Jean Castex

« Une mauvaise nouvelle pour l’écologie »

À droite, technocrate, le nouveau Premier ministre Jean Castex ne brille pas dans sa ville de Prades pour sa démarche écologique, au contraire. Il s’inscrit dans le tournant droitier choisi par Emmanuel Macron.

Vendredi 3 juillet, l’Élysée a annoncé la nomination du haut-fonctionnaire Jean Castex à Matignon. Il succède ainsi à Édouard Philippe, qui occupait le poste depuis plus de trois ans. « L’écologie n’est pas une option. Je crois qu’elle est désormais entrée dans toutes les têtes. Elle transcende la classe politique », a d’emblée déclaré le nouveau Premier ministre, invité du 20 h de TF1. Mais qui est-il ?

Inconnu du grand public il y a encore quelques mois, cet homme de 55 ans était devenu le « Monsieur déconfinement » de l’exécutif. Pendant la pandémie, il a été chargé de gérer la stratégie de déconfinement, mettant au point un document de soixante-dix pages pour « renvoyer les gens à la vie », détaillant les règles sanitaires pour reprendre le travail, les transports, et dépister les malades.

Enarque et maire de Prades (Pyrénées-Orientales), il a évolué dans le sillage de Xavier Bertrand, au ministère de la Santé puis celui du Travail, avant de devenir le secrétaire général adjoint de ­l’Élysée sous Nicolas Sarkozy, en février 2011. Jean Castex s’est rapproché de la Macronie en septembre 2017, accédant au poste de délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, une fonction pour laquelle sa rémunération s’élevait à 160.000 euros net par an, soit davantage que le salaire du chef de l’État. Pendant tout ce temps, il était encarté à l’UMP, puis à Les Républicains, qu’il a quittés au moment d’être nommé Premier ministre.

Dans sa ville de Prades, il bétonne des terres maraîchères

Le 15 mars, le nouveau Premier ministre avait été réélu maire de Prades (6.000 habitants) dès le premier tour, avec 75,7 % des voix. Nicolas Berjoan, tête de la liste battue « Prades en collectif », dépeint à Reporterre « un homme très conservateur », « qui a une haute opinion de lui-même », « tourné vers l’accession au pouvoir », et « qui sait se faire valoir ». Pour lui, une chose est sûre « nommer un tel ministre pour mener une politique écologique, c’est un contresens total, il est extrêmement frileux ».

« Il s’est mis à parler de vélo à Prades quand il a su qu’il serait opposé à un candidat écologiste, poursuit-il. En douze ans, il n’a montré aucune imagination dans sa gestion municipale : il n’a fait aucune avancée sur les mobilités douces et il a beaucoup urbanisé la périphérie de la ville. À cause du dernier PLUI [plan local d’urbanisme intercommunal] qu’il a fait voter, une série de bonnes terres irrigables en plein milieu de la ville vont être transformées en zone d’activité. Selon son adjoint, une vingtaine de maraîchers aspirants avaient pourtant déposé un dossier pour s’y installer… » Aux yeux de Nicolas Berjoan, cette nomination est donc « une mauvaise nouvelle pour l’écologie, mais aussi pour des enjeux de gouvernance : il règne seul, s’est installé à la tête des réseaux économiques et sociaux locaux, distribuant des emplois publics sur un territoire sinistré. Il tient sa ville comme ça, en patron d’un système de relations dont il occupe le haut de la pyramide. Son conseil municipal est mutique, il parle plus ou moins seul. »

« L’écologie ne fait pas du tout partie de sa culture, il n’en a pas la fibre », confirme Judith Carmona, habitante de la communauté de communes Conflent Canigó — présidée par Jean Castex — et conseillère régionale en Occitanie dans la délégation écologiste. Néanmoins, « il n’y est pas totalement réfractaire » : « Il a déjà mis en œuvre des projets qui a priori ne l’intéressaient pas vraiment. Il a été beaucoup interpellé sur l’alimentation des enfants en produits bio, et il a fini par s’engager dans un plan alimentaire territorial. Pendant le Covid-19, il a aussi permis de maintenir les marchés paysans de Prades alors que peu d’élus voulaient prendre le risque. Il est à l’écoute, et pas forcément que avec des gens de sa majorité. » En tout cas, depuis sa nomination, dit-elle, « ici les gens d’ici sont vachement contents et fiers », et « espèrent qu’il pourra peser sur de gros dossiers, comme le train des primeurs Perpignan-Rungis, dont l’absence manque cruellement et a mis plein de camions sur la route ».

« Cet homme ne remettra pas en cause le monde d’avant, il le perpétuera »

Du côté de la capitale, Jean Castex occupait — entre autres — le poste de délégué interministériel aux Jeux olympiques (J0) et paralympiques de 2024. « Son engagement pour les JO montre à quel point Castex est un homme des lobbys plutôt que de l’intérêt général, estime Danielle Simonnet (LFI), conseillère de Paris opposée aux JO. Il a défendu mordicus cet évènement qui permet de détourner de l’argent public pour des partenariats publics-privés, qui servent les acteurs privés ; qui permet de capter du temps d’audimat pour les gros sponsors ; et qui est une gabegie écologique avec douze millions de personnes attendues pour quelques jours de manifestation sportive. »

Danielle Simonnet estime aussi que la décision d’Emmanuel Macron est une « insulte terrible » envers « toutes celles et ceux qui ont subi la pandémie de Covid-19, les personnes malades, leurs proches ou les travailleuses et travailleurs » : « Cet homme ne remettra pas en cause le monde d’avant, il le perpétuera. C’est avec lui que Macron prépare la guerre sociale pour la rentrée, qu’il s’attaquera aux 35 heures, à nos retraites, et qu’il oubliera totalement la bifurcation écologique promise. »

