Capitalisme fossile

 De la farce des COP à l’ingénierie du climat

Un livre de  Jean-Marc Sérékian ; édition Utopia ; 10 €

Vingt-quatre ans de COP (Conference Of the Parties, soit les conférences internationales pour le climat). Depuis un quart de siècle, les négociations sur climat font quasiment du surplace tandis que les émissions de GES poursuivent leur ascension.

Fin 2018, la COP 24 s’est passée comme si le dernier rapport spécial du GIEC d’octobre de la même année n’avait pas existé. Pourtant l’urgence climatique y était réaffirmée et un agenda précis était proposé pour 2050.

Les comptes rendus, les nombreux rapports, les déclarations et les promesses confirment à chaque fois que la conscience du désastre est bien collective et que tous les États sont parfaitement instruits des dégradations rapides des écosystèmes.

Pourtant, rien ne se passe. Les États se préoccupent-ils vraiment du dérèglement climatique ? Et quid de la France ? Où se situent les blocages face à l’urgence climatique ? Comment expliquer une si longue et si spectaculaire inefficacité de la communauté internationale face à une évidence chaque année plus criante ? La structure du capitalisme et sa mondialisation à l’ère des énergies fossiles fournissent-ils des éléments de réponse ?

Pour l’auteur de ce livre, le moment est venu de tirer au clair le jeu dangereux des États face aux questions environnementales ainsi que le rôle des COP et des Sommets de la Terre.

Les questions environnementales ont émergé très tôt et dès les sixties, une conscience écologique collective pouvait décrire la catastrophe prévisible. Depuis, les Sommets de la Terre et les COP se sont multipliés… mais, le constat est sans appel : ce que font les États se situe à l’opposé de leurs déclarations officielles. Malgré le tapage sur l’Accord de Paris, l’État français est loin d’être vertueux.

Comment comprendre que les COP organisent l’inaction comme vient de le faire une fois de trop la COP 24 de Katowice, que les Sommets de la Terre ne purent  jamais faire ralentir le rythme de la déforestation ou celui de l’effondrement de la biodiversité ? Les gouvernements sont-ils seulement coupables « d’inaction climatique »,  ou sont-ils condamnables pour pire que cela ?

Ce livre tranche ces questions comme un nœud gordien : il n’y a jamais eu de réelle volonté des États de prendre en compte ces questions, mais seulement des mises en scène et promesses officielles sans lendemain.

Aujourd’hui, au seuil du précipice climatique, il faut nous intéresser aux causes politiques.

Pour mieux orienter les actions encore possibles, cet essai, avec son éclairage historique du capitalisme fossile, explique à la fois la logique du désastre annoncé, la farce des COP, et aussi pourquoi les milieux d’affaires investissent dans la géo-ingénierie du climat.

L’auteur : Jean-Marc Sérékian est médecin à Tours. Il a commencé à s’intéresser aux questions d’énergie alors qu’il été administrateur à la LPO Touraine. Aujourd’hui il est rédacteur pour le site Carfree (la vie sans voiture) sur les questions d’énergie et de biodiversité. Il est l’auteur de : La Course aux Energies, Ed Libertaire, 2009 ; Pourquoi Fukushima après Hiroshima ? Ed. Le Sang de la Terre, 2012 ; Gaz de schiste le Choix du pire, Ed. Sang de la Terre, 2015

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Extraits

Les GPII survivent à l’Accord de Paris

Après ce tour du monde candide des bonnes dispositions de la communauté internationale, un retour dans l’Hexagone s’impose pour juger au quotidien de la concrétisation des bonnes intentions de l’Accord de Paris. Mais là encore, grosse déception, on reste bien loin du « meilleur des mondes possible ». Comme partout dans le monde, les grands chantiers plombent le bilan carbone de l’Hexagone. La routine affligeante des affaires va bon train. Aujourd’hui encore, les partenariats public-privés s’activent autour de marchés publics de plus en plus ruineux, creusent des dettes abyssales et larguent leurs mégatonnes de carbone dans l’atmosphère. Les spéculations foncières et immobilières dessinent et défigurent toujours plus les paysages urbains et périurbains à la capitale comme dans les métropoles régionales. Bref, la routine du DD (désastre durable) de l’aménagement du territoire éternise les écocides au profit des Géants du BTP. Pendant les négociations, en France comme ailleurs,  les bulldozers sont à l’œuvre, brassent des milliards de tonnes de terre et défoncent les forêts… Que dire face à autant d’inconséquences environnementales ?

