Astrid c’est fini

Grande émotion au sein de l’extrême droite française…

Un article de Jean Marc Sérékian, paru sur carfree

Est-ce à croire que les chercheurs scientifiques du CEA cotisent en masse auprès de cette officine politique ? Ou à l’inverse, le populisme recruterait-il aussi facilement dans les rangs de l’élite savante de la nation ?

On apprend par voie de presse que l’Etat français a décidé d’abandonner « en catimini » le projet Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration).

A l’annonce de la nouvelle, la patronne du RN, Madame Le Pen, a dénoncé rien de moins qu’un « crime économique, technologique et écologique », bref la totale. A tout casser, on peut lui concéder le « crime technologique », même s’il serait plus juste de parler d’euthanasie de délivrance ou d’amputation de sauvetage de l’atome en souffrance… Mais pour les deux autres aspects du crime, il ne faut quand même pas exagérer ; on sombre en plein dans la démagogie du populisme…

Dans la même veine de la vive émotion, la droite moins extrême a aussi dénoncé « une faute, écologique, stratégique et politique ». Le ton plus posé ne nous rapproche pas plus de la vérité. Décidément pour la droite (canal historique) en décrépitude comme pour l’extrême droite, Macron et sa clique En Marche ne font pas dans l’écologie…

Puisque les tenants de la droite extrême recentrés à droite crient, unanimes, au crime écologique, qu’il nous soit permis de faire quelques rappels et commentaires sur la vieille imposture technologique des « neutrons rapides » en la situant dans le contexte global de Bérézina de l’atome tricolore.

Un non-évènement

Il faut raison garder… Si pour l’extrême droite française il y a de quoi monter au créneau pour dénoncer un coup bas porté au fleuron historique de la recherche française en physique et ingénierie nucléaire ; pour les milieux écologistes, il s’agit plutôt d’un non-évènement. Ou au mieux et plus exactement, on est devant une décision de longue date attendue. Mais, en regard de l’urgence de la sortie du nucléaire, on reste dans le registre du symbolique. Indépendamment des écologistes (anti-nucléaires) et de leur analyse sociétale, tous les gens honnêtes dans les hautes sphères scientifiques, y compris liées à l’atome tricolore, avaient cessé de croire à la viabilité de ces réacteurs pompeusement désignés en France de « 4e génération ». Bref, plus personne ne se faisait d’illusion sur la réussite du projet Astrid.

Mais dans cette phase historique globale de Bérézina de l’atome tricolore suite à Fukushima, le registre symptomatique est aussi à considérer. Après la catastrophe nucléaire japonaise de 2011, la santé de l’industrie nucléaire française va de mal en pis. Une sorte de réaction en chaîne s’acharne sur l’atome. Suite à la faillite d’Areva – récemment démantelé et reconfiguré en société minière sous le nom Orano- et avec la situation d’extrême précarité financière d’EDF, l’Etat providence des nucléocrates fait le tri des déchets dans la friche industrielle pour sauver les meubles encore capable de servir. Il réduit la voilure en sacrifiant Astrid, ce Grand projet inutile imposé sans avenir industriel. Naviguant désormais à vue dans une conjoncture difficile, il resserre les rangs autour de son parc atomique délabré ayant dépassé sa limite de péremption. Le grand carénage bouffe tout le pognon sans parler de la gestion impossible des déchets radioactifs avec le projet Cigéo à Bure de l’Andra qui s’avère tout aussi vorace en milliards d’euros.

Mais si l’atelier protégé Astrid des fondamentalistes en physique atomique passe à la trappe, la France reste malheureusement une puissance nucléaire avec son arsenal de destruction massive qu’elle ambitionne de perfectionner comme s’acharnent à le faire, Etats-Unis en tête, les complexes militaro-industriels occidentaux. A la guerre comme à la guerre… En ces temps de retraite stratégique sur seuil de Bérézina, l’état-major nucléaire se trouve contraint d’abandonner une pièce maitresse de manipulation hasardeuse pour sauver le noyau dur du nucléaire qui reste aujourd’hui plus que jamais le summum du meurtre de masse.

Et là encore il faut constater que dans le domaine scientifique des armes de destruction massive les compétences en physique nucléaire s’éclipsent derrière la rayonnante science informatique. Il est vrai, en effet, que pour augmenter le quotient intellectuel (QI) des têtes nucléaires avec de l’intelligence artificielle (IA), on a moins besoin de fondamentalistes en neutrons rapides que de chercheurs en algorithmes des systèmes communicants. Signalons en passant que, contrairement à son grand récit pseudo-pacifique servi depuis l’avènement d’Internet, la science informatique a toujours accompagné et armé en premier les complexes militaro-industriels. Dans le perfectionnement des armes de destruction massives, le potentiel de nuisance du numérique semble inépuisable. Faut-il rappeler que les drones et robots tueurs promis à un bel avenir sont le fruit de ce domaine de recherche informatique et robotique ?

