Fukushima, le 11 mars 2011

Menace nucléaire sur l’Europe, le rayonnement de la France, dix ans après Fukushima

Un livre de Jean-Marc Sérékian

 Chapitre 8.   Du Blocus continental à Hinkley Point 

 

                      

Atom’s tipping point before Hinkley point – Au-delà du montage financier – Grandeur et décadence des Empires – D’un blocus continental à l’autre – Crépuscule de la Génération Plutonium de l’Homme

Extraits

Atom’s tipping point before Hinkley point

Disons-le d’emblée, le point de basculement de l’atome est survenu très en amont du projet d’Hinkley Point et, signe de fin de règne, il a même précédé Fukushima. Les pics de construction de réacteurs et de production d’électricité nucléaire ont eu lieu tous deux au siècle passé. L’An 2000 peut être pris comme date symbolique du déclin atomique mondial. Pour les mises en construction, les chiffres de la dégringolade générale sont suffisamment éloquents : en 1979, année de la catastrophe de Three Mile Island, 230 réacteurs étaient en chantier, en 1986, année de Tchernobyl, on en comptait 120 en construction et au moment de Fukushima, en 2011, ils n’étaient plus que 64. Précisons encore que cette décroissance spectaculaire d’aspect exponentielle s’est faite malgré une volonté farouche des autorités nucléaires d’accroître sans limite physique territoriale le parc atomique. De la même façon, pour la production d’électricité, les grandes illusions des « atoms for peace » des origines et les promesses tonitruantes d’une énergie « abondante et pas chère » sont définitivement douchées à Hinkley Point C. Le Père Noël nucléaire aussi est une ordure et la fée atomique fanée une Old Witch.

Alors que doit-on penser des deux EPR prévus dans le sud-ouest de l’Angleterre ? Peut-on croire à une réelle relance du nucléaire en Europe ? Certainement pas ! Dans le contexte général d’atonie de l’atome depuis deux décennies, avec en toile de fond les interminables chantiers de Fukushima et des deux EPR en Finlande et à Flamanville toujours en construction depuis 15 ans avec leurs malfaçons, il est en effet difficile de miser plus d’un kopeck sur la réussite du nouveau projet en Angleterre.

Comment aborder  le problème pour le présenter dans sa particularité nouvelle ? Trois grandes puissances économiques membres du club atomique surmontent leurs diverses divergences idéologiques et décident d’associer leurs efforts pour tenter de construire deux réacteurs nucléaires en Angleterre. Ce trio historique insolite mérite qu’on s’y intéresse et, à défaut de pouvoir faire émerger les dessous de cette affaire jugée pour le moins aventureuse on peut se permettre quelques commentaires pour l’éclairer dans le contexte actuel de Bérézina atomique.

 Au-delà du montage financier

Analysant les aspects économiques et le montage financier du projet, Stéphane Lhomme de l’Observatoire du nucléaire est formel : « Les réacteurs EPR annoncés en Grande-Bretagne ne seront pas construits (1) ». Ils pourront tout au plus être mis en chantier en 2019 et dépasser les terrassements des bulldozers, mais d’ici à ce qu’ils divergent en 2025, l’expérience actuelle des deux EPR toujours en construction en Europe dix ans après les premières rotations de bétonnières permet d’en douter.

Dans le même registre d’analyse, le Réseau sortir du nucléaire est aussi alarmiste et déplore une « fuite en avant absurde et suicidaire pour EDF et la Grande-Bretagne (2) »

En 2020, au dernières nouvelles, le chantier a bien commencé, mais d’emblée le constructeur rectifia le tir balistique : il y aura du retard ! En toute objectivité, EDF reproduit les grossières erreurs d’Areva. Mais a-t-elle le choix ? Qui voudrait d’un EPR à 15 milliards d’euros constructible dans le meilleur des cas en plus de 15 ans ?

