Chère Sophia Aram

Quelle semaine ! 

Voilà désormais plus d’une dizaine de jours que se développe la « polémique » faisant suite à une de vos « plaisanteries » à propos du député LFI Aymeric Caron, que vous avez estimé intelligent de surnommer, dans un post sur X (ex-Twitter), « Abou Aymeric el Versailly », qu’est-ce qu’on se marre, c’est vrai qu’arabiser le nom d’un adversaire politique pour le disqualifier est une brillante trouvaille. La fachosphère adore, qui s’en étonnera, on se souvient encore des précédents « Ali Juppé » et « Farid Fillon », pas de doute vous marchez dans les pas de fort recommandables prédécesseurs et vous êtes bien accompagnée. Vous avez ainsi, l’air de rien ou presque, repris à votre compte une vieille pratique de l’extrême droite, bravo, en vous donnant tout juste la peine de l’actualiser, ce qui vous a valu des critiques, tout de même, mais aussi moult soutien, entre autres celui de la députée européenne macroniste Nathalie Loiseau, ce qui n’est pas vraiment une surprise, vos outrances ont dû rappeler ses jeunes années à cette ancienne du GUD, c’est touchant.   

Vous avez ainsi non seulement cru utile — et drôle — d’accuser Aymeric Caron de prononcer des « fatwas numériques » et de l’affubler d’un surnom prétendument orientalisé, quelle rigolade, mais aussi de vous justifier en tentant piteusement d’expliquer qu’un tel procédé n’avait rien de raciste puisque, on vous cite, « la structure syntaxique « Abou + prénom + ville d’origine » est celle qu’utilisent les jihadistes (de toutes origines) qui, comme le fait Caron, multiplient les fatwas contre leurs adversaires. » Soit du grand n’importe quoi puisque : 

– dans le monde arabe, l’utilisation de la structure « Abou + prénom (en général du fils aîné  » est très répandue et est avant tout l’expression d’une marque de respect ; 

– la structure syntaxique en question n’est nullement l’apanage des « jihadistes » ;

– rares sont les « jihadistes » qui y ont, en réalité, recours ;

– les « fatwas » sont des avis juridiques émis par des savants musulmans et non par des « jihadistes » ;

– il existe des « fatwas » de toute sorte, qui peuvent être contradictoires entre elles, et parfois même ouvertement hostiles aux pratiques de certains courants « jihadistes » ;

– les « fatwas » peuvent concerner à peu près tous les aspects de la vie quotidienne et seule une infime minorité de ces avis sont dirigés contre des « adversaires » politiques ;

– etc. 

Conclusion : votre « plaisanterie » n’est pas drôle, à moins d’aimer rire avec l’extrême droite, chacun son truc, elle joue en outre sur des ressorts ouvertement racistes (mots arabes = dépréciation), ceci explique sans doute cela, et vous n’avez en réalité pas la moindre idée de ce dont vous parlez — ce qui, souvent, notons-le, va avec le reste. Lorsque l’on sait, de surcroît, que ce qui a valu à Aymeric Caron d’être la cible de vos foudres « humoristiques » est le fait qu’il a qualifié une ministre macroniste de « soutien du gouvernement génocidaire israélien », sachant que ladite ministre, Astrid Panosyan-Bouvet, n’a jamais caché ses partis pris pro-Israël, jusqu’à critiquer les communiqués du Quai d’Orsay et intervenir dans des réunions publiques de soutien aux actions israéliennes à Gaza à l’heure où le gouvernement Netanyahou est accusé par de plus en plus d’instances internationales et d’ONG de commettre un génocide contre le peuple palestinien, on se dit que vous avez — vous aussi — la gâchette facile et que, de toute évidence, les faits ne sont pas franchement votre tasse de thé. 

