A propos du conflit ukrainien

Éléments de réflexion. Contre la guerre entre les peuples, pour la guerre entre les classes

Alors que l’Ukraine est attaquée, que la propagande de guerre tourne à plein régime et que le monde est sous tension, quelques éléments de réflexion que vous ne lirez pas dans les médias dominants.

Les crimes du pouvoir Russe

Commençons par une évidence : le régime de Poutine est criminel.

Dans les années 1990, après l’effondrement de l’URSS, la Russie est un nouveau Far West. Les biens publics sont vendus aux plus offrants, la famine est de retour, le nombre de milliardaires explose, l’espérance de vie diminue, la mafia règne dans les grandes villes. C’est dans ce chaos capitaliste que Vladimir Poutine, ancien agent de la police politique soviétique, s’empare du pouvoir en l’an 2000. Il a participé au pillage des richesses publiques et s’est entouré de ceux qu’on appelle les «oligarques». Il verrouille l’appareil d’État. Cela dure depuis 20 ans.

Un empire d’oppression et de domination

Le régime russe tue des journalistes, emprisonne des opposant-es, torture nos camarades anarchistes, persécute les LGBT. Il empoisonne même parfois des personnalités gênantes avec des substances radioactives ou un produit terrifiant : le «Novishok».

En 20 ans, Poutine a réussi à éteindre la société civile, à réduire quasiment à néant les résistances. À l’extérieur, le régime réactive une politique impériale. Vladislav Surkov, stratège et idéologue du pouvoir estime que «l’empire doit s’étendre, sinon il périra». Comment cela se manifeste-t-il ? En Biélorussie et au Kazakhstan, ces deux dernières années, les mouvement de protestation ont été écrasés avec l’appui de Moscou. En Syrie, ce sont les bombes russes qui ont massacré des centaines de milliers de personnes pour maintenir Bachar El Assad au pouvoir. En Afrique, c’est la milice Wagner, liée au pouvoir russe, qui intervient notamment au Mali. La Russie a tissé un nouveau réseau d’influence mondial et veut préserver des États tampons à ses frontières. L’Ukraine est une zone tampon entre deux Empires.

Des enjeux stratégiques

Pour l’Ouest comme pour l’Est, l’Ukraine représente des intérêts économiques. Le pays est un «grenier à blé» : une grande puissance agricole, avec l’un des meilleurs sols du monde, et 70% de sa surface en terres cultivables. Les meilleures terres sont près de la frontière russe, zones convoitées. L’Ukraine est aussi gorgée de ressources : réserves d’uranium, de titane, de minerais de fer… Elle possède un réseau de gazoducs stratégique, une industrie puissante. Comme souvent, il s’agit d’une guerre capitaliste : les enjeux sont stratégiques et économiques avant d’être «pour les droits de l’Homme» ou le «bien» de l’humanité. L’OTAN sème des guerres dans le monde entier depuis des décennies pour ces mêmes raisons. L’Occident comme la Russie veulent garder l’Ukraine sous leur influence : c’est l’affrontement entre deux Empires.

«La première guerre en Europe depuis 1945» ?

C’est ce que répètent depuis plusieurs jours tous les commentateurs médiatiques. C’est faux. Cette guerre entre la Russie et l’Ukraine dure depuis 2014, elle connaît actuellement une montée en intensité, mais elle a déjà fait des milliers de morts.

Tout le monde semble avoir oublié le conflit des Balkans. 10 ans d’horreurs dans les années 1990.

130 000 morts, 4 millions de déplacés. Des crimes de guerre, des bombardements, des «nettoyages ethniques» à quelques heures de Paris. À peine plus loin, les guerres de Tchétchénie, menées par la Russie : des dizaines de milliers de morts et des villes rasées. Dans le reste du monde, de nombreux conflits ont lieu en ce moment même : Yémen, Palestine, Mali… souvent causées par l’Occident et ses alliés. La situation est déjà suffisamment grave, pourquoi cette dramatisation extrême du conflit ukrainien par les médias ?