Vu de l’extérieur du microcosme atomiste, le projet est unanimement perçu à haut risque. Et sans surprise pour confirmer l’extrême pessimisme des opposants au nucléaire, la mauvaise affaire fut éclairée en interne par la démission soudaine du directeur financier d’EDF en mars 2016. Puis dans la foulée, sans grande surprise non plus l’agence de notation Moody’s menaçait de dégrader la note d’EDF. Ainsi les milieux d’affaires vinrent étayer les analyses alarmistes des milieux anti-nucléaires…

Cependant le montage financier qui effraie les économistes n’est qu’un des aspects du problème. En fait de démission du directeur financier, pour cette entreprise stratégique du complexe militaro-industriel français il serait plus juste de parler d’une sortie du rang sinon d’une haute trahison. Les propos de Monsieur Thomas Piquemal pour expliquer son acte symbolique « désespéré » sont on ne peut plus clairs. Il ne voulait pas « cautionner une décision susceptible, en cas de problème, d’amener EDF dans une situation proche de celle d’Areva ». Autant dire pour être précis : la faillite, puisqu’en interne et à cette époque, nul n’ignorait la « situation d’Areva (3) ». Ainsi sans le dire, le pire est envisagé pour EDF : la faillite, le démantèlement et la chute. Avec cette fatalité évoquée en haut lieu, Hinkley Point semble s’inscrire dans la tradition militaire française comme le dernier sursaut, les « Cent Jours »  voire le Waterloo de l’Atome tricolore.

Aussi important qu’ils soient, les paramètres financiers et économiques ne sont pas forcément les plus pertinents pour analyser cette industrie ou du moins ils restent insuffisants. Croire encore que l’on peut gagner honnêtement de l’argent en vendant de l’électricité nucléaire c’est se tromper lourdement ou vouloir tromper ses clients. L’affaire crapuleuse Areva-UraMin est là pour nous le rappeler quelles que soit les décisions des juges sur les protagonistes mis en examen ou entendus en tant que témoins assistés. Et, plus généralement, on sait, depuis le début de cette douteuse aventure technologique, que les victimes civiles  payent au moins deux fois la facture en tant que clients obligés et en tant que contribuables. Et, toujours contraints et forcés, ils payent les pots cassés et la multiplication des poubelles et décharges nucléaires. Sans compter les dégradations irrémédiables du territoire national et de la lourde facture du démantèlement  laissée aux généreuses générations futures…

Le caractère aberrant du projet y compris dans la grille de lecture économique des milieux d’affaires signale un problème  grave ou son aggravation avec une dérive vers la perte du principe de réalité. Mais au final elle ne fait que confirmer l’imposture initiale du nucléaire connue depuis ses débuts.

Fin Juillet 2016, c’était au tour de Gérard Magnin, membre du conseil d’administration, de quitter le navire pour des raisons plus politiques de dérive dans la transition énergétique…

Sa démission révélait ou confirmait une autre aberration symptomatique de l’hermétisme sectaire de la filière nucléaire française. Aussi éclairante qu’elle soit, la faillite d’Areva  restait un non-évènement et sans surprise elle fut considérée comme telle dans les hautes sphères de l’atome tricolore, somme toute une perte militaire acceptable. A la suite de la chute du fameux «  Numéro 1 mondial de l’atome », EDF se devait de reprendre le flambeau, de garder  aveuglément le cap, de creuser et de s’enfoncer sans état d’âme dans l’ornière du « tout nucléaire »… Le projet à haut risque de faillite des deux EPR à Hinkley Point s’inscrit bien dans une stratégie de type militaire : offensive à outrance,  fuite en avant ou maintien d’une position intenable… « La garde meurt mais ne se rend pas. »

Passées les péripéties du Brexit à haut retentissement médiatique, fin septembre 2016 était signé à Londres, sans grandes pompes il est vrai, le projet phare pressenti par les milieux nucléaires comme celui  de la « renaissance » atomique en Europe. Alea jacta est

Remarquons d’emblée, en maigre lot de consolation pour les habitants de l’Hexagone, que pour une fois ce n’est pas le territoire français qui écope du chantier pharaonique.

 Grandeur et décadence des Empires

Grande première en Grande Bretagne, pour la première fois dans l’histoire de l’industrie nucléaire, une grande puissance confie quasi-entièrement l’édification de son arsenal nucléaire à d’autres puissances. Et pour comble d’innovation, dans le bastion du néolibéralisme, le Parti-Etat chinois fait son entrée. Bienvenue au club pourrait-on dire. Mais le club est avant tout militaire et très ancien. Difficile, en effet, de comprendre ce trio si l’on n’a pas en mémoire la solidarité internationale préexistante des travailleurs du nucléaire. L’ancien Empire Britannique a offert en sacrifice son territoire aux ambitions nucléaires débordantes de la France et à celles montantes de la Chine.