Si, selon la doctrine officielle de la « dissuasion nucléaire », la préparation du meurtre de masse s’affirme comme le gage de la liberté du « monde libre », la rationalité scientifique alliée au pragmatisme économique impose aussi d’économiser les munitions, d’où l’urgence actuelle d’élever leur QI avec de IA.

En bref, dans ce contexte international de menace réactivée du crime de masse organisé par les savants, si la mise en sourdine des « neutrons rapides » peut être vu comme une bonne nouvelle par certains, elle se réduit au final à un non-évènement attendu depuis longtemps. La menace nucléaire est toujours présente et croissante comme le rappelle Jean-Pierre Dupuy en février 2019 dans son livre : « la guerre qui ne peut pas avoir lieu ».  Dans la tête des stratèges militaires qui la préparent très activement, le feu nucléaire couve toujours 25 ans après la fin de la Guerre froide avec la victoire du dit « monde libre » et le ralliement enthousiaste des élites russes au capitalisme fossile occidental. Paradoxalement, en effet, l’unification idéologique du monde autour de l’accumulation du capital a réactivé les velléités meurtrières des chercheurs scientifiques…

Dans la même veine des Grands projets inutiles imposés, datant des folies scientifiques du siècle passé, il faut s’attendre à l’abandon du projet ITER. Si Astrid engloutissait des millions en pure perte, ITER, réacteur de fusion nucléaire surnommé « Le Soleil sur Terre », dévore en pure perte les milliards d’euros comme l’EPR. Mais là aussi, si certain pourront se réjouir d’une bouffée de pragmatisme économique, la lucidité imposera de constater que l’Etat ne fait que resserrer les cerveaux savants autour du noyau dur de la recherche sur meurtre de masse.

« 3G » « 4G » et la fin de la Panacée

Ainsi Astrid est mis en sourdine… Qu’adviendra-t-il de l’EPR après son nouveau raté et forfait pour démarrer avant 2020 ? Car, il faut le rappeler, dans la cosmologie nucléaire français construite après l’enterrement de Superphénix et avec l’avènement d’Areva en 2001, l’EPR s’inscrivait en « réacteur de 3e génération » « le plus sûr au monde » pour assurer en toute sécurité l’arrivée de la Panacée atomique avec la « 4e génération de réacteur » : du « tout en un ». Rêver par les savants dès les sixties ce réacteur providentiel fruit des subtilités de la physique des matières fissibles et fertiles était censé résoudre à la fois tous les problèmes énergétiques de la nation en recyclant ses propres déchets en combustible. Restait un bête problème d’ingénierie : assurer la sécurité du fluide caloporteur idéal choisi : le sodium liquide capable de s’enflammer et d’exploser au contact de l’eau et de l’air. Ainsi et en résumé, selon les plans savants, l’EPR (3e génération) déclaré le « plus sûr au monde » devait préparer l’avènement du réacteur (4e génération) le plus dangereux de la technologie nucléaire. Ce mythe techno-écologique et humaniste ad hoc des physiciens atomiques tricolores a fait long feu, sauf, bien sûr, pour l’extrême droite française qui crie aujourd’hui au « crime écologique ».

Historiquement, le projet expérimental de semi-Superphénix, était un lot de consolation et de rattrapage accordé aux savants qui n’avaient  pas pu faire leur deuil de la filière des neutrons rapides. Les chercheurs scientifiques avaient rectifié leur calcul sur la comète nucléaire et envisageaient un possible démarrage des réacteurs de 4e génération à l’horizon 2050 ; entre temps les EPR devaient assurer l’intérim en toute sécurité. Quarante ans à tenir sans catastrophe majeure, mais, en 2011, au plus mauvais moment survint l’évènement de Fukushima. Malgré la volonté farouche de l’élite atomique pour enterrer au plus vite la catastrophe japonaise, le compte à rebours de l’industrie nucléaire s’est mis en route.

L’impasse évolutive des surgénérateurs, largement connue depuis les années 1990 et démonter à Creys-Malville, a fait son chemin pour se révéler bien au-delà des milieux écologistes. En définitive avec l’arrêt d’Astrid, il s’agit d’une sage décision sur le plan économique. Comme on dit : il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais les vingt ans de retard au remède de cheval nécessaire ont coûté cher aux français, près d’un milliard selon les chiffres officiels.

Bis repetita placent, encore une fois aux mêmes maux nucléaires les mêmes remèdes économiques. Après le fiasco scientifique de Superphénix à Creys-Malville dans les années 1990 imposant l’abandon et la mise en démantèlement du réacteur, le nucléaire n’a plus d’avenir sur les plans scientifique et technique dans le domaine énergétique. EPR inconstructible et Astrid au placard, c’est ainsi la fin dernière de la Panacée. Et l’actualité internationale nous révèle que partout dans le monde l’atome retourne tout entier à son corps de métier originel qui est le perfectionnement des armes nucléaires.

