Fukushima, le 11 mars 2011

Menace nucléaire sur l’Europe, le rayonnement de la France, dix ans après Fukushima

Un livre de Jean-Marc Sérékian

Chapitre 11. Astrid c’est fini… mais le pire persiste !                     

Un non-évènement  – « 3G » « 4G » et la fin de la Panacée – Memento mori

Grande émotion au sein de l’extrême droite française… Est-ce à croire que les chercheurs scientifiques du CEA cotisent en masse auprès de cette officine politique ? Ou, à l’inverse, le populisme recruterait-il aussi facilement dans les rangs de l’élite savante de la nation ?

En septembre 2019, on apprenait par voie de presse que l’Etat français avait décidé d’abandonner « en catimini » le projet Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration).

Piquée à vif à l’annonce de la nouvelle, la patronne du RN (Rassemblement national), Madame Le Pen, dénonçait rien de moins qu’un « crime économique, technologique et écologique (1) », bref la totale. A tout casser, on pourrait lui concéder le « crime technologique », même s’il serait plus juste de parler d’euthanasie, de délivrance ou d’amputation de sauvetage pour l’atome en grande souffrance… Mais pour les deux autres aspects du crime, il ne faut quand même pas exagérer ; on sombre dans les lourdeurs démagogiques du populisme -comme le CEA qui a fleuri son sigle « d’énergie alternative »

Suivant la même veine de la vive émotion, la Droite moins extrême déplorait aussi « une faute, écologique, stratégique et politique ». Misère de la politique politicienne, si le ton se veut plus posé, il ne nous rapproche pas mieux de la vérité. Décidément pour la droite (canal historique) en décrépitude comme pour l’extrême droite, Macron et sa clique En Marche ne font pas dans l’écologie… Personne n’en doutait…

Puisque les tenants de la droite extrême recentrés à droite crient, unanimes, au crime écologique, qu’il nous soit permis de faire quelques rappels et commentaires sur la vieille imposture technologique des « neutrons rapides » en la situant dans le contexte global de Bérézina de l’atome tricolore (2).

 

Un non-évènement, le pire persiste

Il faut raison garder… Si, pour l’extrême droite française il y a de quoi monter au créneau pour dénoncer un coup bas porté au fleuron historique de la recherche française en physique et ingénierie nucléaire, pour les milieux écologistes, il s’agit plutôt d’un non-évènement. Ou au mieux et plus exactement, on est devant une décision de longue date attendue. Mais, dans le bourbier nucléaire tricolore, le pire persiste… En regard de l’urgence de la sortie du nucléaire, avec l’arrêt d’Astrid on reste dans le registre du symbolique. Indépendamment des écologistes (anti-nucléaires) et de leur analyse sociétale, tous les gens honnêtes dans les hautes sphères scientifiques, y compris liées à l’atome, avaient cessé de croire à la viabilité de ces réacteurs pompeusement désignés en France au temps d’Areva de « 4e génération ». Bref, plus personne ne se faisait d’illusion sur la réussite du projet Astrid.

Mais dans le contexte historique global de Bérézina de l’atome tricolore suite à Fukushima, le registre symptomatique est aussi à considérer. Après la catastrophe nucléaire japonaise de 2011, la santé de l’industrie nucléaire française allait de mal en pis. Depuis Tchernobyl, une sorte de réaction en chaîne signalait déjà le « Crépuscule des Atomes ».

Suite à la faillite d’Areva -démantelé et reconfiguré en société minière sous le nom Orano- et avec la situation d’extrême précarité financière d’EDF, l’Etat providence du nucléaire a dû se résoudre au tri des déchets dans la friche industrielle pour sauver les meubles encore capables de servir. Les « neutrons rapides » ne font plus partie de l’aventure… On comprend que dans la tourmente historique des choix stratégiques, il fallut réduire la voilure en sacrifiant Astrid qui de toute évidence n’était plus qu’un Grand projet inutile imposé (GPII) coûteux, une expérience sans réel avenir industriel.

Naviguant désormais à vue dans une conjoncture difficile, l’Etat resserre les rangs autour de son parc atomique ayant dépassé sa limite de péremption. Le « Grand Carénage » réclame des milliards comme le projet Cigéo de l’Andra à Bure. Mais si l’atelier protégé Astrid pour fondamentalistes en physique atomique passe à la trappe, la France reste une mini-superpuissance nucléaire avec son arsenal de destruction massive qu’elle ambitionne de perfectionner comme s’acharnent à le faire les Etats-Unis.

