Avec les cheminots

« Aujourd’hui, c’est « Je lutte des classes » avec les cheminots »

Pourquoi, selon vous, l’exigence des services publics est-elle au cœur aujourd’hui de la convergence des luttes sociales ?

Philippe Corcuff Les services publics associent la valorisation de biens communs (comme le transport ou les conditions écologiques de l’humanité) et la solidarité (entre catégories sociales, entre générations, entre sexes, entre territoires, etc.).  Ils incarnent le sens noble de la politique défendu par la philosophe Hannah Arendt dans un livre inachevé rédigé entre 1950 et 1959, Qu’est-ce que la politique ? : « La politique traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents. » Or, dans le sillage de la dérégulation néolibérale du capitalisme, la politique s’est progressivement dégradée pour ne devenir principalement qu’une compétition d’intérêts politiciens concurrents autour de la primauté accordée à la plus grande « rentabilité » des logiques privées. Dans ce cadre, la solidarité a été remplacée par un individualisme de la compétition censé récompenser « les meilleurs ». Emmanuel Macron cristallise cette évolution, qui était encore freinée avant lui par l’opposition historique entre la gauche et la droite, avec simplement un relookage marketing jeuniste.

Vous pensez même que « quelque chose comme l’avenir de nos sociétés » se joue dans ce mouvement social ?

Philippe Corcuff Le combat contre la privatisation néolibérale de la société et pour les services publics se présente à la fois comme un combat de classe, une lutte de ceux qui sont spoliés des principales ressources économiques, culturelles et politiques, et comme un combat pour l’humanité. Qu’il s’agisse de la préservation de la planète ou de la dignité de chaque être humain écrasée par la domination de la valeur marchande. Le caractère précieux de cette dignité oriente notre regard sur le fait, parfois oublié dans les rhétoriques trop exclusivement collectivistes à gauche, que l’émancipation visée est indissociablement individuelle et collective. Face au capitalisme néolibéral, il ne s’agit pas d’entonner l’antienne conservatrice du « c’était mieux avant », mais de prendre la mesure de l’individualisation de nos sociétés et de penser ensemble individualités et solidarité, dans la perspective esquissée par Arendt. Le collectif de graphistes « Ne pas plier » a eu une idée de génie lors du mouvement des retraites de 2010 avec son « Je lutte des classes ». Les individualités coopérantes et solidaires qui composent la société cheminote constituent un point d’appui en ce sens. L’avenir n’est pas aux recettes usées du néolibéralisme, ni à une résistance nostalgique, mais à une résistance porteuse d’avenirs alternatifs.

Vous êtes signataire de l’appel « Ce projet de loi sans légitimité démocratique est un danger mortel pour la cohésion territoriale », lancé à l’initiative d’Attac et de la Fondation Copernic. Quel sens, dans cette perspective, revêt le soutien d’intellectuels à la lutte des cheminots et des catégories sociales qui se mobilisent ?

Philippe Corcuff La pensée critique est aussi un bien commun potentiellement menacé dans la dégradation des conditions matérielles du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme par un certain conformisme ambiant. Et cette pensée critique a vocation, dans l’horizon ouvert par les Lumières du XVIIIe siècle, à être mise à disposition de chacun. Par ailleurs, le gouvernement prétend donner un monopole de l’intelligence aux lieux communs technocratiques et néolibéraux. Il est de notre devoir d’intellectuels professionnels de rappeler la primauté d’une intelligence critique pluraliste sur les préjugés.

 

Journal « l’humanité »

Entretien réalisé par Pierre Chaillan ; avec Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique à Sciences Po Lyon, Enseignant-chercheur à Lyon et membre du laboratoire Centre de recherche sur les liens sociaux (CNRS-université Paris Descartes-université Sorbonne nouvelle)

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Une réforme de la SNCF qui n’a aucune légitimité démocratique

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron en avait fait un argument majeur de sa candidature : contrairement à ses prédécesseurs, il annoncerait les mesures qu’il appliquerait une fois élu. Les Français sauraient donc à quoi s’attendre. Or, moins d’un an après son élection, voici qu’il met en chantier une réforme, ou plutôt une contre-réforme, majeure qui n’a jamais été soumise au vote de nos concitoyen.es. Elle engage la privatisation de la SNCF, le dépérissement du service public du rail, déjà par ailleurs bien entamé, et la fin du statut des cheminots.