L’Ukraine, les «gentils» de l’histoire ?

La narration est presque hollywoodienne : le petit État démocratique menacé par l’ogre russe. Depuis la révolution ukrainienne de 2014, le pays est passé aux mains de gouvernements néolibéraux alliés des USA. Le président actuel, Zelensky, héros de l’Occident, applique une politique économique libérale, il est l’ami des ultra-riches et par ailleurs cité dans le scandale des Pandora Papers. En Ukraine, les salaires sont faibles, les inégalités immenses. Comme en Russie, des médias et des journalistes y sont menacés. En 2021, sur décret présidentiel, trois médias qualifiés de «pro-Kremlin» sont privés de licence, à tel point que Reporters Sans Frontières «s’inquiète d’un usage abusif des sanctions» et appelle les autorités à «respecter leurs obligations internationales». En 2015, le gouvernement vote une loi «interdisant l’utilisation de symboles et l’usage du terme communiste». Le PC Ukrainien est interdit de fait : Amnesty International dénonce «un coup porté à la liberté d’expression».

Nazisme

Plus grave encore, le gouvernement ukrainien vote en 2015 des «lois mémorielles» qui réhabilitent les groupes nationalistes qui ont «combattu pour l’indépendance de l’Ukraine». Parmi eux, des groupes armés nazis comme l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens –OUN– violemment antisémite, et coupable de génocide. Chaque premier janvier depuis une dizaine d’années, des marches aux flambeaux fascistes ont lieu dans les villes du pays pour célébrer Stepan Bandera, collaborateur nazi, et chef de cette organisation pendant la seconde guerre mondiale. Le drapeau de l’OUN, deux bandes rouge et noire, est encore présent dans la plupart des rassemblement de soutien à l’Ukraine. Dans ce pays, les néo-nazis défilent en uniforme en pleine capitale et le mouvement «Svoboda» affiche un drapeau avec le logo de l’unité SS Das Reich. Cette unité nazie est responsable de massacres atroces de l’Europe de l’Est à la France. Le chef de de Svoboda, Andriy Parubiy, néo-nazi convaincu, a été président du parlement ukrainien entre 2016 et 2019. Il a même été reçu en France par le gouvernement Macron. Qui parle de ces nostalgiques du nazisme dans la rue, dans l’armée et au pouvoir ?

Choc des nationalismes

Les groupes paramilitaires néonazis ont été en première ligne lors de l’insurrection de 2014 et sont désormais reconnus et armés par le gouvernement. Parmi eux, le bataillon «Azov». Un régiment de 800 personnes avec ses propres véhicules blindés, son artillerie, sa compagnie de chars, validé par l’OTAN et le pouvoir. Le bataillon Azov est l’une des unités les plus efficaces au combat de l’armée ukrainienne. Enfin, le 27 février 2022, le compte officiel de la Garde Nationale ukrainienne diffuse des vidéos montrant un combattant qui trempe ses balles dans du porc, parce qu’une partie des soldats russes sont musulmans. La plupart des néonazis européens soutiennent l’Ukraine, ils y voient une guerre des civilisations entre l’Europe et l’Asie. Certains vont même y combattre. D’autres militants d’extrême droite, y compris français, se rangent derrière Poutine. Au Donbass, les supplétifs néofascistes de l’armée russe commettent des crimes de guerre. C’est un choc entre nationalismes.

Brûlées vives

Les tensions entre la minorité opprimée qui parle le russe et la majorité qui parle ukrainien dans le pays sont meurtrières. En 2014 à Odessa, au sud de l’Ukraine, des nationalistes ukrainiens attaquent un rassemblement de communistes russophones, habitant-es de la ville. Ils incendient la maison des syndicats dans laquelle les personnes sont réfugiées, des dizaines sont brûlées vives, femmes, adolescents, personnes âgées. Le massacre n’est quasiment jamais évoqué en Europe de l’Ouest. Quelques mois plus tard, des milices d’extrême droite tuent trois policiers devant le Parlement de Kiev lors d’une manifestation. Cette violence inouïe de groupes néo-nazis est tolérée et souvent protégée, car les milices sont utiles sur le front Est, face aux Russes.

