’affaires des éditeurs, un apport financier des grands groupes de 53 milions d’euros et surtout un prêt de l’Etat, via le FDES, de 90 millions d’euros.

Or, cela ne se reproduira plus. «Les conséquences d’une éventuelle faillite de Presstalis sur l’ensemble des acteurs de la filière (éditeurs, dépositaires, diffuseurs) ont été considérées comme suffisamment graves et aléatoires pour avoir justifié, jusqu’à présent, une intervention de l’État, précise Marc Schwartz qui ajoute, en termes sibyllins mais néanmoins très clairs:« Cette situation ne saurait perdurer indéfiniment car elle crée un aléa moral préjudiciable à la recherche de solutions pérennes ».

Le rapporteur justifie ainsi ce revirement des pouvoirs publics :   » Depuis 2009, l’État alloue aux éditeurs une aide récurrente à la distribution des quotidiens d’information politique et générale de 18 M€ par an, qui revient, en pratique, à Presstalis, seule messagerie assurant la distribution des quotidiens. Or il est prévu d’augmenter cette mesure de 9 M€ pendant quatre ans, par redéploiement de crédits depuis le fonds stratégique de développement de la presse (FSDP).

L’État se retrouvera ainsi à apporter, avec 27 M€ par an, près de 10 % du chiffre d’affaires de Presstalis via des aides publiques ». Et il précise : «Cette crise fournit l’occasion d’entamer une réflexion globale sur les aides à la presse et leur adéquation avec les objectifs de politique publique poursuivis. L’État a été amené à consentir à Presstalis trois prêts en six ans, d’un montant total de 140 M€.

Le caractère successif de ces interventions, qui viennent en complément des aides sectorielles, soulève manifestement des questions quant à leur effet réel ». Et Marc Schwartz de prendre pour exemple le Royaume Uni, l’Italie, l’Allemagne, la Suède où « il n’existe d’aides publiques directes en faveur d’entreprises de distribution de la presse ».

L’ETAT SE PREPARE A LACHER PRESSTALIS

Sans le dire officiellement, Marc Schwartz prépare le secteur à l’idée que l’Etat va lâcher Presstalis. Ce retrait public condamne le plan de sauvetage de l’entreprise validé par le jugement du tribunal de commerce de Paris. Il délie les quotidiens nationaux de l’engagement qu’ils avaient pris de rester cinq années dans l’entreprise. Il permet également à tous les titres gérés par Presstalis de ne plus respecter les nouvelles contraintes  instaurées en matière de préavis. La modification radicale des règles du jeu de la distribution délie tous les éditeurs distribués par Presstalis des obligations qu’ils ont pris ou qui leur ont été imposées par ces messageries.

Certains verront dans cet abandon, le signe d’une punition décidée par Emmanuel Macron à la suite du traitement de l’affaire Benalla par les médias qui ont, selon lui, dit « beaucoup de bêtises».

Marc Schwartz se contente de faire état d’une perte d’exploitation de 21,7 millions d’euros en 2017 pour un chiffre d’affaires de 311 millions d’euros en 2017. Et il confirme que l’entreprise prévoit un résultat d’exploitation positif de 15 millions d’euros en 2019 sous réserve que certaines décisions concernant la réduction du personnel et la réorganisation des plate formes de distribution soient mises en oeuvre.

Pour autant, cela ne suffira pas à sauver l’entreprise.

BAISSE DE 16% DU CHIFFRE D’AFFAIRES

Les documents internes de Presstalis, communiqués à l’assemblée générale de la coopérative des magazines, font état d’une baisse du chiffre d’affaires de 16,2% de janvier à mai 2018 au lieu des 5% attendus. Un résultat qui n’a rien d’étonnant, si l’on sait que la baisse des quotidiens nationaux avoisine les 15% et celle des news magazine, 30%. Des éditeurs,  présents à cette assemblée, anticipent des pertes de 70 millions d’euros fin 2018, accompagnés d’une dégradation des fonds propres négatifs qui passeraient de 358 millions d’euros fin 2017 à 428 millions. Le besoin de trésorerie atteindrait 66 millions d’euros à la fin de l’année. En 2019, les pertes d’exploitation seront réduites à 35 millions d’euros mais les fonds propres seront négatifs à hauteur de 463 millions et la trésorerie déficitaire à hauteur de 97 millions d’euros.

Considérant que l’entreprise Presstalis n’a plus d’avenir, le gouvernement tire un trait et ouvre la porte à des solutions privées. Pour ce faire, Marc Schwartz propose de «substituer au statut coopératif obligatoire» un «droit à la distribution» garanti par la loi, sous le contrôle du régulateur. Il demande que cette fonction soit remplie par l’Arcep (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et de la Poste) dont les compétences sont plus reconnues dans l’univers de la 4G que celui de la presse.

L’Arcep déterminerait l’ensemble des obligations s’imposant aux entreprises assurant la distribution de la presse. Ces sociétés auront, selon Marc Schwartz, l’obligation « de faire droit, dans des conditions techniques et financières équitables, à la demande de distribution ».

TOUT LE POUVOIR AUX SOCIETES PRIVEES

L’Arcep donnera l’agrément aux entreprises de distribution. Si les conditions d’octroi de cet agrément ne sont pas encore connues, il paraît acquis que cet organisme ne pourra pas l’accorder à des sociétés dont les fonds propres sont négatifs. Ce qui exclut irrémédiablement Presstalis et son concurrent, les MLP, aussi longtemps que ce dernier – dont la situation n’est pourtant en rien comparable à Presstalis– n’aura pas reconstitué les siens.

Une fois créées, ces sociétés privées, ces « nouvelles messageries » passeront des contrats avec les éditeurs, l’Arcep veillant à ce qu’ils ne comportent pas de clauses discriminatoires. Presstalis comme les MLP ne seront donc plus habilitées, en conséquence, à déterminer  les barèmes. Les 22 millions d’euros versés au titre de la péréquation, c’est-à-dire de la contribution que tous les éditeurs versent au profit des quotidiens nationaux n’aura plus lieu d’être.

Marc Schwartz souhaite que les titres d’information politique et générale (IPG) bénéficient du droit d’être distribué dans tous les points de presse. Pourtant, ce principe, déjà reconnu dans la loi actuelle n’est plus mise en œuvre par les éditeurs en raison du coût prohibitif des invendus. Libération , avec ses 14400 exemplaires vendus au numéro, Le Monde et Le Figaro, avec leurs 40000 n’approvisionnent plus les 22000 points de vente français.

Les titres qui ne sont pas « ipg » n’auront pas,eux,le droit d’être distribué chez tous les diffuseurs, ce qui fragilise leur position sauf s’ils se regroupent entre eux pour obtenir une meilleure mise en place.

FIN DU PRINCIPE DE NEUTRALITE

Enfin, le marchand de presse pourra refuser des titres sans avoir à se justifier, toute « flexibilité lui étant laissée ». Cette décision met fin au principe de neutralité de la distribution de la presse et porte atteinte aux libertés publiques figurant dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Rien ne semble, à ce jour, arrêter la machine d’Etat. La seule incertitude concerne l’identité de la société qui prendra le relais de Presstalis. Aucun éditeur français ne se montrant intéressé, il est probable que des acteurs du monde d’internet ou des télécoms décident de créer des messageries de presse. Au delà de l’intérêt financier, cette opération leur permettrait d’accroître leur contrôle sur le monde des contenus produits par les éditeurs du Vieux Monde.

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