A la guerre comme à la guerre… En ces temps de retraite stratégique, sur les rives de la Bérézina, l’état-major nucléaire se trouve contraint d’abandonner une pièce maîtresse de manipulation hasardeuse pour sauver le noyau dur du nucléaire qui reste l’armement atomique ou la toute-puissance du meurtre de masse. L’euphémisme de la « dissuasion » ne doit pas faire diversion, car, en définitive, il s’agit bien de viser et de tuer des civils par millions.

Dans le domaine des armes de destruction massive, il faut constater que les compétences en physique nucléaire s’éclipsent derrière le rayonnement intense de la science informatique. Il est vrai, en effet, que pour augmenter le quotient intellectuel (QI) des têtes nucléaires avec de l’intelligence artificielle (IA), on a moins besoin de fondamentalistes en neutrons rapides que de chercheurs en algorithmes des systèmes communicants. Signalons en passant que, contrairement à son grand récit pseudo-pacifique servi depuis l’avènement d’Internet, la science informatique a toujours accompagné, servi et armé en priorité la volonté de puissance des complexes militaro-industriels. Et aujourd’hui, dans les perfectionnements du meurtre de masse, le potentiel de nuisance du numérique et de la robotique semble inépuisable, comme les drones et robots tueurs le démontrent.

Si, selon la doctrine officielle de la « dissuasion nucléaire » au temps de la Guerre froide, l’industrie du meurtre de masse pouvait se poser en gage de la liberté de « l’ex-Monde libre », la rationalité scientifique alliée au pragmatisme économique impose aussi de perfectionner les munitions pour les économiser, d’où l’urgence actuelle d’élever leur QI avec de l’IA.

Bref, dans un contexte international de menace réactivée du crime de masse poussée à la perfection par les savants, si la mise en sourdine des « neutrons rapides » peut être vue comme une bonne nouvelle, elle ne réduit pas le potentiel mortifère du nucléaire. La menace est toujours présente et croissante comme le rappelle Jean-Pierre Dupuy en février 2019 dans son livre : « la guerre qui ne peut pas avoir lieu (3) ».  Dans la tête des stratèges militaires qui la préparent très activement, le feu nucléaire couve toujours, 25 ans après la fin de la Guerre froide. La victoire dudit « Monde libre » et le ralliement des élites russes au capitalisme fossile occidental n’ont pas changé la donne sur le front de la recherche scientifique au service du meurtre de masse. Paradoxalement, en effet, l’unification idéologique du monde autour de l’accumulation du capital a réactivé les vieilles velléités meurtrières des chercheurs scientifiques. Pauvre Robert Oppenheimer… le père de la bombe atomique doit se retourner dans sa tombe. Face à ce paradoxe une question se pose : quelle est la part de l’intelligence artificielle dans cette relance de la recherche sur les « têtes nucléaires » ?

Dans la même veine des Grands projets inutiles imposés, datant des folies scientifiques du siècle passé, ne faut-il pas aussi s’attendre à l’abandon du projet ITER ? Si Astrid engloutissait des euros par millions en pure perte, ITER, réacteur de fusion nucléaire surnommé « Le Soleil sur Terre », les dévore en pure perte par milliards, comme l’EPR de Flamanville. Mais là aussi, si certains pourront se réjouir d’une bouffée de pragmatisme économique, la lucidité imposera de constater que l’Etat ne fait que resserrer les cerveaux et les euros autour du noyau dur de la recherche sur le meurtre de masse : ladite « dissuasion ».

 

 « 3G » « 4G » et la fin de la Panacée

Ainsi la technologie « Astrid » est mise en sourdine… Qu’adviendra-t-il de l’EPR après son nouveau raté de 2019 et son forfait pour démarrer en 2020 ? La question doit être posée car, il faut le rappeler, dans la cosmogonie nucléaire français construite après l’enterrement de Superphénix et avec l’avènement d’Areva en 2001, l’EPR s’inscrivait en « réacteur de 3e génération » « le plus sûr au monde » pour assurer en toute sécurité l’arrivée de la Panacée atomique avec la « 4e génération de réacteurs » : du « tout en un ». Rêvé par les savants dès les sixties, ce réacteur providentiel fruit des subtilités physiques des particules atomiques était censé résoudre à la fois tous les problèmes énergétiques en recyclant ses propres déchets en combustible. Restait un bête problème d’ingénierie : assurer la sûreté du fluide caloporteur idéal : le sodium liquide. Aussi absurde que cela puisse paraître, aujourd’hui encore, le jeu dangereux avec les neutrons du plutonium a très vite buté sur un banal problème d’électrons, ceux du sodium. Ainsi la physique nucléaire reste encore empêtrée dans la réactivité du nuage d’électrons périphériques de ce métal alcalin. Bizarrerie de la chimie, il se trouve, en effet, que, contrairement au sodium du sel de cuisine qui fait bon ménage avec l’eau, le même sodium du fluide caloporteur a une affinité élective plutôt incendiaire et explosive avec l’eau et l’air. En clair, avec son nuage électronique au complet, le sodium liquide est capable de s’enflammer et d’exploser au contact de l’eau et de l’air.