Racisme

Dans ce contexte, un racisme assumé s’exerce dans le pays. Ces derniers jours, les personnes noires habitant en Ukraine et tentant de fuir le conflit sont maltraitées et bloquées. De nombreux témoignages et vidéos montrent des soldats empêcher les non-blancs de monter dans les trains ou de franchir la frontière, n’hésitant pas à les menacer avec des armes. Le passage est réservé aux ukrainiens blancs. Un homme originaire d’Afrique de l’Ouest explique : «Nous sommes réunis, les Marocains, les Arabes et les Noirs, et de l’autre côté, les ukrainiens. Un bus arrive toutes les 15 min pour les récupérer et nous toutes les 4h et ils choisissent qui va monter. Les frontières ne sont pas loin, elles sont à 100m à peu près». Des femmes enceintes doivent dormir dehors par un froid glacial sans eau ni nourriture. Un tri racial par les forces armées.

Poutine, le «méchant» du film

Celui qui est désormais l’ennemi absolu a pourtant des intérêts en France et a été reçu avec les honneurs dans notre pays. Dès son arrivée au pouvoir en 2017, Macron organise une immense réception pour Poutine au château de Versailles : c’est son premier grand rendez-vous diplomatique. Durant l’été 2019, Poutine est reçu au Fort de Bregançon par le couple Macron. L’ancien bras droit de Macron, Benalla, travaille pour un oligarque russe. Comme François Fillon. son collègue, le politicien Mariani, est un grand «ami» de la Russie. Des réseaux russes financent des partis d’extrême droite européens. Les intérêts russes sont partout chez les décideurs français, leurs alliances sont durables. En pleine guerre, le milliardaire français Bernard Arnault organise une somptueuse réception de LVMH à Moscou. La guerre est pour les peuples, pas pour les puissants. Dans ce contexte, dénoncer les rares qui prônent la paix de «soutien à Poutine» est absolument indigne.

Contrôle de l’information et propagande de guerre

L’Union Européenne vient d’interdire deux médias proches de la Russie. Comme si la population n’était pas capable de faire le tri. Comme si les autres médias étaient indépendants. L’information en Occident est sous contrôle politique. Au même moment, Poutine menace la presse russe et lui interdit de parler de guerre mais plutôt «d’opération». La propagande de guerre est bel et bien symétrique.

Pensée binaire

Comme en 1914 ou pendant la guerre froide, quiconque appelle à la paix dans un «camp» ou dans l’autre est accusé d’être du côté de l’ennemi. Côté russe, il suffit de dire «non à la guerre» pour être arrêté et accusé de complicité avec l’OTAN. En Europe de l’ouest, il suffit de refuser l’escalade militariste pour être qualifié de «soutien de Poutine» voire de «collabo». Plus aucune réflexion n’est autorisée. En 1914, Jaurès le pacifiste était décrit comme un «agent de l’Empire allemand» par la presse de droite parce qu’il refusait le conflit contre nos voisins. Il a été assassiné pour cela. La pensée binaire prépare le désastre.

Comportements moutonniers

Pourtant, une certaine gauche, confortablement installée dans son canapé, participe à l’escalade belliqueuse. Ces gens si «bienveillants», si «modérés», si «démocrates» veulent la guerre totale. Les va-t-en-guerre de plateau télé aboient contre quiconque appelle à faire baisser la tension. Jusqu’aux écologistes, connus pour leur pacifisme bêlant, qui réclament l’envoi d’armes, totalement alignés sur la propagande atlantiste. De son côté, Macron est ravi, il va pouvoir se poser en chef de guerre et être réélu tranquillement. Fureur collective.

Poutine : une stratégie sans issue

Le chef d’État russe est bien l’agresseur. Le semeur de guerre.

