Quelle semaine !
Lundi 9 décembre, alors que vous étiez invité à commenter, sur C8, l’entrée de la youtubeuse Léna Situations au musée Grévin, il est vrai que l’on attendait avec impatience votre avis sur la question, vous avez estimé utile de déclarer que « maintenant, on peut n’avoir rien fait de sa vie et entrer au musée Grévin », il faut dire que vous vous y connaissez en la matière, avant d’ajouter, très finement comme à votre habitude, que « la statue l’a bien arrangée également physiquement, ils sont vraiment très aimables », c’est élégant. En deux phrases, vous avez donc réussi, à la fois, à afficher votre mépris pour les activités d’une jeune femme à propos de laquelle vous ne connaissez à peu près — si ce n’est absolument — rien, et à porter un jugement dépréciatif sur son physique, le tout, notons-le au passage, du haut de vos 63 ans alors qu’elle vient de fêter son 27e anniversaire, bravo.
En à peine une quinzaine de secondes, vous nous avez en réalité offert un condensé de ce que vous êtes devenu aujourd’hui, à savoir un éditorialiste-chroniqueur-bavardeur pour radios et chaînes d’info — sans oublier, bien évidemment, le JDD-Bolloré, pour votre plus grande fierté — qui donne son avis sur tout, et surtout son avis, alternant entre les lieux communs réactionnaires, les « analyses » réactionnaires et les provocations réactionnaires, le tout dans des journaux réactionnaires et dans des médias audiovisuels réactionnaires au côté de collègues réactionnaires, on voit qu’il y a une logique qui se dégage, c’est toujours ça de pris.
Et c’est ainsi que, depuis la rentrée, vous sévissez quotidiennement sur C8, au côté de la talentueuse Pascale de La Tour du Pin, ex de BFM-TV, « journaliste » sur Europe 1 et C8 et « joker de Cyril Hanouna pour TPMP », voilà ce qui s’appelle faire quelque chose de sa vie, et du toujours très subtil Yann Moix, que l’on ne présente plus ou, pour être plus précis, que l’on préfère ne plus présenter, dans une émission sobrement baptisée « Pascale, Éric, Yann et les autres », belle trouvaille, durant laquelle vous pérorez pendant 30 minutes autour d’une table ou, pour être plus rigoureux et citer la présentation officielle de l’émission, vous « revenez sur divers sujets d’actualité » au cours de « débats mouvementés », en voilà un concept télévisuel qu’il est original.
Chaque jour, vous nous éclairez donc de votre indispensable avis sur d’indispensables sujets, tels que : « Faut-il absolument être une star pour sortir avec une star ? », « Brigitte Macron apparaît dans la nouvelle saison de la série « Emily in Paris » : est-ce le rôle d’une Première Dame ? », « Les radars pourront sanctionner trois infractions de plus en 2025 : est-ce scandaleux ? », « Que pensez-vous du changement d’heure ? », « Un mariage annulé après de multiples infractions au code de la route au sein du cortège : comprenez-vous la décision du maire ? », « Une application réanime les photos de vos ancêtres décédés grâce à l’IA : est-ce que ça vous choque ? », ou encore « Comprenez-vous les stars qui se plaignent de leur situation financière ? », vaste question. Nous faisons le pari que nos lecteurs et lectrices, au vu de ce panorama, loin d’être exhaustif, ne pourront qu’adhérer à vos propos du 13 novembre dernier, lorsque vous déclariez, avec gravité, à Pascale de La Tour du Pin, ceci : « Quand vous avez eu l’amabilité de me recruter pour cette émission, vous m’avez dit qu’on était là pour réfléchir et pour penser ». On n’en doute pas.