« Macron pioche dans la Sarkozie un nouveau PM. Les têtes changent mais pas la politique. Celle qui détruit les 35 heures, retraites, l’assurance chômage, etc. a de beaux jours devant elle avec ce technocrate de plus. Bienvenue dans le monde d’après ! » a réagi Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne (LFI). « Nous avons besoin d’un changement de cap pour (enfin !) tenir la promesse de la COP21 et la feuille de route de la Convention citoyenne pour le climat, pas d’un changement de casting… » a dit le maire écologiste de Grenoble, Éric Piolle. « En nommant Jean Castex, dont la seule légitimité est technocratique, Emmanuel Macron dissout Matignon » et « dérive désormais de plus en plus vers un pouvoir totalement personnel et autoritaire », s’est insurgé le député Les Républicains Éric Ciotti.

Anne Hidalgo, maire de Paris, s’est au contraire réjouie de la nomination de Jean Castex, devant les caméras de France 3 Paris : « On se connaît bien, c’est une belle personnalité, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Sa franchise, sa compétence, son savoir-faire. Je lui souhaite vraiment de réussir pour le pays, pour lui. Et je pense que j’aurai un interlocuteur (…) que je connais bien, avec qui j’ai pu travailler, notamment sur les JO mais aussi sur le confinement et le déconfinement. »

Pour le politologue Simon Persico, au vue des résultats des élections municipales, très favorables à Europe Écologie-Les Verts, « visiblement mettre les enjeux environnementaux au sommet de l’agenda ne paie pas politiquement pour Emmanuel Macron, alors il balance l’écologie comme l’avait fait Nicolas Sarkozy après le Grenelle de l’environnement quand il a dit que l’environnement, « ça commence à bien faire » ». « Ces derniers jours, a-t-il poursuivi, il a laissé les membres de son gouvernement détricoter les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, et là il achève toute ambition en nommant un Premier ministre techno de droite. Attendons tout de même la prochaine nomination du futur ministre de l’Écologie, mais le signal n’est clairement pas bon. »

Le docteur en droit et avocat spécialisé dans le droit de l’environnement Arnaud Gossement espérait « la nomination d’un vice Premier-ministre chargé du développement durable, qui aurait pu gagner bien plus d’arbitrages » : « La principale information du jour, c’est qu’il n’y en aura pas », a-t-il regretté.

 Trois ans d’Édouard Philippe, trois ans de temps perdu pour l’écologie

Jean Castex fera-t-il mieux que son prédécesseur en matière d’écologie ? Rien n’est moins sûr. Quelques heures avant sa nomination, Édouard Philippe a rendu son tablier, plus de trois ans après son arrivée à Matignon, le 15 mai 2017. Dès sa nomination, nombre d’écologistes avaient douté de sa fibre verte : en effet, le maire du Havre est un ancien lobbyiste d’Areva, plutôt connu pour ses positions anti-environnementales.

Au fil des mois, l’ex-Premier ministre n’a pas plus convaincu quant à son volontarisme écologique. Certes, il était aux manettes lors de l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… mais aussi lors de l’opération militaire d’expulsion de la Zad.

Lors de sa démission, le 28 août 2018, son ministre de l’Écologie Nicolas Hulot a lui-même reconnu que le gouvernement n’était pas à « la hauteur des enjeux » : « Nous faisons des petits pas, avait-il déclaré sur France Inter. Mais est-ce que ces petits pas suffisent à endiguer, à s’adapter parce que nous avons basculé dans la tragédie climatique ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à réduire les gaz à effet de serre, l’utilisation des pesticides, l’érosion de la biodiversité, l’artificialisation des sols ? La réponse est non. »

Deux ans — et deux ministres de l’Écologie — plus tard, le bilan n’est pas plus brillant. Aucune avancée environnementale majeure n’est à saluer. L’usage des pesticides n’a pas diminué, l’interdiction du glyphosate est reportée à 2022, le gouvernement a revu à la baisse son ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et la destruction de la biodiversité s’est poursuivie. Aucune avancée sociale notable non plus, malgré le mouvement inédit des Gilets jaunes et celui contre la réforme des retraites.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été poussé par la société civile sur les enjeux climatiques ! Lors du « grand débat national », les contributeurs plébiscitaient la mise en place d’une fiscalité écologique juste. Mais le Premier ministre tirait la conclusion d’un ras-le-bol fiscal des Français.

Ultime déconvenue, lors de la crise sanitaire, qui a propulsé le Édouard Philippe en première ligne, le Premier ministre a choisi pour l’épauler le général Richard Lizurey : cet ancien directeur de la gendarmerie avait mené l’évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes et affronté la fronde des Gilets jaunes.

« Nos styles, assurément, sont différents, a déclaré Jean Castex lors de la passation de pouvoir, où les deux hommes se sont mutuellement rendu hommage. Mais je voudrais, mesdames et messieurs, me permettre de revendiquer avec Édouard Philippe une communauté de valeurs. Ces valeurs démocratiques et républicaines. » Le nouveau Premier ministre devrait finaliser son gouvernement durant le week-end. Il pourrait en dévoiler la composition d’ici à mercredi, date du prochain Conseil des ministres. La nouvelle équipe devra « mettre en œuvre la nouvelle étape du quinquennat, le projet de reconstruction sociale, économique, environnementale et locale », a communiqué l’Élysée.

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