Nulle surprise, dès lors, à ce que parmi celles et ceux qui sont venus vous soutenir face aux critiques suscitées par votre « blague », on retrouve l’inénarrable Caroline Fourest, spécialiste reconnue des approximations, des raccourcis et des mensonges, qui a écrit que « Sophia Aram a mouché la dernière fatwa en date de Caron alias « Abou Aymeric El Versailly… » », faisant ainsi siens vos propos et affirmant, histoire d’en rajouter une couche, qu’Aymeric Caron « fait passer les « Charlie » et ceux qui dénoncent l’antisémitisme pour des « génocidaires » », tout simplement, il nous avait pourtant semblé que c’est le gouvernement israélien qu’il traitait de « génocidaire », mais on n’est plus à ça près. Autre soutien remarquable du côté de la journaliste Anne Sinclair, qui a relayé votre « plaisanterie » sur ses réseaux sociaux, oubliant visiblement au passage qu’une certaine Sinclair Anne s’inquiétait, en 2016, de « la campagne calomnieuse « Farid Fillon » », repostant à l’époque un articleciblant l’extrême droite et parlant de « contenu de caniveau », de « campagne diffamatoire » et de « chasse en meute », c’est pas les girouettes qui tournent, c’est le vent, et après tout on a les soutiens qu’on mérite. 

Chère Sophia Aram, ce n’est pas la première fois que l’une de vos « plaisanteries » fait « polémique », et il faut bien reconnaître que vous avez eu une certaine constance en la matière ces derniers temps, à un point tel qu’il est devenu de plus en plus difficile de savoir si vos déclarations sont celles de Sophia Aram l’humoriste ou de Sophia Aram l’éditorialiste tout-terrain qui s’autorise à donner son avis sur tout, et surtout son avis, ça manquait dans le paysage médiatique. Nous devions déjà subir vos billets supposément humoristiques sur France Inter et vos diverses prises de position à l’occasion d’événements publics, comme lorsque vous affirmiez, lors de la dernière cérémonie des Molières, que « le silence, même relatif, après le 7 Octobre, dans lequel 1200 Israéliens ont été massacrés, est assourdissant », on se demande dans quel monde vous vivez, attention à ne pas vous blesser avec les ailes des moulins à vent. Et voici que, depuis un an, vous commettez également une chronique pour le Parisien, dans laquelle vous nous éclairez sur la vie politique française, merci, sur la géopolitique internationale, vraiment il ne fallait pas, ou sur les blagues des autres humoristes, c’était nécessaire. Une chronique qui est aussi l’occasion de revenir sur vos obsessions préférées, au premier rang desquelles « l’islamisme », face auquel, à vous en croire, tout le champ politique européen aurait d’une façon ou d’une autre « renoncé », c’est original, mais aussi « l’extrême gauche » (c’est-à-dire LFI), pour laquelle, d’après vous, « tout faire contre le RN consiste à prouver qu’en matière de populisme, on n’a rien à lui envier », c’est bien noté, avec parfois même des combos, comme lorsque vous affirmez que « l’extrême gauche hurle à l’islamophobie contre tout individu ne se ralliant pas à l’idée saugrenue de faire du voile un symbole d’émancipation des femmes », rien que ça.

Nulle surprise, dès lors, à ce que les « polémiques » que vous suscitez soient désormais largement couvertes par les médias d’extrême droite, des relais pourtant peu attendus lorsque, comme vous, on se prétend « de gauche », sans doute un de ces traits d’humour dont vous avez le secret, entre autres Valeurs actuelles, qui a par exemple adoré que vous affirmiez que « l’extrême gauche est totalitaire et stupide », on les comprend, et qui déguste vos attaques contre Sandrine Rousseau, Blanche Gardin ou Maeva Ghennam. Même popularité du côté du JDD-Bolloré, qui n’a pas manqué de reprendre, entre autres, vos déclarations contre le « totalitarisme islamiste », soulignant avec délice que « Sophia Aram s’en prend régulièrement aux compromissions vis-à-vis de l’islamisme dont se rendrait coupable une partie de la gauche », et qui se fait un plaisir de relayer chacune de vos invectives contre les élu·e·s de la FI, qu’il s’agisse d’Ersilia Soudais, à propos de laquelle vous avez écrit qu’elle était « bête à bouffer de la toile de jute », c’est élégant, ou, bien sûr, d’Aymeric Caron, le JDD faisant ses choux gras de la dernière « polémique » en date, c’est beau de faire le buzz dans les médias Bolloré.