Des sujets primordiaux, on le voit, qui vous permettent, évidemment, d’émettre des avis décisifs, et nous ne regrettons pas à ce titre, cher Éric Naulleau, de nous être infligé plusieurs heures de visionnage de « Pascale, Éric, Yann et les autres » (PEYA pour les intimes), qui nous ont permis d’apprendre, entre autres, que vous êtes « opposé au fait que les anneaux olympiques restent sur la Tour Eiffel », d’accord, que vous estimez qu’être un enfant de star est « incontestablement un avantage », merci, que si vous gagniez une grosse somme à des jeux d’argent vous ne diriez « rien à personne, à part à [vos] chats », et en plus vous êtes drôle, que vous êtes « inadapté à la campagne », c’est bien noté, que vous en avez « marre des blagues sur les belles-mères », indispensable disions-nous, que vous n’êtes « pas d’accord » avec la suppression des feux tricolores en France, entendu, mais aussi, plus sérieusement, que vous considérez que « le massacre de Charlie Hebdo est une preuve, hélas terrible et tragique, qu’on ne peut pas rire de tout », une opinion riche et singulière, ou encore que vous souhaiteriez « vivre jusqu’à 100 ans juste pour emmerder les gens qui ne [vous] aiment pas », on s’abstiendra ici de tout commentaire.
Évidemment, ces profondes pensées sont régulièrement agrémentées de saillies réactionnaires, par exemple :
– lorsque vous déclarez « [que l’]on place le délinquant au centre de nos préoccupations au lieu de placer la victime au centre de nos préoccupations », marre de l’angélisme de Bruno Retailleau ;
– lorsque vous dénoncez les « arrêts maladie de complaisance », c’est original, les personnels de santé qui ne « jouent pas le jeu » et empêchent « [d’]avoir un système de santé à la hauteur d’un grand pays comme la France », les infirmières sont des fainéantes, ou « la fraude dans les transports en commun, un fléau », soulignant que « souvent les fraudeurs ont aux pieds des chaussures à 150 balles et des vêtements de marque », ça sent l’investigation ;
– lorsque vous affirmez que « l’école est là pour apprendre aux enfants à lire, écrire et compter » et que « tant que cela ne sera pas acquis, le reste sera secondaire et peut attendre, la sexualité, l’initiation à l’écologie, le monde merveilleux des drags queens, etc. », on ne voit toujours pas le rapport ;
– ou lorsque vous vous insurgez contre « une police de la pensée qui s’introduit partout, dans les librairies, sur les plateaux de télévision, surtout dans votre lit, c’est là où ils prennent le plus de place », on espère que vous arrivez quand même à vous endormir le soir.
Tout à votre aise dans les médias bolloréens et, c’est le moins que l’on puisse dire, ne perturbant pas le climat ambiant qui règne sur les nombreux plateaux auxquels vous participez régulièrement, d’Europe 1 à CNews en passant par le Hanouna Show, vous continuez toutefois de proclamer à qui veut — encore — l’entendre que vous êtes « un homme de gauche », défense de rire, dans la lignée de cette interview au Figaro où vous affirmiez le plus sérieusement du monde : « J’ai toujours été et je serai toujours de gauche, mais je ne me reconnais en effet dans aucune des nuances de rouge actuellement disponibles sur le marché politique », la dure loi du marché. Il est vrai que votre vision de la « gauche » est singulière, puisque vous défendez l’inéluctabilité du recul de l’âge de départ à la retraite, qualifiez d’« indigne » une grève de la SNCF et expliquez que la CGT a « adopté la logique insurrectionnelle », quand même, et que votre unique cible semble être la gauche elle-même, comme dans la Gauche réfractaire, ouvrage écrit à quatre mains avec le gauchiste Michel Onfray, où l’on apprend notamment que vous ne pensez pas que « la gauche ait pour fonction de diluer la Nation dans une Europe libérale travaillant à l’Empire, ni que le wokisme, la cancel culture, l’islamo-gauchisme, la location d’utérus et la vente d’enfants constituent l’horizon indépassable de la gauche contemporaine », attention à ne pas vous blesser avec les ailes des moulins à vent.