C’est lui qui a fait le choix d’attaquer un pays. Mais sa stratégie est difficilement lisible. Veut-il occuper l’Ukraine dans la durée ? C’est quasiment impossible matériellement, et extrêmement coûteux. En est-il capable ? Va-t-il intensifier ses attaques ? Ce sera l’escalade. Et pour quel résultat ? D’ors et déjà, la Russie est exclue de certains marchés mondiaux et entre dans une crise économique profonde.

Le peuple russe en est la première victime

Poutine joue son avenir politique, et pourrait faire courir des périls inimaginables s’il est acculé. En envoyant des armes, en bloquant l’économie russe, l’Europe est déjà, de fait, en guerre contre la Russie. La situation est donc très incertaine.

Que faire ?

L’Ukraine est un front d’une guerre mondiale que se mènent les puissances capitalistes. Derrière cette soi-disant mission de «maintien de la paix», c’est un affrontement entre empires qui se joue à l’est de l’Europe. Quelles prises avons nous sur les décisions des puissants ? Que faire face à la violence incommensurable des armes ? Comment agir face à la bêtise sanguinaire du militarisme et du nationalisme ? En Ukraine, des anarchistes appellent à combattre les russes et ont déjà constitué des brigades, en prenant l’exemple Kurde. Il semble que la principale force à même de changer la donne est le peuple russe. Le Kremlin est terrorisé par sa population : des milliers de personnes ont été arrêtées pour avoir manifesté ces derniers jours. Un soulèvement en Russie serait la meilleure option face au bain de sang. Et à l’extérieur ? Des appels à saboter les intérêts impérialistes et à cibler les lieux du pouvoir russe circulent. Il faudrait surtout faire taire les nationalistes et les «va-t-en guerre» de tous bords qui nous mènent au précipice. Face au désastre écologique, économique et politique mondial, une guerre permet aux gouvernants en difficulté de consolider l’édifice social, de resserrer les rangs. L’urgence serait de démilitariser les États. Les puissants du monde sont des paranoïaques dangereux qui doivent être désarmés et mis hors d’état de nuire au plus vite, pour le bien des êtres vivants sur cette terre. Révolution ou barbarie.

Nantes Révolté

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Quelques remarques personnelles

Je trouve que le texte montre bien la politique de Poutine.
Les enjeux économiques liés à la situation de l’Ukraine sont assez bien précisés.
La situation politique de l’Ukraine est bien décrite (pandora papers, neo-nazis…)
Je trouve aussi  que l’OTAN est cité :
Pensée binaire. Comme en 1914 ou pendant la guerre froide, quiconque appelle à la paix dans un
«camp» ou dans l’autre est accusé d’être du côté de l’ennemi. Côté russe, il suffit de dire «non à la guerre» pour être arrêté et accusé de complicité avec l’OTAN. En Europe de l’ouest, il suffit de refuser l’escalade militariste pour être qualifié de «soutien de Poutine» voire de «collabo». Plus aucune réflexion n’est autorisée. En 1914, Jaurès le pacifiste était décrit comme un «agent de l’Empire allemand» par la presse de droite parce qu’il refusait le conflit contre nos voisins. Il a été assassiné pour cela. La pensée binaire prépare le désastre.

Ce n’est pas suffisant mais c’est déjà une première approche.
Il n’est pas fait mention de Macron car c’est un élément négligeable.
C’est une bagarre entre la Russie et les USA. La Chine se mettra évidemment du côté de la Russie. C’est une bagarre pour l’hégémonie mondiale. Le peuple (ukrainien, russe, etatsunien, français …) en sera la victime.
La fin me parait évidemment intéressante :
Face au désastre écologique, économique et politique mondial, une guerre permet aux gouvernants en difficulté de consolider l’édifice social, de resserrer les rangs. L’urgence serait de démilitariser les États. Les puissants du monde sont des paranoïaques dangereux qui doivent être désarmés et mis hors d’état de nuire au plus vite, pour le bien des êtres vivants sur cette terre. Révolution ou barbarie.