Ce projet n’a donc aucune légitimité démocratique. Il en a d’autant moins que le gouvernement veut le faire adopter par ordonnances, réduisant ainsi les droits du Parlement à portion congrue, alors même qu’il dispose d’une majorité pléthorique à l’Assemblée. Cette privatisation annoncée, couplée avec l’ouverture totale à la concurrence, c’est la cohésion territoriale, déjà fragilisée, qui est en danger de mort avec la fin programmée du service public ferroviaire.

Elle se traduira par la fermeture des lignes non rentables, notamment les petites lignes de desserte locale, une augmentation des tarifs, un entretien du réseau encore plus défectueux car les entreprises privées, poussées par la recherche d’une rentabilité financière toujours plus grande, ont toujours tendance à rogner sur la sécurité. L’exemple du Royaume-Uni est de ce point de vue emblématique : suite à la privatisation, les incidents et les retards se sont multipliés, les tarifs ont fortement augmenté, et l’État britannique a été obligé de verser chaque année 4,6 milliards d’euros de subventions aux compagnies privées qui n’ont pas assez investi. Les enquêtes d’opinion montrent régulièrement qu’une très large majorité de la population est favorable à une renationalisation.

De plus, alors qu’il serait nécessaire de développer le transport ferroviaire dans la perspective de la transition écologique, rien n’est prévu pour un rééquilibre de la route vers le rail. Pire une privatisation de la SNCF, qui verrait la rentabilité financière devenir le critère absolu, serait un obstacle de taille à un tel processus.

L’ampleur de la dette est évoquée régulièrement comme un argument pour justifier ce projet. Mais, au-delà même du fait que l’essentiel de cette dette est le produit du financement des grandes infrastructures qui auraient dû être prises en charge par l’État, quel rapport y a-t-il avec le projet qui nous est présenté ? La dette ne va pas disparaître comme par enchantement avec le changement de statut de la SNCF et les économies induites par la fin du statut des cheminots – entre 100 et 150 millions d’euros à l’horizon de 10 ans – sont dérisoires par rapport à son montant.

Le personnel de la SNCF est aujourd’hui montré du doigt, traité de privilégié, alors même que la grille salariale commence à 1219 euros brut et que les conditions de départ à la retraite ont été notablement durcies ces dernières années. Or, le statut des cheminots permet un recrutement aussi rigoureux que possible, le contrôle des agents, l’encadrement de la durée et de la pénibilité de leur travail, ce qui est décisif du point de vue de la sécurité des usagers. En fait, après la loi travail qui a affaibli considérablement les droits des salariés du secteur privé, c’est maintenant au tour des salariés à statut – les fonctionnaires sont aussi menacés – d’être dans le viseur du gouvernement.

En s’en prenant aux cheminots, Emmanuel Macron espère, s’il l’emporte, casser tout esprit de résistance face à sa volonté de restructurer en profondeur la société française pour y appliquer les recettes néolibérales. Ce dont il est question est donc la nature même de la société dans laquelle nous voulons vivre. Voulons-nous vivre dans une société où les droits sociaux seraient réduits à néant, où les services publics auraient disparu, où l’inégalité de traitement des territoires serait la règle ? Ou, au contraire, voulons-nous une société plus juste, plus solidaire, plus égalitaire ? C’est pour cela que l’avenir de la SNCF nous concerne toutes et tous et que nous nous engageons à soutenir le combat des cheminots.

Tribune à l’initiative d’Attac et de la Fondation Copernic

https://france.attac.org/actus-et-medias/le-flux/article/une-reforme-

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Une cagnotte pour les cheminots grévistes

 Nous avons de la sympathie pour les cheminots grévistes. Ils défendent un de nos biens communs, une entreprise de service public que le gouvernement cherche à transformer en « société anonyme ».

À ce jour, la ministre des transports n’a pas ouvert de négociations. Le pouvoir engage un bras de fer. Nous nous souvenons des grèves de 1995 et 1968 durant lesquelles les cheminots avaient arrêté le travail. La solidarité entre voisins et collègues mit en échec le calcul gouvernemental  de dresser les usagers contre la grève.

Chacun comprend que les journées de grève coûtent et que pour le succès de leurs revendications, il importe que le mouvement puisse durer. Nous soutiendrons financièrement les cheminots :

https://www.leetchi.com/fr/Cagnotte/31978353/a8a95db7