Chère Sophia Aram, dans un long portrait que vous a récemment consacré le Monde, grâce auquel on comprend, sans grande surprise et malgré les précautions des journalistes, que votre fan club est de plus en plus âgé et de plus en plus à droite, vous balayez les critiques de celles et ceux qui vous reprochent d’être passée dans le camp de la réaction : « Je n’ai pas bougé d’un poil, c’est la gauche qui a changé ». Une formule à laquelle vous tenez, puisque vous l’aviez déjà, à peu de choses près, employée dans une interview au très progressiste hebdomadaire le Point, lequel en avait même fait le titre de l’élogieux portrait qu’il vous avait consacré il y a un peu plus d’un an : « Ce n’est pas moi qui ai changé, c’est la gauche qui a changé ». Un positionnement ressemblant à s’y méprendre à celui du gauchiste patenté Éric Naulleau, qui aime lui aussi à rappeler, entre deux meetings d’Éric Zemmour, qu’il est profondément de gauche et que c’est la gauche qui n’est plus de gauche, habile, peut-être pourriez-vous envisager de vous produire tous les deux sur une même scène, à défaut d’être drôle cela pourrait être risible. Surtout si vous partagez à cette occasion vos expériences de cuisants échecs dans l’animation de programmes télévisés puisque, comme lui, vous avez eu l’occasion de vous planter royalement et de voir votre talk-show supprimé, faute d’audience, après seulement quelques pénibles et gênantes émissions sur France 2, sans doute un complot contre la gauche. 

Une promenade sur votre compte X confirme votre profond ancrage dans le camp progressiste et l’ampleur de l’écho que vous y recevez, puisqu’il permet notamment de se rendre compte que vous êtes très attentive aux divers messages de soutien et/ou de félicitations que vous pouvez recevoir, et que vous adorez leur donner de la visibilité, c’est beau d’être à l’écoute, c’est beau d’être modeste, c’est beau d’être de gauche. Et c’est ainsi que l’on peut se régaler des petits mots gentils de Jean Quatremer (journaliste-auteur de tweets islamophobes), de Xavier Gorce (dessinateur de pingouins qui adore, entre autres, mépriser les classes populaires), de Raphaël Enthoven (qu’on ne présente plus), de Caroline Fourest (idem), de Luc Le Vaillant (journaliste pervers du métro), de Géraldine Woessner (éditorialiste qui considère « [qu’]il n’y a pas de journaliste palestinien ») ou encore de… François Rebsamen (néo-ministre macroniste), d’Aurélien Rousseau (ex-ministre macroniste) ou de Jean-René Cazeneuve (député macroniste), quel œcuménisme, quel talent, mais quel rapport avec la gauche ?

En bonne camarade, vous ne manquez pas vous non plus, échange de bons procédés, de multiplier les marques de soutien à l’égard de personnalités du champ médiatique, de Nathalie Saint-Cricq à Arthur en passant par Alba Ventura (RTL), Anne Rosencher (l’Express) ou Marc Weitzmann (France Culture), c’est toujours bon d’entretenir des liens de confraternité, ça permet d’être invitée pour parler de ses spectacles et d’avoir d’excellentes critiques dans la presse, que vous relayez ensuite, une bien beau cercle vertueux. Vous n’hésitez pas non plus à saluer certains responsables politiques, avec une affection toute particulière pour le très à gauche Bernard Cazeneuve, dont vous aimez mettre en avant les prises de position et interviews, comme lorsqu’il condamne les alliances électorales avec La France insoumise, c’est courageux, lorsqu’il dénonceles « excommunications des plus raisonnables à gauche », défense de rire, ou lorsqu’il prend la défense de Fabien Roussel quand ce dernier oppose « gauche du travail » et « gauche des allocations et des minima sociaux », bien trouvé.

Chère Sophia Aram, vous avez tellement le cœur à gauche que vous n’avez pas hésité à poser fièrement, au début de l’année 2024, avec Mila, un temps égérie du « droit au blasphème » et désormais militante/influenceuse d’extrême droite, adepte des discussions chaleureuses avec des fascistes israéliens affirmant qu’il faut « casser la bouche » des « arabes », autrice de pensées profondes du style « Une immense partie des familles maghrébines sont consanguines, et beaucoup ont des visages difformes et assez laids, et des très petits fronts » et fan de vos spectacles, tant mieux pour vous si vous ne voyez pas le problème, mais croyez-nous il y en a un. Il faut dire que vous continuez à faire son éloge sur scène malgré son racisme revendiqué, affirmant qu’elle est « la seule qui ne fasse pas semblant de risquer sa vie », c’est émouvant, peut-être pourra-t-elle, en retour, vous obtenir une invitation pour pousser la chansonnette à ses côtés lors de la prochaine université d’été de Reconquête, vous aurez ainsi l’opportunité de nous dire, dans une chronique que l’on imagine déjà désopilante, si c’est dur d’être aimé par des fafs. 