Ainsi et en résumé de ces aspects élémentaires de physico-chimie, on découvre que, dans les plans savants d’Areva, l’EPR (3e génération) déclaré le « plus sûr au monde » devait préparer l’avènement du réacteur (4e génération) le plus dangereux de la technologie nucléaire.

Dans l’histoire expérimentale désespérée de ces réacteurs censés salvateurs du futur nucléaire, les contacts sodium-eau et sodium-air furent en effet responsables de deux accidents majeurs : en septembre 1973, dans le surgénérateur BN-350 de Chevtchenko (Kazakhstan, URSS) et en décembre 1995 à Monju (Japon) dans le réacteur surgénérateur de 280 MW électriques (équivalent de Phenix) (4). On peut rappeler ici le témoignage à charge d’Hubert Reeves, puisqu’il s’agissait déjà, en 1956, d’un surgénérateur qui lui aussi a mal tourné.   

Ainsi, ce mythe techno-écologique et humaniste ad hoc des physiciens atomiques tricolores a fait long feu, sauf bien sûr dans les têtes pensantes de l’extrême droite française qui crient aujourd’hui au « crime écologique ».

Historiquement, le projet expérimental de semi-Superphénix Astrid, était un lot de consolation et de rattrapage accordé aux savants qui n’avaient  pas pu faire leur deuil de la filière des neutrons rapides. Les savants stratèges avaient rectifié leur calcul sur la comète nucléaire et envisageaient un possible démarrage des réacteurs dits de « 4e génération » à l’horizon 2050 ; entretemps les EPR devaient assurer l’intérim en toute sécurité. Bref, quarante ans à tenir sans catastrophe majeure… Mais, en 2011, au plus mauvais moment survint l’évènement de Fukushima. Malgré la volonté farouche de l’élite atomique pour enterrer au plus vite la catastrophe japonaise, le compte à rebours de l’industrie nucléaire s’est mis en route.

L’impasse évolutive des surgénérateurs, largement connue depuis le début et démontée à Creys-Malville en 1990, a fait son chemin dans les esprits pour se révéler bien au-delà des milieux écologistes. En définitive avec l’arrêt d’Astrid, il ne s’agit que d’une sage décision sur le plan économique. Comme on dit : il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais les vingt ans de retard au remède de cheval nécessaire ont coûté cher aux français, près d’un milliard selon les chiffres officiels.

Bis repetita placent, encore une fois aux mêmes maux nucléaires les mêmes remèdes économiques. Après le fiasco de la « manip » scientifique de Superphénix à Creys-Malville dans les années 1990 imposant l’abandon et la mise en démantèlement du réacteur, le nucléaire n’a plus d’avenir radieux assuré dans le domaine énergétique. EPR inconstructible et Astrid au placard, c’est déjà la fin dernière de la Panacée. Et l’actualité internationale nous révèle que partout dans le monde l’atome retourne tout entier à son corps de métier originel qui est le perfectionnement des armes nucléaires.

 

Memento mori

Pour mémoire, rappelons la grande prophétie scientifique de deux enthousiastes nucléocrates lancée au début de l’aventure atomique française dans les années 1970 : « Des réacteurs fournissant plus de combustible qu’ils n’en consomment, voilà de quoi exciter l’imagination des physiciens et des ingénieurs ! Du rêve à la réalité il n’y a souvent qu’un pas : ces réacteurs, dits à neutrons rapides, sont déjà dans leur phase de démonstration. Ainsi Phénix, premier réacteur de puissance de ce type doit diverger dans quelques mois [année 1973]. » « Il faudra certes attendre les première grandes centrales de plus de 1000 mégawatts pour prouver dans les faits les pronostics actuels, mais tout porte à croire que les réacteurs à neutrons rapides devraient, dès la fin du [20e] siècle, prendre une place essentielle dans la production d’énergie électrique. N’est-ce pas d’ailleurs une nécessité pour sauvegarder les ressources naturelles en uranium (5) ? »

