L’agribashing, une fable !

Elle  freine l’indispensable évolution de l’agriculture

L’agribashing n’existe pas, défend l’auteur de cette tribune. Ce ne sont pas les agriculteurs mais le système agricole qui est critiqué. Et vouloir interdire une telle critique est dangereux, nous explique-t-il.

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 « Agribashing ». C’est le terme à la mode depuis plusieurs mois dans le monde agricole français. Cet anglicisme, qu’on pourrait traduire par « dénigrement » ou « lynchage médiatique » dont serait victime l’agriculture, est sur les lèvres de tous les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA, majoritaire), sa présidente, Christiane Lambert, en tête.

Générations futures publie une carte de vente des pesticides en France fondée sur des chiffres officiels ? Agribashing ! Les émissions Envoyé spécial ou Cash Investigation diffusent des programmes montrant les conséquences des pesticides ou sur le glyphosate ? Agribashing encore ! Le quotidien Le Monde révèle le dessous du scandale des « Monsanto Papers » ? Agribashing toujours ! Les riverains des zones cultivées demandent à être protégés des pulvérisations de pesticides ? Agribashing plus que jamais !

La FNSEA met maintenant tellement en avant ce supposé agribashing qu’elle en a même fait un de ses principaux motifs de récrimination lors de ses dernières manifestations. Et il ne s’agit pas d’une simple plainte pour la forme : en demandant « l’arrêt de l’agribashing », le but n’est pas seulement de faire capoter quelques réformes contraignantes mais aussi de restreindre la liberté d’expression des personnes ou organisations critiquant le système agricole actuel. Le syndicat aimerait qu’on restreigne la possibilité de publier des documents fondés sur des données publiques, comme l’a fait Générations futures récemment. Le président de la FDSEA de l’Aude n’a ainsi pas hésité à demander « l’élaboration de règles d’utilisation des données publiques agricoles », dont on se doute qu’elles ne favoriseraient pas une meilleure transparence.

Il est légitime de mettre ces sujets dans le débat public

Par ailleurs, la pression est également mise sur les journalistes. Un théoricien de l’agribashing a ainsi produit un rapport sur ce thème pour une branche régionale de la FNSEA dans lequel il a été jusqu’à compter le nombre d’occurrences des termes liés aux pesticides et ceux liés au cancer dans les articles du journaliste du Monde Stéphane Foucart, lui reprochant de s’acharner sur les pesticides et de vouloir faire passer de façon subliminale le message « pesticides égale cancer » !

L’équipe d’Envoyé spécial, d’Élise Lucet, a également subi des attaques sans précédent après la diffusion d’un sujet sur le glyphosate en janvier dernier. Les plaintes de la FNSEA ont apparemment été bien entendues par le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, qui déclarait quelques jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture : « Ma priorité est de faire remonter le revenu des agriculteurs et lutter contre l’agribashing. » Depuis, il a même annoncé vouloir créer un « observatoire de l’agribashing ». Même le président Macron a cru devoir apporter son soutien face au « sentiment d’agribashing » des agriculteurs lors du dernier Salon de l’agriculture là encore.

Mais, de quoi s’agit-il vraiment ? Il faut d’abord éviter la confusion entre l’agribashing mis en avant par la FNSEA et les quelques agressions dont ont été victimes récemment des agriculteurs. Il s’agit là de délits que nous condamnons fermement et qui sont punis par la loi. L’agribashing mis en avant par la FNSEA vise particulièrement les critiques nombreuses faites sur les pollutions de l’environnement et de l’alimentation par les pesticides et les conditions d’élevage, qui ont suscité des interrogations et des exigences croissantes de la société ces dernières années.

Sur la question des pesticides, les critiques ont été légitimées sur le fond par la reconnaissance de la réalité scientifique de la dangerosité des pesticides (selon une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm] de 2013). L’usage excessif de pesticides a même été officiellement reconnu par l’État et un plan de réduction de leur usage a été adopté il y a plus de dix ans (malheureusement, faute de volonté politique il n’a produit qu’une augmentation de l’usage des pesticides).

Il est donc tout à fait légitime de mettre ces sujets dans le débat public, qu’on soit une ONG ou un média. Cela ne constitue en aucun cas une volonté d’agresser l’agriculture mais l’expression d’une exigence croissante sur les questions sanitaires et environnementales. D’ailleurs, la journaliste de L’Opinion Emmanuelle Ducros, peu suspecte d’agribashing car se considérant elle-même comme un « relais de parole du monde agricole », le reconnaît : « L’agribashing n’existe pas », a-t-elle déclaré lors d’un récent débat à la Maison de la chimie, à Paris. Et d’indiquer qu’il s’agit plus d’un problème de ressenti des agriculteurs face aux critiques dont le système agricole fait l’objet.

Cette stratégie de disqualification de toute critique du système agroalimentaire 

Mais cette campagne outrancière de la FNSEA sur un agribashing fantasmé pourrait menacer la liberté d’expression et d’information si le pouvoir politique ne réagissait pas en remettant les choses à leur juste proportion ou si les organes de presse se laissaient intimider. Nous attendons des responsables politiques et des médias qu’ils réaffirment le principe d’une totale liberté d’expression dans ce domaine.

Mais aussi, et peut-être surtout, la poursuite de cette stratégie de disqualification de toute critique du système agroalimentaire, au motif qu’elle constituerait un insupportable agribashing, constituerait une grave menace pour les agriculteurs eux-mêmes. En effet, comment penser que le monde agricole saurait faire évoluer sa vision et prendre un virage vers une indispensable agroécologie si toute critique un peu sévère des pratiques actuelles devenait taboue au motif d’agribashing ? La stratégie qui consiste à crier à l’agribashing n’aurait qu’un effet : accroître encore le divorce entre le système agricole actuel et la société qui aime l’agriculture mais lui demande de changer. À l’opposé de cette vision, une critique factuelle des modes de production agricoles — fut-elle parfois sévère — est indispensable à l’émergence d’un nouveau contrat entre la société et le monde agricole, afin d’élaborer un nouveau modèle intégrant les préoccupations sociales, économiques, sanitaires et écologiques pour le bien-être de tous.

François Veillerette est directeur de l’association Générations futures.

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