Rappelons encore une fois l’évidence : plutôt que de lever le nez  au ciel pour quantifier les nuées menaçantes et se projeter dans le futur pour prédire le pire, c’est vers la terre ferme qu’il faut porter un regard lucide pour désamorcer les bombes climatiques des grands chantiers inutiles. Car en définitive la question fondamentale reste la même : quelle place laissons-nous aux espaces naturels et à la biodiversité ?

Après ledit « Accord de Paris » de 2015, en juin 2017, l’élection présidentielle n’a pas reproduit une alternance mais a intronisé un Président « antisystème » pour mettre « La République en Marche ». La presse célébra le divin enfant. En ascension perpétuelle, porté par les médias vers les sommets et la haute atmosphère, le premier de cordée se faisait acclamer en vedette au « One Planet Summit » de Paris. Mais, loin des paillettes, des selfies au sommet, ici-bas dans les vallées et les plaines, le BTP prospère, les éléphants blancs prolifèrent comme avant  et défigurent toujours plus  le territoire.

Au moment de la COP 23 en novembre 2017, l’Etat-providence du BTP conservait encore dans ses cartons la plupart de ses projets anachroniques, tel l’aéroport  à Notre-Dame-des- Landes. Tous ruineux et calamiteux pour le climat, les paysages et la biodiversité, ils sont regroupés et dénoncés depuis 20 ans sous le vocable de Grand Projet Inutile Imposé (GPII). Parmi eux on peut citer : le méga-centre commercial Europa City  dans le Triangle de Gonesse, le Grand Contournement Ouest de Strasbourg (GCO), l’autoroute A45 Saint-Etienne-Lyon de doublement de l’A47 Saint-Etienne-Lyon, la future « nouvelle route littorale » à l’Ile de la Réunion, les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne, la poubelle nucléaire à Bure…  L’Accord de Paris n’en avait gommé aucun de l’agenda. Il est ainsi resté lettre morte dans l’Hexagone. A la vingtaine de chantiers pharaoniques déjà répertoriés dans « Le Petit Livre noir des Grands Projets inutiles » sont venues s’ajouter de nouvelles bombes climatiques : « les JO de 2024 » et la relance du Gand Paris.

Outre-Atlantique, la République en Marche héritait de la ruée vers l’or de Guyane et le validait. Décidément, le « premier de cordée » doué pour monter aux tribunes s’est vite révélé incapable de déminer le territoire des bombes climatiques. Eu égard aux poids lourds politiques du BTP en France, l’urgence est évidente. Avec le chantier perpétuel en France brandi comme vecteur de croissance, il faut craindre que la marée montante permanente du béton ensevelisse le territoire bien avant celle  du réchauffement climatique.

Pour l’or en Guyane, la France sombre dans une monstruosité monumentale. D’abord, par son ordre de grandeur : le projet s’aligne sur le modèle chinois d’extraction des « terres rares ». Ensuite, le ratio d’extraction laisse songeur : récupérer 0,6 gramme de métal jaune par tonne de roche pulvérisée… On connaît la fuite massive du fric des élites vers les paradis fiscaux, mais, de là à gratter la terre pour si peu, on peut se poser la question : la France est-elle à ce point dans la dèche ? Avec un cratère de 400 mètres de profondeur en pleine forêt vierge amazonienne française, inutile de faire le bilan carbone de l’exploit. Dans tous les cas, face à ce crime d’écocide en France, le PCC en Chine, n’aura plus de leçon à  recevoir de personne, ni de démocratie ni de responsabilité environnementale ; il peut même s’estimer vertueux dans toutes ses pratiques extractives domestiques. Inutile de préciser qu’une bonne part de l’or qui sera extrait contre la volonté des Guyanais, finira tôt ou tard dans un paradis fiscal ; et il y en a pas mal en Mer des Caraïbes… Le combat fait rage pour épargner à la Guyane ce crime d’écocide…