Continuons la litanie prophétique des élites scientifiques ayant auréolé l’avènement conceptuel de la Panacée des neutrons rapides : « C’est la seule technique actuellement possible pour prendre la relève des combustibles fossiles et économiser des ressources qui tôt ou tard s’épuiseront (6). » 

Et pour comprendre le cri de « crime écologique » lancé par l’extrême droite française à l’arrêt d’Astrid : « A une époque où se développe la conscience de la qualité de la vie et où se manifeste avec acuité la nécessité de protéger la nature et l’environnement contre les dégradations dues aux techniques modernes, l’énergie nucléaire apparaît comme une solution aux problèmes de pollution atmosphérique (7)… »

Précision scientifique oblige, la prophétie de la Panacée des neutrons rapides capables de purifier l’atmosphère se doit d’être chiffrée : « Parmi les 140 000 mégawatts électriques d’origine nucléaire prévus pour l’An 2000, 40 000 environ pourraient être installés sous forme de centrales à neutrons rapides (8). » Arrêtons là la citation !

Dans le meilleur des cas, les fondamentalistes de la physique atomique ne se seraient trompés que d’un siècle… Aux dernières nouvelles d’Astrid, le CEA, faute de sodium liquide fiable, s’est vu contraint à verser de l’eau dans son vin : pas avant 2050…

Mais entre-temps, du rêve à la réalité du cauchemar nucléaire, de l’aventure scientifique à l’imposture technologique, il n’y a eu qu’un pas et, pour notre malheur, il a effectivement été franchi.

Memento mori, les élites savantes qui, dans les années 1970, lançaient la prophétie scientifique pour l’An 2000 ont dû être enterrées durant la première décennie du nouveau siècle et leurs descendants spirituels, qui aujourd’hui la situent en l’an 2050, auront à cette date connu le même sort. Mais si les scientifiques du siècle passé ont pu paisiblement mourir d’une mort naturelle en s’épargnant les cancers radio-induits  qui emportèrent Marie Curie et bien d’autres de sa génération, il n’est pas certain que les physiciens des années 2000 échappent au conflit nucléaire auquel ils collaborent d’une manière ou d’une autre. Car, en définitive et derrière le discours de couverture, toute l’industrie nucléaire, aujourd’hui comme hier, gravite autour de l’arme atomique. Si l’imposture scientifique d’Astrid est bien finie, le pire du nucléaire persiste avec l’arrivée dans l’arsenal des performances nouvelles de l’intelligence artificielle.

Limite de visibilité et seuil d’incertitude, pour ce nouvel horizon du mitan du siècle, le « capitalisme fossile (9) », qui avait fourni l’infrastructure industrielle mondialisée nécessaire à la grande imposture technologique de l’électronucléaire, entrera très probablement en stress énergétique avant 2050… Dans l’atmosphère suffocant et mortifère qu’il aura généré en moins d’un siècle, lui aussi connaîtra (enfin !) sa phase crépusculaire.

Notes

 

  1. Astrid c’est fini…mais le pire persiste !

(1) Le Monde, 30/08/2019, Nabil Wakim : «  La droite et l’extrême droite dénoncent le coup d’arrêt porté à la recherche nucléaire »

Les écologistes se sont, eux, félicités de l’abandon du projet Astrid de réacteur à neutrons rapides.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/08/30/la-droite-et-l-extreme-droite-denoncent-le

(2) Jean-Marc Sérékian, « Radieuse Bérézina, Lumière crépusculaire sur l’industrie nucléaire » Ed Golias 2015

(3) Jean-Pierre Dupuy  « la guerre qui ne peut pas avoir lieu » Ed. Desclée de Brouwer, 2019

(4) Bernard Laponche ASTRID : Une filière nucléaire à haut risque et coût exorbitant

http://www.global-chance.org/IMG/pdf/gc37p80-92.pdf

(5), (6), (7), (8) La Recherche n°31 février 1973, Guy Denielou et Louis Vautrey : « Les réacteurs à neutrons rapides »

(9) Jean-Marc Sérékian : « Capitalisme fossile, de la farce des COP à l’ingénierie du climat », Ed. Utopia 2019

La suite … demain !