Votre « humour », s’il a jamais existé, est en réalité écrasé par vos points de vue, vos obsessions et vos outrances, à l’image de votre comparaison entre une lycéenne portant le voile et l’ayatollah Khomeyni ou de votre parallèle entre des dégradations contre une voiture de police et un viol, le tout agrémenté d’un mépris dont on en vient parfois à se demander s’il n’est pas le principal moteur de vos chroniques. À titre d’exemple, on se souvient de la façon dont vous avez doctement expliqué, le 29 avril, au sujet des étudiants et étudiantes de Sciences Po mobilisés en solidarité avec Gaza, que leurs actions étaient « l’occasion d’assortir un petit keffieh tout neuf à leur tout nouveau legging Lululemon », bien vu, que « leur combat pour la Palestine est beaucoup plus récent que celui qu’ils mènent contre l’acné », qu’est-ce qu’on rigole, et qu’il serait temps de « leur trouver un adulte pour leur dire […] qu’il n’y a pas plus d’apartheid en Israël que de génocide, à ce stade, à Gaza », puisque je vous le dis. Nous ne vous savions pas spécialiste de droit international mais nous pourrions, à l’occasion, et puisque cela a l’air de vous intéresser, vous faire rencontrer quelques « adultes » dont c’est le métier et qui se feraient un plaisir de vous expliquer pourquoi vous devriez être un peu plus prudente avant de donner de condescendantes leçons à tout le monde sur ces sujets — et sur bien d’autres.

Chère Sophia Aram, nous sommes forcés de constater que vous avez, en définitive, fait vôtre cette pratique que vous décriiez il y a encore quelques années lorsque vous dénonciez, dans une interview aux Inrocks, le fait « [qu’]il est toujours plus facile de faire des blagues allant dans le sens des préjugés », on ne saurait mieux dire. « Facilité » est en effet le mot qui nous vient à l’esprit lorsque l’on vous entend et vous lit, et l’on ne peut qu’être frappé de constater à quel point, malgré la banalité de vos propos, que l’on entend à peu près 15 fois par jour sur n’importe quel plateau de « débat » de chaîne d’info, et la nullité de vos « blagues », qui se résument à des attaques plus grossières que drôles contre celles et ceux dont les opinions ne vous plaisent pas, vous continuez d’afficher le petit air satisfait, assuré et supérieur de celle qui se sent indispensable et protégée par son sésame « humoriste de France Inter ». Une fois n’est pas coutume, nous conclurons donc cette missive par la formulation d’un doute, un mot qui ne fait certes pas partie de votre vocabulaire, mais nous devons reconnaître que nous avons du mal, au total, à savoir si vous êtes, plutôt, une humoriste ratée qui tente, péniblement, de faire des éditoriaux ou, plutôt, une éditorialiste ratée qui tente, laborieusement, de faire de l’humour. Une chose est toutefois certaine : ce n’est pas parce que vous avez, à quelques reprises au cours des dernières années, pris des positions qui ont déplu à la fachosphère (contre Cyril Hanouna et sa clique ou pour le rapatriement des enfants de jihadistes en Syrie) que vous ne participez pas, comme bien d’autres, à installer une ambiance globale favorable à la légitimation et à l’ascension des courants réactionnaires, jouant le rôle, in fine et ne vous en déplaise, d’idiote utile de l’extrême droite (1).

1) Un terme que nous n’aurions évidemment pas osé employer si vous ne l’affectionniez pas vous-même tout particulièrement, comme lorsque vous avez, par exemple, traité les étudiants de Sciences Po mobilisés pour Gaza ou le député LFI Thomas Portes d’« idiots utiles des mollahs »

https://www.blast-info.fr/articles/2025/chere-sophia-aram-boxing-