Blocage d’entreprises de béton

« Ce 29 juin 2021, nous avons désarmé le béton »

Du 29 juin au 1er juillet, plusieurs centaines de personnes ont successivement occupé et bloqué un terminal cimentier, trois centrales à béton et un dépôt de sable et granulats de Lafarge-Holcim, ainsi qu’une usine de béton d’Eqiom. Des dégradations y ont été volontairement commises pour empêcher le redémarrage des machines.

« Nos désirs font désordre », « Rêve générale », « Pensée pour les familles des vitrines », « Des potirons pas du béton », « Joyeux bordel »… :  l’art de la métaphore, du jeu de mots, de la punchline ou du paradoxe est une figure classique du slogan militant.

Mais c’est de façon tout à fait littérale qu’il faut comprendre le mot d’ordre des actions de blocage et de perturbation de l’industrie du béton qui se sont déroulées, à l’appel des Soulèvements de la terre, au port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et à Paris, du 29 juin au 1er juillet : « Désarmer le béton ».

Pendant trois jours, plusieurs centaines de personnes ont successivement occupé et bloqué un terminal cimentier, trois centrales à béton et un dépôt de sable et granulats de Lafarge-Holcim, ainsi qu’une usine de béton d’Eqiom. Les murs de ces installations ont été recouverts de nombreux slogans. Des abris y ont été bricolés pour permettre aux activistes d’y passer une nuit. Des banderoles ont été accrochées aux machines.

Mais pas seulement. Des dégradations y ont été volontairement commises pour empêcher le redémarrage des machines, comme le montre les images du communiqué vidéo du Grand Péril Express publié sur Lundimatin.

 Bétonnage de voie ferrée et de machines, ensablement du réservoir de gasoil d’un engin industriel, découpe à la pince de câbles de machines, déversement d’huiles sur des rouages : des actes de sabotage ont été commis, revendiqués en tant que tels pour « mettre hors d’état de nuire » ces sites de production. Quand les activistes se réjouissent dans ce communiqué de ce que « ce 29 juin 2021, nous avons désarmé le béton », c’est donc au sens propre du terme qu’il faut entendre la phrase. Le groupe Lafarge a aussitôt annoncé à France Info qu’il porterait plainte. Et précisé à France Bleu que « les dégâts à Gennevilliers vont effectivement [l’]embêter pendant une certaine période ». 

Sur le site d’Eqiom, occupé de la fin de la matinée du 29 au petit matin du 30 juin, une barricade a été construite avec des sacs de ciment pour bloquer la grille d’entrée du site et empêcher les camions-toupies de passer. Pendant les premières heures de l’action, certains ouvriers présents sur le site sont venus discuter avec les militant·e·s habillé·e·s en combinaison blanche et masqué·e·s pour protéger leur anonymat. Une fois passée la colère contre l’intrusion, les salariés du groupe se sont montrés ouverts à la discussion et à l’écoute des activistes, souvent beaucoup plus jeunes qu’eux (« Vous avez l’âge de ma fille », a-t-on plusieurs fois entendu). Loin des clivages stéréotypés entre « prolos » et « écolos bobos », ils ont dit leur attachement à l’écologie. Mais aussi leur besoin de payer les traites de leur voiture et de leur logement, et donc de faire ce travail-là, le seul actuellement à leur disposition, dans le béton.

Qu’ont-ils pensé du sabotage de certaines de leurs machines ? Ces sites doivent « servir à construire des logements, des écoles, des hôpitaux, des chantiers d’utilité collective, des chantiers d’infrastructures de transport, notamment », a déclaré au micro de France Bleu Paris Loïc Leuliette, directeur de la communication de Lafarge, présent sur un des lieux de l’occupation.

Mais pour les activistes du Grand Péril Express, parmi lesquels des militant·e·s d’Extinction Rebellion, le problème se situe à un autre niveau. Ils refusent les impacts écologiques et sociaux de la production du ciment et du béton, matériaux les plus utilisés au monde, au point d’être devenus des marqueurs de l’Anthropocène. La fabrication de béton est à l’origine d’une pollution endémique, en partie illégale mais en partie ni mesurée ni contrôlée, de la Seine ainsi que de l’air de Paris et de sa périphérie, comme Mediapart a commencé à le documenter.

Le groupe Lafarge est particulièrement sur la sellette du fait de ses accords secrets passés avec Daech pour maintenir l’activité d’une usine en Syrie, au cœur d’une procédure judiciaire (lire ici).

Et les chantiers de construction et du BTP font travailler des ouvriers précaires, bien souvent sous-traitants, parfois sans papiers et sans protection digne, dans des conditions de stress et de danger parmi les pires de ce qu’on peut trouver.

Sur une usine à béton du quartier de Bercy, jeudi 1er juillet, dans l’après-midi, « dès l’arrivée des activistes, immédiatement et sans sommation, Lafarge a déversé pendant une heure les résidus de cuve sur les militant·es, au mépris des personnes et de leur sécurité, ont dénoncé les Soulèvements dans un autre communiqué. Lors de cette action, il n’y a pas eu de communication possible avec la direction de Lafarge, malgré la présence de médiateur·trices parmi les activistes. La seule réponse de Lafarge a été de rincer les fonds de cuves sur les militant·es. »

Pour les activistes bloqueurs et saboteurs du Grand Péril Express, le béton est une « arme de destruction massive » à éliminer. Leur expression rappelle qu’en français, le choix a été fait de traduire « reinforced concrete » par « béton armé ». Cela ouvre une piste pour lire leur action comme une forme de radicale non-violence. Comme enrayer volontairement le canon d’un fusil, démonter un char d’assaut ou bloquer la détonation d’une bombe. Désarmer le béton, ou l’art de la non-métaphore.

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