Votre « gauche » apprécie en outre tout particulièrement, qui s’en étonnera, de proposer des contributions ou de donner des interviews à l’ensemble des médias les plus réactionnaires, voire franchement d’extrême droite, du FigaroVox (« L’alliance électorale entre écologistes et islamistes repose sur une volonté commune de détruire la République et la civilisation judéo-chrétienne ») à Valeurs actuelles (« Du jour au lendemain, Jean-Luc Mélenchon est passé d’un discours républicain et laïc à un discours prônant le voile islamique ») en passant par l’Incorrect (« Entre le wokisme et la littérature, un seul survivra parce qu’ils sont incompatibles »), la revue Éléments (« Le principal danger n’est plus l’extrême droite, mais bien l’extrême gauche, France insoumise en tête ») ou encore Frontières-Livre noir (« LFI est devenue un parti de l’étranger »), belle performance. Une « gauche » qui aime aussi donner des conférences à l’université d’été de Reconquête, la formation de votre ami pour la vie Éric Zemmour, au « Printemps de la liberté d’expression » organisé par Louis Aliot, maire RN de Perpignan, ou à l’invitation de sections locales de Reconquête, décidément, voire de l’Action française, carrément, attention de ne pas être trop à gauche quand même.
Une « gauche » qui, enfin, et sans surprise, reprend à son compte, en réussissant même, parfois, l’exploit de faire encore pire, toutes les outrances de l’extrême droite, comme lorsque vous énoncez « qu’à partir d’un certain niveau d’immigration, le changement quantitatif induit un changement qualitatif : échec de l’intégration, formation de ghettos ethniques, montée du séparatisme, insécurité culturelle », lorsque vous proclamez que « le nouveau stalinisme s’appelle le wokisme », lorsque vous déclarez que « Michel Barnier est un européiste, donc un immigrationniste », lorsque vous répétez à l’envi que « LFI n’a plus qu’une seule stratégie, c’est de draguer un électorat islamiste », lorsque vous affirmez que « l’espace médiatique est sous emprise de La France insoumise », lorsque vous prétendez « qu’Aya Nakamura, c’est le plus merdique de la musique, c’est-à-dire la musique mondialisée [et] la maltraitance du français », lorsque vous assurez que « Rima Hassan milite pour la disparition d’Israël et soutient les terroristes du Hamas » ou lorsque vous défendez « la France éternelle » contre « l’extrême gauche [qui] n’a d’autre projet que la destruction, d’autre idéal que le ravage », ça fait froid dans le dos.
Cher Éric Naulleau, tout cela n’a rien à voir avec la gauche, vous n’avez rien à voir avec la gauche, et il suffit d’ailleurs de regarder dans un rétroviseur pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’une dérive soudaine de votre part, mais bien d’un long processus qui vous a vu, entre autres, coanimer, durant 10 ans (2011-2021), avec le néofasciste Éric Zemmour, après avoir été son complice pendant quatre ans dans « On n’est pas couché » sur France 2 (2007-2011), une émission sur Paris Première où vous avez accompagné avec bienveillance les envolées ultra-réactionnaires et racistes de votre « ami », mais aussi, et surtout, serait-on tenté de dire, co-écrire, en 2013, un livre avec l’antisémite Alain Soral, Dialogues désaccordés, à propos duquel l’éditeur écrivait que « de cette confrontation est née une réflexion passionnante et musclée sur les mutations sociétales que nous vivons », ça fait rêver, et au sujet duquel la justice a tranché en ordonnant, en 2016, le retrait de la vente de l’ouvrage en raison, notamment, d’un passage amalgamant homosexualité et pédocriminalité, félicitations.