Memento mori

Pour mémoire, rappelons la grande prophétie scientifique de deux enthousiastes nucléocrates lancée au début de l’aventure atomique française dans les années 1970 : « Des réacteurs fournissant plus de combustible qu’ils n’en consomment, voilà de quoi exciter l’imagination des physiciens et des ingénieurs ! Du rêve à la réalité il n’y a souvent qu’un pas : ces réacteurs, dits à neutrons rapides, sont déjà dans leur phase de démonstration. Ainsi Phénix, premier réacteur de puissance de ce type doit diverger dans quelques mois [année 1973]. » « Il faudra certes attendre les première grandes centrales de plus de 1000 mégawatts pour prouver dans les faits les pronostics actuels, mais tout porte à croire que les réacteurs à neutrons rapides devraient, dès la fin du [20e] siècle, prendre une place essentielle dans la production d’énergie électrique. N’est-ce pas d’ailleurs une nécessité pour sauvegarder les ressources naturelles en uranium ? »

Continuons la litanie prophétique des élites scientifiques ayant auréolé l’avènement conceptuel de la Panacée des neutrons rapides : « C’est la seule technique actuellement possible pour prendre la relève des combustibles fossiles et économiser des ressources qui tôt ou tard s’épuiseront. » 

Et pour comprendre le cri de « crime écologique » lancé par l’extrême droite française à l’arrêt d’Astrid : « A une époque où se développe la conscience de la qualité de la vie et où se manifeste avec acuité la nécessité de protéger la nature et l’environnement contre les dégradations dues aux techniques modernes, l’énergie nucléaire apparaît comme une solution aux problèmes de pollution atmosphérique… »

Précision scientifique oblige, la prophétie de la Panacée des neutrons rapides capables de purifier l’atmosphère se doit d’être chiffrée : « Parmi les 140 000 mégawatts électriques d’origine nucléaire prévu pour l’An 2000, 40 000 environ pourraient être installés sous forme de centrales à neutrons rapides. » Arrêtons là la citation !

Dans le meilleur des cas, les fondamentalistes de la physique atomique ne se seraient trompés que d’un siècle… Aux dernières nouvelles d’Astrid, le CEA, faute de sodium liquide fiable, s’est vu contraint à verser de l’eau dans son vin : pas avant 2050…

Mais entretemps, du rêve à la réalité du cauchemar nucléaire, de l’aventure scientifique à l’imposture technologique, il n’y a eu qu’un pas et, pour notre malheur, il a effectivement été franchi.

Memento mori, les élites savantes qui, dans les années 1970, lançaient la prophétie scientifique pour l’An 2000 ont dû être enterrées dans la première décennie du nouveau siècle et leurs descendants spirituels, qui aujourd’hui la situent en l’an 2050, auront à cette date connu le même sort.

Limite de visibilité et seuil d’incertitude, pour cet horizon du mitan du siècle, le « capitalisme fossile » qui avait généreusement permis cette grande imposture technologique, entrera très probablement en stress énergétique après 2050… ou avant. Dans l’atmosphère suffocant et mortifère qu’il a généré en moins d’un siècle, lui aussi connaîtra -enfin !- son ère crépusculaire.

JMS ; Auteur de « Capitalisme fossile », Editions Utopia mai 2019

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Un article défendant Astrid

« le projet ASTRID n’est pas abandonné »

https://www.objectifgard.com/2019/09/04/le-7h50-danthony-cellier-le-pr

Remarques de Jean Marc Sérékian

Cet  article est très illustratif du discours démagogique.

On y retrouve la plupart des éléments de langage élaborés récemment et permettant en toute circonstance de produire un discours positif sur l’avenir du nucléaire dans la conjoncture du réchauffement climatique.

J’ignore si Anthony Cellier, député LREM de la troisième circonscription du Gard et rapporteur de la loi énergie-climat et spécialiste des questions énergétiques, a une formation scientifique, mais il a bien intégré le vocabulaire ad hoc, supprimant ou relativisant tous les problèmes générés par le nucléaire et responsable de son déclin inévitable dans le domaine de la production d’énergie.

La situation internationale désastreuse du nucléaire généré par Fukushima se réduit à un insipide « la situation a  beaucoup bougé »

La gestion toujours impossible des déchets nucléaires se transforme en un « multi-recyclage ».

La poubelle nucléaire de Bure devient un centre de « stockage » de combustible potentiel.

Malgré les ratés à répétition de l’EPR, la faillite d’Areva et son démantèlement en Orano, le Député répète sans sourciller que la France est considérée comme un « leader mondial du nucléaire ». Il reconnait ainsi qu’il ne connaît rien à l’histoire de l’industrie nucléaire en France qui s’est fait refourguer au prix fort les réacteurs Westinghouse des Etats-Unis. Dans l’établissement d’un rapport de subordination on peut dire que « Framatome » est pour la France et le nucléaire ce qu’a été l’Aramco pour l’Arabie saoudite et le pétrole ; La « Franco-américaine de constructions atomiques (Framatome) » a été  créée en 1958…

Je passe sur l’énergie « décarbonée ».