En perpétuant son parc d’« éléphants blancs », offerts au BTP, La France En Marche ou pas donne la caricature grotesque de ce qu’il faut au plus vite cesser de faire. Par leur logique contre-nature, ces chantiers sont doublement climaticides. Eu égard aux origines de l’effet de serre et de sa régulation, les GPII détruisent ce qu’il faut préserver : la biodiversité végétale – puits de carbone- pour ériger à la place des structures artificielles énergivores, hautement émettrices de gaz à effet de serre…

Après l’ascension surprise d’un jeune premier en mai 2017, qu’aurions-nous pu espérer de son gouvernement « antisystème » en novembre à la COP 23 de Bonn ? Jouons une nouvelle fois les Candide puisque la communauté internationale semble se pencher au chevet du climat. Que pouvions-nous suggérer pour lui venir en aide ? La France aurait pu une nouvelle fois créer la surprise et éviter in extremis la triste fin de la COP 23. L’avenir du fameux « Accord de Paris » était en jeu. Au nom de la France, le chef de l’Etat aurait pu annoncer l’abandon définitif de tous les GPII. Des experts scientifiques auraient pu faire le calcul des émissions évitées et l’annonce des chiffres énormes à la COP 23 aurait fait grande impression. Enorme, en effet, car il s’agit des quantités cumulées du CO2 non émis par l’abandon des projets et du CO2 potentiellement capté par les puits carbones naturels épargnés -non détruit par le BTP-, sans parler de la biodiversité conservée. Par le sacrifice historique des « éléphants blancs » devant la communauté internationale, la France reprenait le leadership et sauvait l’Accord de Paris. Enorme déception, rien de tout cela ne s’est passé. L’Année 2017 passa avec en France des émissions de GES toujours en hausse et, pour le monde, le 1°C de température en sus de l’ère près-industrielle était franchi.

Il fallut attendre 2018 pour qu’enfin le gouvernement renonce à certains projets : en janvier l’abandon de l’aéroport de Notre Dame des Landes était acté et en octobre l’aberrante autoroute A 45 était abandonnée… Mais l’élan s’est brisé et il n’est même pas sûr que le gouvernement se soit aperçu de l’utilité climatique quant à l’urgence de l’abandon de ces projets aussi anachroniques que désastreux. Par contre, La République En Marche pour Vinci a jugé plus urgent de prolonger de 8 ans le décret déclarant « d’utilité publique » la bombe climatique du GCO de Strasbourg.  A la veille de la COP 24, le climatologue et glaciologue français, Jean Jouzel, ex-vice-président du groupe scientifique du GIEC, faisait l’effort de quitter le ciel des yeux pour porter son regard vers la Terre et voir « le monde comme il va » mal en France. Et, face à la prolifération des GPII, il sortait de sa réserve  savante et affirmait comme un zadiste : « il faut se battre contre tous les grands projets absurdes et les excès du transport routier. »

Après ce tour d’horizon des monstruosités climaticides qui ravagent les paysages de France, pour juger la concrétisation nationale de « l’Accord de Paris », revenons à nos moutons puisqu’une brebis galeuse mène le troupeau.

 

Quand cessera donc la farce des COP ?