Il faut dire pour planter le décor d’ensemble que pour l’expansion de l’atome tricolore, l’Hexagone est arrivé à saturation. Il croule sous sa friche nucléaire ses chantiers de déconstruction de surgénérateur et de construction de semi-Superphénix Astrid puis rajoute de grands projets nucléaires inutiles imposés avec sa poubelle nucléaire Cigéo, piétine sous son  « Soleil sur Terre » ITER. Mais l’offensive à outrance continue.

Où trouver des terrains à bâtir ? Où est-il encore possible d’infliger un autre projet de chantier ou de poubelle ? En Champagne.  En ce lieu en effet la densité de population humaine est inférieure à celle des sangliers selon le mot d’un opposant à Cigéo. En sachant qu’il y a 65 millions de consommateurs en France et seulement un million de sangliers dont la moitié sont tués tous les ans par les chasseurs, on mesure la pénurie de places disponibles sur le territoire face à l’amoncèlement astronomique des déchets radioactifs. En Europe, l’Hexagone est désormais perçu comme une menace avec ses centrales vieillissantes, la France nucléaire est confinée sous une sorte de blocus continental, condamnée à terme à fermer ses centrales frontalières… Ainsi en s’exilant sur une île, comme au Japon, EDF trouve une planche de salut, mais cette fuite outre-Manche évoque aussi l’Ile de Sainte-Hélène ou la fin d’empire.

A posteriori, dans le contexte d’une France ostracisée, on peut voir le Brexit comme providentiel pour EDF qui a de longue date investi en Angleterre. Tombé à point nommé, il devient le précieux sésame du projet. En éloignant la Grande Bretagne de l’Europe il offre le champ libre à l’atome honni sur le continent. Ainsi la sentence attendue défavorable de la Cour de justice européenne saisie par l’Autriche hostile au projet risque de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau du Channel. Pour le noyau dur d’EDF, qui y croit encore, cette zone de « non droit » communautaire outre-Manche constitue sa planche de salut. Une sorte nouvelle de Lebensraum, un espace vital d’expansion de survie s’ouvre à l’atome tricolore car sa situation s’assombrit dans l’Hexagone. En automne 2016, moment de la signature du projet, six réacteurs étaient à l’arrêt, mis en examen pour une durée indéterminée. Sur les 58, censés être en parfait état de marche selon les indulgences de l’ASN, cela représentait 10% de l’effectif. Depuis quelques années, les menaces de blackout nucléaire hivernal défraient régulièrement la chronique. L’année du contrat atomique Franco-Britannique, neuf autres réacteurs étaient inscrits sur la liste des arrêts de rigueur sécuritaire. Et comme le remarque avec justesse « La Parisienne libérée » le climat déteste l’électronucléaire.

Effet Fukushima sur la crédibilité de la sûreté et révélations sur les malfaçons obligent, les réacteurs eurent quelques difficultés à passer le contrôle technique. Le Canard Enchaîné fit ce commentaire « Les centrales nucléaire disjonctent en cascades (4) » A ce rythme d’extinction contraint et forcé, avec 15 réacteurs potentiellement à l’arrêt, soit plus d’un quart de l’Atomic Park Hexagonal, les vieilles promesses présidentielles de faire passer la part du nucléaire à 50% du bouquet électrique furent momentanément déjà satisfaites et finiront par l’être avec les injonctions du climat associées à la fronde aux frontières.

