28 000 manifestant·es blessé·es ?

L’autre bilan du quinquennat Macron

L’Observatoire national des street-medics et secouristes volontaires a fait paraître ce jour un rapport d’enquête sur les victimes de violences prises en charge par les secours « inofficiels » durant les manifestations Gilets jaunes et Retraites, entre fin 2018 et début 2020. Ce rapport s’appuie sur le recensement, au fil de ces événements, effectué par la coordination de 87 groupes de street-medics partout en France. Il produit une estimation statistique établissant à près de 30 000 le nombre de personnes blessées par le maintien de l’ordre durant cette période. Une estimation dont la base scientifique est transmise et expliquée par le rapport.

La force de ce dernier est en effet de mettre en lumière les biais du chiffrage produit par le ministère de l’Intérieur. Si ce dernier recense 2495 victimes pour le seul mouvement des Gilets jaunes, il ne s’appuie que sur les chiffres des personnes blessées ayant pu être prises en charge par les sapeurs-pompiers lors des manifestations. Or, comme on a pu le constater lorsqu’on a fréquenté ces terrains, la plupart des personnes blessées en manifestation ne sont pas prises en charge par les secours, et ce pour plusieurs raisons : elles peuvent considérer leur traumatisme insuffisant à une prise en charge ou se contenter de celle, plus rapide, effectuée par les street-médics ; elles peuvent aussi avoir été empêchées d’atteindre les secours par les forces de l’ordre, ou ces derniers eux-mêmes avoir été empêchés d’accéder aux lieux. De manière générale, les secours officiels interviennent sur des cas de blessures graves, ou sur des personnes inanimées.

Le rapport met aussi en évidence une typologie des traumatismes causés par ces violences. Il montre d’abord que « 92,9% de ces blessures ont été causées par les armes, manoeuvres et actions des forces de l’ordre« , contre seulement 6% attribués à des causes externes ou au comportement des manifestant·es. « Deux tiers des atteintes (66,7%) sont des blessures traumatiques, principalement aux membres et à la tête, provoqués par des frappes de tonfa et de matraque, des lanceurs (LBD et flashball) et grenades cinétiques. » Le tiers restant correspond à des troubles non-traumatiques, principalement liés l’exposition aux gaz lacrymogènes. « Il est relevé par ailleurs, alors que la frappe de la tête est normalement proscrite, un nombre élevé de blessures traumatiques à la tête, plus d’une blessure sur six (18,1%). » Pour l’Observatoire, « il s’agit d’un taux particulièrement inquiétant au vu des risques pour la santé et la sévérité des blessures associées à cette zone. »

Dans l’ensemble, les street-medics relèvent que près de 10% seulement des victimes recensées ont nécessité une prise en charge professionnelle ou médicale d’urgence, et s’appuient notamment sur ce chiffre pour produire leur nouvelle estimation statistique. « Ces résultats, qui interrogent quant au respect des principes de proportionnalité et de nécessité constituant la base légale de l’usage de la force, soulèvent l’enjeu des risques et sur-risques élevés causés par les stratégies de maintien de l’ordre à la sécurité des manifestants, tant par leur violence directe que leur entrave de l’accès aux soins, et appellent à une profonde prise de conscience de ses conséquences sur l’exercice des droits des manifestants et à l’essentiel contrôle démocratique que doit exercer la société civile sur l’emploi de la force publique réalisée en son nom. »

Le rapport revient aussi longuement sur une étude plus générale des armements utilisés par les forces de l’ordre, et sur les effets des gaz lacrymogène sur la population exposée. On y apprend ainsi que, selon une méta-analyse produite en 2017, l’immense majorité (71%) des personnes blessé·es par des tirs d’armes cinétiques ou de grenades de désencerclement en contexte de maintien de l’ordre, l’ont été gravement, avec un taux effrayant (15%) de personnes en conservant un handicap (dont la moitié ayant été énucléées).

En France, lors du mouvement des Gilets jaunes, 30 personnes ont été éborgnées, 5 personnes ont eu la main arrachée, et une personne, Zineb Redouane, est décédée après avoir été heurtée par une grenade lacrymogène à Marseille. Pour le cas de ces armes irritantes, qui peuvent aussi éborgner lorsqu’elles sont notamment tirées tendues sur une cible, le rapport compile la littérature scientifique autour des effets indésirables : « ces agents sont généralement présentés par les fabricants et autorités comme des moyens sans danger de neutralisation ou de dispersion de la foule aux effets limités tels que larmoiement, désorientation et douleurs transitoires. Cependant, les principales méta-analyses et synthèses épistémologiques disponibles dans la littérature sont beaucoup plus critiques sur les effets potentiels sur la santé de ces agents chimiques. Elles montrent que, au delà des effets immédiats et transitoires reconnus, les agents CS et OC peuvent occasionner des blessures modérées et sévères chez près d’un quart des personnes exposées. » Pour l’Observatoire des street-médics, plus de 310 000 personnes ont été affectées par les gaz lacrymogènes.

« Les effets observés comprennent un large éventail de symptômes tant sur l’organisme, pouvant être aigus, persistants ou chroniques. Parmi les effets les plus sévères, il est rapporté au contact de l’œil une action irritante pouvant provoquer inflammations, érosions et diverses blessures et maladies dégénératives ; au contact de la peau en grande quantité, des brûlures cutanées, cloques, réactions allergiques et autres maladies de peau ; à l’inhalation, des toux, suffocations, oppressions thoraciques, mais aussi plus rarement œdème pulmonaire, apnée et arrêt respiratoire, ainsi que des difficultés respiratoires pouvant persister plusieurs semaines après
l’exposition et un risque accru de développer des infections et maladies respiratoires chroniques ; à l’ingestion, une irritation du tractus gastro-intestinal pouvant provoquer nausées, vomissements, diarrhées et hématémèse ; et plus généralement une action sur les neurones sensoriels périphériques associée à des effets chroniques variés.« 

Dans le premier numéro de notre revue Replica, nous avons longuement interrogé six blessé·es, mutilé·es ou traumatisé·es à vie par leur expérience du maintien de l’ordre.

L’intégralité du rapport et ses nombreux détails, est accessible en cliquant sur le lien suivant :

https://obs-medics.org/wp-content/uploads/2022/04/Enquete-sur-les-Victimes-de-Violences-Policieres

https://www.lamule.media