Et ça continue… Pendant que les COP moulinent en palabres interminables sur le dérèglement climatique, que font les géologues ? Ils forent ! Avec la conscience tranquille d’ingénieurs chercheurs formés dans les grandes écoles, ils explorent les abysses pour conjurer par tous les moyens la pénurie de pétrole. La nuit, assoupis du sommeil du juste, ils rêvent encore d’Arabie Saoudite. Pendant que les COP peinent à rassembler quelques malheureux kopecks pour « sauver le climat », que font les compagnies pétrolières ? Elles brassent des milliards pour extraire les hydrocarbures non-conventionnels. Les projets les plus fous finissent par se réaliser partout dans le monde. Si les mises de fond sont énormes, les majors pétroliers s’associent. Ainsi, le gisement de Kashagan en mer Caspienne au Kazakhstan finit par cracher son pétrole en novembre 2016, plus de 20 ans après sa découverte. Malgré toutes les difficultés techniques, les incertitudes environnementales et risques sanitaires liés au sulfure d’hydrogène, le projet a fini par se faire. La poche d’hydrocarbure se situe à plus de 5000 mètres sous le fond de la mer. Plusieurs dizaines de milliards de dollars furent injectés dans ce projet qui a mobilisé sept compagnies pétrolières : Eni (Italie) ExxonMobil (Etats-Unis) Shell Pays-Bas et Royaume-Uni, Inpex (Japon) CNPC (Chine) KazMunaiGaz (Kazakhstan)  et bien sûr Total, notre fleuron national. Bel exemple de solidarité internationale dans le crime climatique et quel contraste dans l’efficacité par rapport au moulin à prières des COP de la « communauté internationale » !

Pendant que les COP s’enlisent dans une routine déprimante, que font les banques ? Elles investissent massivement dans les sables bitumineux de l’Alberta au Canada. Bel exemple d’internationalisme dans le crime d’écocide. L’esprit du capitalisme s’exprime avec la même diligence en lisière du précipice climatique…

Et enfin, pendant que les Etats, parties des COP, palabrent que font réellement les Etats souverains sur leur territoire ? Incorrigibles, ils déroulent le tapis rouge devant les compagnies pétrolières, signent des permis de forer. Débordant de déférence et d’imagination, ils font des ponts d’or fiscaux pour leur assurer tout le confort économique désiré.

Inutile de noircir le tableau déjà noir et pitoyable de la situation internationale. Sur le modèle étasunien et sous la houlette des compagnies pétrolières, le monde pétrifié s’enlise dans le pétrole.

Fort de leur leadership incontesté, les Etats-Unis conservent leurs coudées franches. Ainsi, sans réelle surprise, le 1er juin 2017, Washington pouvait annoncer officiellement son retrait de « l’Accord de Paris ». A en juger par les commentaires dans la presse, la nouvelle, même prévisible, avait fait l’effet d’une bombe. Dans les chancelleries l’émotion était à son comble et beaucoup d’Etats, Chine en tête et pays européens, ne se sont pas privé de condamner par voie de presse le je-m’en-foutisme exhibitionniste des Etats-Unis.

Puisque ce grand pays, première puissance pétrolière militaro-industrielle et plus grand pollueur du monde depuis un siècle, piétine avec délectation le fameux Accord de Paris, la question à l’ordre du jour qui se posait avec acuité, pour être à la hauteur de cet affront, était : quand les pays d’Europe, qui se disent libres, décideront-ils de se retirer du pacte anachronique, belliciste et climaticide de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ?

Car ne nous y trompons pas, à Washington, ce n’est pas la Maison Blanche qui a décidé d’ignorer l’Accord de Paris mais bien le Pentagone. Dans l’ombre de l’énergumène médiatique de service, Trump, il faut voir l’omniprésence de l’Etat profond dans ses basses œuvres. Aujourd’hui plus que jamais depuis l’après-guerre, la communauté internationale (des Etats) est sous la coupe climaticide de l’union sacrée des compagnies pétrolières et du complexe militaro-industriel étasunien.

Rien ne s’est passé de sérieux à la COP 23 ; pas de sécession à l’OTAN. La communauté internationale se fiche du climat et comble de l’absurde, au tournant du siècle, les « nations civilisatrices » d’Europe occidentale se sont mises à avoir peur des fantômes pour continuer à bourrer d’Intelligence Artificielle les têtes nucléaires  et rester à la botte du Pentagone.

Comme l’unité foncière de ladite communauté internationale persiste sous l’emprise des Etats-Unis, on en est réduit aujourd’hui à une interrogation désabusée pour au moins affirmer notre lucidité face à l’imposture : quand cessera donc la farce des COP ?