Un livre par lequel vous avez légitimé et donné du crédit à un homme de l’extrême droite la plus rance, le tout en reprenant à votre compte plusieurs des immondices soraliennes, comme lorsque vous évoquez le « Shoah-business », c’est astucieux, ou lorsque vous écrivez, attention ça pique les yeux : « Tu n’as pas tort au sujet de l’évolution du discours sur les camps — encore qu’il serait sans doute plus juste de parler de la perception des camps. Les victimes sont peu à peu devenues les héros des temps modernes — quand il fallait autrefois accomplir un exploit, il suffit à présent de subir un préjudice pour obtenir son quart d’heure de gloire, et dans la mesure où le déporté juif apparaît désormais comme la victime entre toutes, la Seconde Guerre mondiale finit parfois par se résumer à la Solution finale. »
Note aux lecteurs et lectrices : les phrases qui précèdent sont bien signées Naulleau, pas Soral.
Pour le dire simplement, et pour s’épargner d’autres abjections du même ordre, vos accointances personnelles et idéologiques avec l’extrême droite ne sont pas nouvelles, loin de là, et vos gesticulations visant à vous en défendre et à faire croire que vous êtes « de gauche » n’en sont que plus vaines, lamentables et pathétiques. En témoigne le désormais fameux épisode de votre présence au premier rang du meeting d’Éric Zemmour à Villepinte durant la dernière campagne présidentielle, à propos de laquelle vous avez piteusement expliqué, sur le plateau de « Touche pas à mon poste », le monde est petit, ce qui suit : « C’était un événement politique très important, on connaît enfin le programme d’Éric Zemmour ! C’est un des principaux prétendants à la présidentielle donc j’avais toutes les raisons d’être là. […] Je suis venu en tant qu’ami et chroniqueur politique. » Une bien belle conscience professionnelle, on en viendrait presque à regretter que, trois ans plus tard, alors que, de toute évidence, vous avez écouté avec attention le meeting et que vous en avez assimilé les principales lignes directrices, vous n’ayez pas publié la moindre ligne au sujet de l’événement, ni dans le JDD-Bolloré ni dans le très distingué Playboy, magazine que vous avez rejoint depuis qu’il a ouvert grand ses portes aux réactionnaires, les faits sont décidément têtus.
Vous avez, en définitive, l’extrême droite honteuse et, si vous n’étiez pas aussi malveillant, arrogant et imbu de vous-même, cela ferait peine à voir. Mais nous devons avouer qu’il est à peu près impossible d’éprouver la moindre empathie à votre égard tant vous jouez à la perfection votre rôle de petite frappe faisant sa part du sale boulot de l’extrême droite, à grand renfort de provocations vulgaires, de « petites phrases » brutales et de saillies méprisantes, le tout en administrant, de surcroît, des leçons de maintien à tout va, du haut de votre chaire de chroniqueur sur la TNT qui pense qu’avoir l’immense responsabilité de donner son avis sur « l’illumination des Champs-Élysées pour les fêtes », sur « les applications de smartphone qui vous rémunèrent pour vos pas » ou sur « les familles de stars qui règlent leurs comptes en public » autorise à juger de qui a fait, ou pas, quelque chose de sa vie.
Nous ne savons pas bien, cher Éric Naulleau, ce que vous estimez avoir réussi, en tout cas pas à animer votre propre émission sur C8 puisque votre talk show « De quoi j’me mêle » a été supprimé, faute d’audience, moins d’un an après son lancement, c’est ballot, et si vous avez en réalité réussi quoi que ce soit. Mais lorsque l’on voit qu’il vous suffit d’un « sondage » réalisé sur X (ex-Twitter) auprès du public de « Touche pas mon poste ! » qui vient, ô surprise, à l’appui de vos dernières outrances sexistes (1), pour vous réjouir de votre propre bêtise et affirmer que « le bon sens est beaucoup plus répandu qu’on ne le pense », on se dit que vos piètres critères d’autosatisfaction sont, finalement, à la mesure de l’ampleur de vos talents de journaliste, de la grandeur de vos convictions politiques et, au total, de l’étendue de votre médiocrité.
** **
Note
-
Outrances qui vous ont valu une cinglante réponse de l’intéressée
blast-info.fr