L’atome tricolore pourrissant sur pied dans l’Hexagone quitte, pour ainsi dire, le navire et tente de se retaper outre-Manche. Ironie de l’histoire c’est l’EPR, le réacteur censé être « le plus sûr au monde » qui vendit la mèche. Comme su désormais, ce furent les défauts de forgeage sur la cuve qui permirent de remonter la piste jusqu’au Creusot et forcèrent les autorités de sûreté nucléaire à déballer l’historique puis à mettre à l’arrêt et en examen les anciens réacteurs…

Grandeur et décadence de l’ancienne superpuissance britannique mais aussi ironie de l’Histoire, la Guerre de l’Opium de mémoire vive en Chine et de mémoire morte en Angleterre a été enterrée pour la circonstance afin de ne pas nuire au rayonnement atomique international. Au 19e siècle, lorsque le soleil avait cessé de se coucher sur l’immense Empire britannique circum-planétaire, celui-ci guidé par « la main invisible » s’était déjà transformé en Etat narcotrafiquant et « Machine de guerre » afin équilibrer sa balance des payements avec l’Empire du Milieu. Le trafic était devenu très prospère pour l’Angleterre mais fort délétère pour l’élite citadine en Chine. Face au désastre sanitaire de la toxicomanie à l’opium, les autorités du pays décidèrent de faire  cesser au plus vite ce trafic de drogue. Ce qui ne fut pas du goût de sa très gracieuse Majesté la Reine Victoria. L’Angleterre entra en furie pour imposer manu militari sa loi économique à l’Empire du Milieu. En Occident la brutalité criminelle de la Guerre de l’Opium fut célébrée, selon les éléments du langage économique, comme « l’ouverture » du marché chinois. Pour avoir voulu protéger sa population et son économie du narcotrafic, les conditions de reddition imposées à la Chine par la « diplomatie de la canonnière » anglaise lors du traité de Nankin 1842 furent particulièrement odieuses… Aujourd’hui, selon le vocabulaire juridique le narcotrafic britannique suivi de la Guerre de l’Opium entrerait dans la catégorie des crimes contre l’humanité. Mais c’est de l’histoire ancienne volontiers oubliée pour la bonne cause des « atomes pour la paix ». Ainsi dans la décadence d’une vieille puissance militaro-industrielle, la Chine aujourd’hui rayonnante arrive en respectant les règles du marché pour construire des usines hautement stratégiques nécessaires à « l’indépendance énergétique » de l’Angleterre.

Avant que l’administration Cameron ne soit balayée par le Brexit, George Osborne chancelier de l’échiquier d’alors, en visite officielle en Chine en 2015 pour relancer sa filière nucléaire, avait su flatter ses interlocuteurs tout en leur (re)donnant une leçon de mondialisation. Fort probablement sans humour et bien sûr sans penser aux origines de la Guerre de l’Opium, il avait déclaré  « Aucune économie dans le monde n’est aussi ouverte aux investissements chinois que la Grande-Bretagne (5) »

Signe de déchéance impériale, mélange d’idéologie néolibérale et d’attachement farouche à l’atome, en cette période tourmentée de Brexit, les puissances nucléaires étrangères étaient nombreuses à proposer leur service pour ranimer la flamme atomique britannique. En plus de la Chine et de la France, il y avait le Japon, puisqu’en lice des négociations sur l’atome d’outre-Manche un autre consortium, NuGen,  associant Engie et Toshiba visait Sellafield dans le nord de l’Angleterre pour construire une centrale… En se souvenant qu’en 2006 Toshiba avait avalé Westinghouse le géant étasunien et mondial de l’Atome, celui-là même qui avait vendu ses licences de réacteurs à la France, on peut dire qu’au sein de la pétromonarchie finissante il se produisit une fusion nucléaire historique.

Dans quel monde de filous vit-on ? Avec autant de compromissions, de démissions ou de soumissions peut-on encore suivre Tom Samson, le directeur de NuGen lorsqu’il affirme : « Hinkley est le début de la renaissance du nucléaire au Royaume-Uni. » ? Secret impénétrable de la mécanique quantique, encore une fois les faits sont têtus mais l’avenir est radieux. Restons-en au néolibéralisme, pour le nucléaire comme pour le pétrole et les gaz de schiste, le rôle du locataire du 10 Downing Street se limite à distribuer complaisamment des concessions territoriales d’exploitation aux puissances transnationales étrangères.

France, Chine et Japon se retrouvent dans l’Ancien Empire Britannique en friche industrielle avec la mission historique officielle du « Make UK great again ! »

 D’un blocus continental à l’autre

Pour lire le chapitre complet :

Menace nucléaire sur l’Europe episode 10_chap8

 

La suite … demain !