Guillotintamare à Saintes

Je m’appelle Kamel Daoudi. J’ai 44 ans. Je suis marié avec une française et j’ai 4 enfants tous nés en France. Je suis assigné à résidence depuis le 23 avril 2008.

Il m’est interdit de quitter la commune de Saint-Jean-d’Angély, soit un territoire d’une superficie de 18,78 km².
La ville compte environ 7000 habitants.

Il m’est interdit de sortir de l’hôtel où je suis hébergé contre mon gré entre 21 heures et 7 heures du matin.

Je suis obligé de « pointer » à la gendarmerie, 3 fois par jour tous les jours y compris les dimanches et jours fériés.

Il y a 17 ans, je me suis retrouvé pris bien malgré moi dans l’affaire dite du « projet d’attentat contre l ‘Ambassade des États-Unis à Paris » ou « Affaire Beghal ». La seule chose que les services de renseignement sont parvenus à me reprocher c’est de m’être rendu au Pakistan et en Afghanistan pendant environ quatre mois avec un passeport contrefait. Notons que sur cette même affaire dont je n’étais qu’un satellite, selon les câbles américains publiés par Wikileaks, l’un des deux juges antiterroristes qui a instruit notre affaire « Jean-François Ricard dit que les preuves ne seraient pas suffisantes normalement pour [nous] condamner, mais il estime que ses services ont réussi grâce à leur réputation. ».

Évidemment, j’ai toujours nié un quelconque projet d ‘attentat mais quoi qu’il en soit, on n’en faisait pas plus de cas à l’époque qu’aujourd’hui et j’ai écopé malgré tout de 6 ans de prison ferme, une interdiction définitive du territoire français (IDTF) prononcés par la Cour d’Appel de Paris pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et on m’a retiré la nationalité française acquise par naturalisation.
A ma sortie de prison, le 21 avril 2008, j’ai été placé en centre de rétention administrative pour être expulsé vers mon pays de naissance, l’Algérie.
Le 23 avril 2008, la CEDH a demandé à la France de surseoir à sa décision de m’expulser. Depuis, je suis assigné à résidence en attendant que je trouve un pays d’accueil. J’ai démarché plusieurs dizaines de pays, sans aucun résultat.

En janvier 2009, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu sa décision définitive en interdisant à la France de m’expulser. Depuis je suis ballotté entre plusieurs villages ou petites villes de province au gré des décisions du ministère de l’Intérieur.
Depuis près de 2 ans, j’ai été séparé de ma femme et de mes enfants âgés de 3, 5, 8 et 15 ans.

Cette assignation à résidence est-elle une punition pour des faits passés ?

J’ai la faiblesse de croire que non car J’ai déjà été jugé, j’ai exécuté ma peine et que l’assignation à résidence est une mesure de police administrative donc dépendant du Ministère de l’Intérieur même si dans mon cas, elle est accolée à une décision de justice.

Cette assignation à résidence est-elle justifiée par la menace terroriste que je ferais peser sur le pays ?

La réponse est non s’il y avait le moindre soupçon contre moi, je serais incarcéré ou a minima mis en examen. La législation antiterroriste est telle que n’importe quel procureur pourrait le faire sans la moindre hésitation.

En revanche selon les conventions signées par l’Etat français, la France ne peut pas m’expulser. Et cela pose un sérieux problème au Ministère de l’Intérieur.

La seule hypothèse rationnellement crédible c’est que le Ministère de l’Intérieur tente par tous les moyens légaux de me pousser à accomplir son souhait le plus cher : partir de moi-même vers mon pays de naissance : l’Algérie.

Pour cela, le Ministère met en œuvre un système de surveillance et de punition démesuré.

  • Le supplice de la goutte à raison de 3 ou 4 pointages quotidiens (12 000 pointages, au compteur) et un couvre-feu nocturne de 21 heures à 7 heures du matin
  • Une relégation sociale et professionnelle (Impossibilité de travailler et gagner sa vie)
  • Une destruction familiale (éloignement de ma famille)
  • Les gendarmes en faction
  • Les rappels à la loi pour un retard de 30 minutes à vélo avec mes enfants

Tout cela pour contourner les principes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Tout cela pour ne pas respecter le droit.

Ces 10 années d’assignation à résidence ont le mérite d’avoir démontrer que hormis une dizaine de retard à des pointages, le Ministère de l’Intérieur n’a rien à me reprocher.

Si le Ministère de l’Intérieur avait pris la décision de me laisser tranquille, il y a 10 ans que ce serait-il passé : rien, absolument rien.

Je travaillerais, je vivrais calmement avec ma famille, je pourrais faire des balades à vélo avec mes enfants et je pourrais même crever à vélo sans que cela ne prête à conséquence.

La vraie question n’est pas de savoir si le Ministère de l’Intérieur me pourrit la vie, celle de ma femme, de mes enfants. Je pense qu’ici personne n’en a rien à faire et chacun a ses propres soucis.

La vraie question est de savoir pour quoi le Ministère de l’Intérieur emploie autant d’énergie, d’argent , de ressources humaines pour me neutraliser, m’interdire toute forme de résilience ?

Et là, j’ai beau me creuser la tête, je ne trouves pas de réponse satisfaisante.

Si je n’ai pas craqué au 1000ème pointage, je ne craquerai pas plus au 12000ème pointage.

Le Ministère de l’Intérieur gâche énormément de vies pour un résultat nul.

Les deux seules issues rationnelles qu’il reste sont les deux suivantes :

  • Que la France demande a ne plus être tenue par ses engagements internationaux vis-à-vis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
  • Que l’État français me laisse poursuivre paisiblement ma vie avec ma femme et mes enfants.

Pourquoi un « happening » avec une guillotine ?

Le docteur Joseph-Ignace Guillotin, natif de Saintes (28 mai 1738) proposa pour supprimer les souffrances inutiles que les condamnés à mort soient tous exécutés mécaniquement de la même façon quel que soit leur rang. Lui-même est mort naturellement contrairement à la légende selon laquelle il aurait été guillotiné qui provient de la confusion avec l’un de ses homonymes J.M.V. Guillotin, médecin lyonnais.
La guillotine a été utilisée la dernière fois en France le10 septembre 1977, à la Prison des Baumettes à Marseille sur Hamida Djandoubi surnommé « Le tueur maquereau ».

« le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117, l’Assemblée nationale a adopté, après deux jours de débats, le projet de loi portant abolition de la peine de mort présenté, au nom du Gouvernement, par Robert Badinter, garde des Sceaux, ministre de la justice.
Mais il existe encore une guillotine symbolique qui ne décapite plus les têtes mais qui condamne à une mort sociale.

Sans trop forcer le trait, je pense que ce que ma famille et moi-même subissons depuis plus de 10 ans rentre dans le cadre de cette exécution symbolique par un système répressif bien huilé conjuguant hypocrisie, dé-faussement et inertie. C’est ce système que j’entends dénoncer en me rendant visible, moi que l’on tente de cacher sous le tapis des tartuferies mondaines de l’Administration depuis plus d’une décennie.

« Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte ; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention. » — Victor Hugo

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Mediapart